:C7)
"00
CD
I
HQ
461
B73
1882
t. 2
cl
ROBARTS
" /
A I
EX-LIBRIS. YVES. REFOULE
BRANTOME
LES
DAMES GALANTES
TOME DEUXIEME
ÉDITIOS JOUA us T
IMkis, iHK.
LES SEPT DISCOURS
TOUCHANT LES
DAMES GALANTES
TOME DEUXIEME
De Beaumont.pinx ■ Jouausted
LE GANT DANS LE LIT
(Dames Galantes, Discoui-s II ),
LES SEPT DISCOURS
TOUCHANT LES
DAMES GALANTES
DU SIEUR DE BRANTOME
PUBLIES
Sur ks manuscrits de la Bibliothèque nationale
PAR HENRI BOUCHOT
Dessins d'Edouard de Beàumont
GRAVÉS PAR E. BOILVIN
PARIS
LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES
Rue Saint-Honoré, 3 38
M DCCC LXXXII
46/
3
È)7
iB"
UcC 2 9 1.967
SS;^'7Y OF A-'-^'^ï
DEUXIEME DISCOURS
SUR LE SUJET
QJJI CONTENTE PLUS EN AMOURS
OU LE TOUCHER, OU LA VEUE, OU LA PAROLE
oiCY une question , en matière d'a-
mours, qui meriteroit un plus profond
et meilleur discoureur que moj , sça-
Yoir : qui contente plus en la jouissance
d'amour, ou le tact qui est l'attouchement , ou la
parole, ou la veue ? M. Pasquier, très-grand person-
nage certes en sa jurisprudence, qui est sa profes-
sion, comme en autres belles et humaines sciences,
en fait un discours dans ses lettres qu'il nous a
laissé par escrit; mais il y a esté par trop bref, et,
pour estre si grand homme, il ne devoit tant là-
dessus espargner sa belle parole comme il a fait :
car, s'il l'eust voulue un peu eslargir et en dire
bien au vray et au naturel ce qu'il en eust sceu bien
Brantôme. II. i
2 DEUXIEME DISCOURS
dire, sa lettre qu'il en a fait là-dessus en fust esté
cent fois bien plus plaisante et agréable.
Il en fonde son discours principal sur quelques
rimes anciennes du comte Thibaud de Champagne,
lesquelles je n'avois jamais veues , sinon ce petit
fragment que ce M. Pasquier produit là. Et trouve
que ce bon et brave ancien chevallier dit très-bien,
non en si bons termes que nos gallants poètes
d'aujourd'huy, mais pourtant en tres-bon sens et
bonnes raisons : aussi avoit-il un très-beau et digne
sujet pourquoy il disoit si bien, qui estoit la reine
Blanche de Castille, mère de saint Louis, de la-
quelle il fut aucunement espris, voire beaucoup,
et l'avoit prise pour maistresse. Mais, pour cela,
quel mal et quel reproche pour cette reine? Encor
qu'elle fust esté tres-sage et vertueuse, pouvoit-
elle engarder le monde de l'ajmer et brusler au
feu de sa beauté et de ses vertus, puisque c'est le
propre de la vertu et d'une perfection que de se
faire aymer? Le tout est ne se laisser aller à la vo-
lonté de celuy qui ayme.
Voilà pourquoy il ne faut trouver estrange ny
blasmer cette reine si elle fut tant aymée, et que,
durant son règne et son autorité, il y ait eu en
France des divisions et séditions et guerres : car,
comme j'ay ouy dire à un très-grand personnage,
les divisions s'esmouvent autant pour l'amour que
pour les brigues de l'Estat, et, du temps de nos
pères, il se disoit un proverbe ancien : que « tout
le monde en vouloit du c. de la reine folle ».
DEUXIEME DISCOURS 3
Je ne sçay pour quelle reine ce proverbe se fit,
comme, possible, fit ce comte Thibaud, qui, possi-
ble, ou pour n'estre bien traitté d'elle comme il
vouloit, ou qu'il en fust desdaigné, ou un autre
mieux aymé que luj, conceut en soy ces dépits
qui le précipitèrent et firent perdre en ces guerres
et tumultes : ainsi qu'il arrive souvent, quand une
belle ou grande reine, ou dame, ou princesse, se
met à régir un Estât, un chacun désire la servir,
honnorer et respecter, autant pour avoir l'heur
d'estre bien venu d'elle et estre en ses bonnes grâ-
ces comme de se vanter de régir et gouverner
r Estât avec elle et en tirer du profit. J'en alle-
guerois quelques exemples, mais je m'en passeray
bien.
Tant y a que ce comte Tibaut prit sur ce beau
sujet, que je viens de dire, à bien escrire, et, pos-
sible, à faire cette demande que nous représente
M. Pasquier, auquel je renvoyé le lecteur curieux,
sans en toucher icy aucunes rimes, car ce ne seroit
qu'une superfluité. Maintenant il me suffira d'en
dire ce qu'il m'en semble, tant de moy que de
l'advis des plus gallants que moy.
Or, quant à l'attouchement, certainement il faut
advouer qu'il est tres-delectable, d'autant que la
perfection de l'amour c'est de jouir, et ce jouir ne
se peut faire sans l'attouchement : car, tout ainsi
que la faim et la soif ne se peut soulager et appai-
ser, sinon par le manger et le boire, aussi l'amour
ne se passe ny par l'ouye ny par la veue, mais par le
4 DEUXIEME DISCOURS
toucher, l'embrasser, et par l'usage de Venus. A quoy
lebadin fat DiogenesCinicus rencontra badinement,
mais salaudement pourtant, quand il souhaittoit
qu'il pust abattre sa faim en se frottant le ventre,
tout ainsi qu'en se frottant la verge il passoit sa rage
d'amour. J'eusse voulu mettre cecy en paroles plus
nettes, mais il le faut passer fort légèrement. Ou bien
comme fit cet amoureux de Lamia, qui, ayant esté
par trop excessivement rançonné d'elle pour jouir
de son amour, n'y put ou n'y voulut entendre;
et, pour ce, s'advisa, songeant en elle, se cor-
rompre, se polluer, et passer son envie en son imagi-
nation: ce qu'elle ayant sceu, le fit convenir devant le
juge qu'il eust à l'en satisfaire et la payer; lequel
ordonna qu'au son et tintement de l'argent qu'il
luy monstreroit elle seroit payée, et en passeroit
ainsi son envie, de mesme que l'autre, par songe
et imagination, avoii passé la sienne.
Il est bien vray que l'on m'alléguera force es-
pèces de Venus que les philosophes anciens dé-
guisent; mais, de ce, je m'en rapporte à eux et
aux plus subtils qui en voudront discourir. Tant y
a, puisque le fruit de l'amour mondain n'est autre
chose que la jouissance, il ne faut point la penser
bien avoir qu'en touchant et embrassant. Si est-ce
que plusieurs ont bien eu opinion que ce plaisir
estoit fort maigre sans la veue et la parole; et de
ce nous en avons un bel exemple dans les Cent
Nouvelles de la reine de Navarre, de cet honneste
gentilhomme, lequel, ayant jouy plusieurs fois de
DEUXIEME DISCOURS 5
cette honneste dame, de nuict , bouchée avec son
touret de nez (car les masques n'estoyent encores
en usage) en une gallerie sombre et obscure,
encor qu'il cogneust bien au toucher qu'il n'y avoit
rien que bon , friant et exquis , ne se contenta
point de telle faveur, mais voulut sçavoir à qui il
avoit à faire : par quoy, en l'embrassant et la tenant
un jour, il la marqua d'une craye au derrière de
sa robbe qui estoit de velours noir; et puis le soir,
qui estoit après souper (car leurs assignations
estoyent à certaine heure assignée), ainsi que les
femmes entroyent dans la salle du bal, il se mit
derrière la porte, et, les espiant attentivement
passer, il vid entrer la sienne marquée sur l'espaule,
qu'il n'eust jamais pensé : car, en ses façons, con-
tenances et paroles, on l'eust prise pour la Sapience
de Salomon, et telle que la reine la décrit.
Qui fut esbahy? Ce fut ce gentilhomme, pour
sa fortune assise sur une femme qui n'eust jamais
creu moins d'elle que de toutes les femmes de la
cour. Vray est qu'il voulut passer plus outre, et ne
s'arrester là : car il luy voulut le tout descouvrir,
et sçavoir d'elle pourquoy elle se cachoit ainsi de
luy, et se faisoit ainsi servir à couvert et cachettes;
mais elle, tres-biert rusée, nia et renia tout jusques
à sa part de paradis et la damnation de son ame,
comme est la coustume des dames quand on leur
va objicer des choses de leur cas qu'elles ne veu-
lent qu'on les sçache, encores qu'on en soit bien
certain et qu'elles soyent tres-vrayes.
6 DEUXIEME DISCOURS
Elle s'en dépita, et par ainsi ce gentilhomme
perdit sa bonne fortune. Bonne, certes elle l'estoit :
car la dame estoit grande, et valloit le faire; et,
qui plus est, parce qu'elle faisoit de la sucrée, de
la chaste, de la prude, de la feinte, en cela il
pouvoit avoir double plaisir : l'un pour cette jouis-
sance si douce, si bonne et si délicate; et le second,
à la contempler souvent devant le monde en sa
mixte cointe mine, froide et modeste, et sa parole
toute chaste, rigoureuse et rechignarde, songeant
en soy son geste lascif, follastre maniement et
paillardise, quand ilz estoyent ensemble.
Voilà pourquoy ce gentilhomme eut grand tort
de luy en avoir parlé; mais devoit tous] ours con-
tinuer ses coups et manger sa viande, aussi bien
sans chandelle qu'avec tous les flambeaux de sa
chambre. Bien devoit-il sçavoir qui elle estoit; et
en faut louer sa curiosité, d'autant que, comme
dit le conte, il avoit peur avoir à faire avec quelque
espèce de diable : car volontiers ces diables se
transforment et prennent la forme des femmes
pour habiter avec les hommes, et les trompent
ainsi; auxquels pourtant, à ce que j'ay ouy dire
à aucuns magiciens subtils, est plus aisé de s'accom-
moder de la forme et^ visage 'de la femme que
non pas de la parole.
Voilà pourquoy ce gentilhomme avoit raison de
la vouloir voir et connoistre; et, à ce qu'il disoit
luy-mesme , l'abstinence de la parole luy faisoit
plus d'appréhension que la veue, et le mettoit en
DEUXIEME DISCOURS 7
resverie de M"" le diable; dont en cela il monstra
qu'il craignoit Dieu.
Mais, après avoir le tout descouvert, il ne devoit
rien dire. Mais quoy ! ce dira quelqu'un, l'amitié
et l'amour n'est point bien parfaitte si on ne la
déclare et du cœur et de la bouche; et, pour ce,
ce gentilhomme la luy vouloit faire bien entendre;
mais il n'y gaigna rien , car il y perdit tout. Aussi
qui eust cogneu l'humeur de ce gentilhomme , il
sera pour excusé , car il n'estoit si froid ny discret
pour jouer ce jeu et se masquer d'une telle discré-
tion; et , à ce que j'ay ouy dire à ma mère, qui
estoit à la reine de Navarre et qui en sçavoit quel-
ques secrets de ses Nouvelles, et qu'elle en estoit
l'une des devisantes, c'estoit feu mon oncle de
La Chastaigneraye, qui estoit brusq, prompt et un
peu voilage.
Le conte est déguisé pourtant pour le cacher
mieux : car mondict oncle ne fut jamais au service
de la grand princesse, maistresse de cette dame,
ouy bien du roy son frère; et si n'en fut autre
chose, car il estoit fort aymé et du roy et de la
princesse.
La dame, je ne la nommeray point, mais elle
estoit veufve et dame d'honneur d'une très-grand
princesse, et qui sçavoit faire la mine de prude
plus que dame de la cour.
J J'ay ouy conter d'une dame de la cour de
nos derniers rois, que je cognois, laquelle, estant
amoureuse d'un fort honneste gentilhomme de la
8 DEUXIEME DISCOURS
cour, vouloit imiter la façon d'amour de cette
dame précédente ; mais , autant de fois qu'elle
venoit de son assignation et de son rendez-vous,
elle s'en alloit à sa chambre , et se faisoit regarder
à l'une de ses filles ou femmes de chambre de tous
costez, si elle n'estoit point marquée; et, par ce
moyen, se garda d'estre mesprise et recogneue.
Aussi ne fut-elle jamais marquée qu'à la 9^ assigna-
tion, que la marque fut aussitost descouverte et
recogneue de ses femmes. Et, pour ce, de peur
d'estre escandalisée et tomber en opprobre, elle
brisa là, et oncques puis ne tourna à l'assigna-
tion.
Il eust mieux valu (ce dit quelqu'un) qu'elle luy
eust laissé faire ces marques tant qu'elle eust voulu,
et autant de faites les deffaire et effacer; et pour ce
eust eu double plaisir : l'un , de ce contentement
amoureux, et l'autre, de se mocquer de son homme,
qui travailloit tant à ceste pierre philosophale pour
la descouvrir et cognoistre , et n'y pouvoit jamais
parvenir.
5 J'en ay ouy conter d'une autre du temps du
roy François, de ce beau escuyer Gruffy, qui estoit
un escuyer de l'escurie dudict roy, et mourut à
Naples au voyage de M. de Lautrec, et d'une
très-grand dame de la cour, dont en devint tres-
amoureuse : aussi estoit-il très-beau et ne l'appel-
loit-on ordinairement que le beau Gruffy, dont
j'en ay veu le pourtrait qui le monstre tel.
Elle attira un jour un sien vallet de chambre en
DEUXIEME DISCOURS 9
qui elle se fîoit, pourtant incogneu et non veu, en
sa chambre, qui luj vint dire un jour, luj bien
habillé qu'il sentoit son gentilhomme, qu'une tres-
honneste et belle dame se recommandoit à luy, et
qu'elle en estoit si amoureuse qu'elle en souhaittoit
fort Tacointance plus que d'homme de la cour,
mais par tel si qu'elle ne vouloit, pour tout le bien
du monde, qu'il la vist ny la cogneust; mais qu'à
l'heure du coucher, et qu'un chacun de la cour
seroit retiré, il le viendroit quérir et prendre en un
certain Heu qu'il luy diroit, et de là il le meneroit
coucher avec cette dame ; mais par tel pache aussi
qu'il luy Youloit bouscher les yeux avec un beau
mouchoir blanc, comme un trompette qu'on meine
en ville ennemie, afin qu'il ne pust voir ny recon-
noistre le lieu ny la chambre là où il le meneroit,
et le tiendroit tousjours par les mains afin de ne
défaire ledict mouchoir : car ainsi luy avoit com-
mandé sa maistresse luy proposer ces conditions,
pour ne vouloir estre cogneue de luy jusques à
quelque temps certain et prefix qu'il luy dit et luy
promit; et, pour ce, qu'il y pensât et advisât bien
s'il y vouloit venir à cette condition, afin qu'il luy
sceust dire l'endemain sa response : car il le vien-
droit quérir et prendre en un lieu qu'il luy dit, et
surtout qu'il fust seul; et il le meneroit en une
part si bonne qu'il ne s'en repentiroit point d'y
estre allé.
Voilà une plaisante assignation et composée
d'une estrange condition. J'aymerois autant celle-là
lO DEUXIEME DISCOURS
d'une dame espagnole, qui manda un à une assi-
gnation, mais qu'il portast avec luy trois S. S. S.,
qui estoyent à dire, sabio, solo, segreto : sage, seul,
secret. L'autre luy manda qu'il iroit, mais qu'elle
se garnist et fournist de trois F. F. F., qui sont
qu'elle ne fust fea, flaca ny fria : qui ne fust ny
laide, flacque ny froide.
Attant le messager se départit d'avec Gruffy.
Qui fut en peine et en songe ? Ce fut luy, ayant
grand sujet de penser que ce fust quelque partie
jouée de quelque ennemy de cour, pour luy don-
ner quelque venue, ou de mort ou de charité
envers le roy. Songeoit aussi quelle dame pouvoit-
elle estre, ou grande, ou moyenne, ou petite, ou
belle, ou laide, qui plus luy faschoit; encores que
tous chats sont gris la nuict, ce dit-on, et tous
c... sont c... sans clarté. Par quoy , après en
avoir conféré à un de ses compagnons des plus
privez, il se résolut de tenter la risque^ et que,
pour l'amour d'une grande, qu'il presumoit bien
estre, il ne falloit rien craindre ny appréhender.
Par quoy, le lendemain que le roy, les reines, les
dames et tous et toutes de la cour, se furent retirez
pour se coucher, ne faillit de se trouver au lieu
que le messager luy avoit assigné, qui ne faillit
aussitost l'y venir trouver avec un second, pour
luy ayder à faire le guet si l'autre n'estoit point
suivy de page, ny de laquais, ny vallet, ny gentil-
homme. Aussitost qu'il le vit, luy dit seulement :
« Allons, Monsieur, Madame vous attend. « Sou-
DEUXIEMEDISCOURS II
dain il le banda, et le mena par lieux obscurs,
estroits, et traverses incogneues, de telle façon que
l'autre luy dit franchement qu'il ne sçavoit là où il
le menoit ; puis l'entra dans la chambre de la
dame, qui estoit si sombre et si obscure qu'il ne
pouvoit rien voir ny cognoistre, non plus que dans
un four.
Bien la trouva-il sentant à bon, et très-bien
parfumée, qui luy fît espérer quelque chose de
bon; par quoy le fît deshabiller aussitost, et luy-
même le deshabilla; et après le mena par la main
(luy ayant osté le mouchoir) au lict de la dame,
qui l'attendoit en bonne dévotion; et se mit au-
près d'elle à la taster, l'embrasser, la caresser, où
il n'y trouva rien que tres-bon et exquis , tant à sa
peau qu'à son linge et lict tres-superbe , qu'il
tastonnoit avec les mains; et ainsi passa joyeuse-
ment sa nuict avec cette belle dame, que j'ay bien
ouy nommer. Pour fîn, tout luy contenta en
toutes façons; et cognent bien qu'il estoit très-
bien hébergé pour cette nuict; mais rien ne luy
faschoit , disoit-il , sinon que jamais il n'en sceut
tirer aucune parole. Elle n'avoit garde, car il par-
loit assez souvent à elle le jour, comme aux autres
dames, et, pour ce, l'eust cogneue aussitost. De
follatreries, de mignardises, de carresses, d'attou-
chemens , et de toute autre sorte de démonstra-
tions d'amour et paillardises, elle n'y espargnoit
aucune : tant y a qu'il se trouva bien.
Le lendemain, à la pointe du jour, le messager
12 DEUXIEME DISCOURS
ne faillit le venir esveiller, et le lever et habiller, le
bander et le retourner au lieu où il l'avoit pris, et
recommander à Dieu jusques au retour, qui seroit
bien tost. Et ne fut sans luy demander s'il luy avoit
menty, et s'il se trouvoit bien de l'avoir creu, et ce
qui luy en sembloit de luy avoir servy de fourrier,
et s'il luy avoit donné bon logement.
Le beau Grufîy, après l'avoir remercié cent fois,
luy dit adieu , et qu'il seroit tousjours prest de re-
tourner pour si bon marché, et revoler quand il
voudroit; ce qu'il fit, et la feste en dura un bon
mois , au bout duquel fallut à Gruffy partir pour
son voyage de Naples, qui prit congé de sa dame
et luy dist adieu à grand regret, sans en tirer d'elle
un seul parler aucunement de sa bouche, sinon
souspirs et larmes, qu'il luy sentoit couler des yeux.
Tant y a qu'il partit d'avec elle sans la cognoistre
nullement ny s'en appercevoir.
Depuis on dit que cette dame pratiqua cette vie
avec deux ou trois autres de cette façon, se donnant
ainsi du bon temps. Et disoit-on qu'elle s'accom-
modoit de cette astuce, d'autant qu'elle estoit fort
avare, et par ainsi elle espargnoit le sien et n'estoit
sujette à faire presens à ses serviteurs : car enfin
toute grand dame pour son honneur doit donner,
soit peu ou prou, soit argent, soit bagues ou
joyaux, ou soyent riches faveurs. Par ainsi, la
gallante se donnoit à son c. joye, et espargnoit
sa bourse, en ne se manifestant seulement qu'elle
estoit; et, pour ce, ne se pouvoit estre reprise de
DEUXIEME DISCOURS i3
ses deux bourses, ne se faisant jamais cognoistre.
Voilà terrible humeur de grand dame !
Ancuns en trouveront la façon bonne , autres la
blasmeront, autres la tiendront pour tres-excorte;
aucuns l'estimeront bonne mesnagere; mais je
m'en rapporte à ceux qui en discourront mieux
que moy : si est-ce que cette dame ne peut encourir
tel blasme que cette reine qui se tenoit à l'hostel
de Nesle à Paris, laquelle faisant le guet aux pas-
sans, et ceux qui luy revenoyent et agreoient le
plus, de quelques sortes de gens que ce fussent,
les faisoit appeller et venir à soy; et, après en
avoir tiré ce qu'elle en vouloit, les faisoit précipiter
du haut de la tour, qui paroist encores, en bas en
l'eau, et les faisoit noyer.
Je ne peux dire que cela soit vray; mais le vul-
gaire (au moins la pluspart de Paris) l'afferme; et
n'y a si commun , qu'en luy monstrant la tour
seulement, et en l'interrogeant, que de luy-mesme
ne le dye.
Laissons ces amours, qui sont plustost des avor-
tons que des amours , lesquelles plusieurs de nos
dames d'aujourd'huy abhorent, comme elles en ont
raison, voulant communiquer avec leurs serviteurs,
et non comme avec rochers ou marbres; mais,
après les avoir bien choisis, se sçavent bravement
et gentiment faire servir et aymer d'eux. Et puis,
en ayant cogneu leurs fîdelitez et loyale persévé-
rance, se prostituent avec eux par une fervente
amour, et se donnent du plaisir avec eux, non en
14 DEUXIEME DISCOURS
masques, ny en silence, ny mueites, ny parmy les
nuicts et ténèbres; mais en beau plain jour se font
voir, toucher, taster, embrasser, et les entretienent
de beaux et lascifs discours , de mots follastres et
paroles lubriques. Quelquesfois pourtant s'aydent
de masques : car il y a plusieurs dames qui quelques
fois sont contraintes d'en prendre en le faisant,
si c'est au hasle qu'elles le facent, de peur de
se gaster le teint, ou ailleurs, afin que, si elles
s'eschauffent par trop, et si sont surprises, qu'on
ne connoisse leur rougeur, ny leur contenance
estonnée, comme j'en ay veu ; et le masque cache
tout; et ainsi trompent le monde.
■^ J'ay ouy dire à plusieurs dames et cavalliers
qui ont mené l'amour, que, sans la veue et la pa-
role, elles aymeroyent autant ressembler les bestes
brutes, lesquelles, par un appétit naturel et sensuel,
n'ont autre soucy ne amitié que de passer leur rage
et chaleur.
Aussi ay-je ouy dire à plusieurs seigneurs et
gallants gentilshommes qui ont couché avec de
grandes dames, ils les ont trouvées cent fois plus
lascives et desbordées en paroles que les femmes
communes et autres. Elles le peuvent faire à fi-
nesse, d'autant qu'il est impossible à l'homme,
tant vigoureux soit-il, de tirer au collier et labou-
rer tousjours; mais, quand il vient à la pose et au
relasche, il trouve si bon et si appétissant quand
sa dame l'entretient de propos lascifs et mots fo-
lastrement prononcez, que, quand Venus seroit la
DEUXIEME DISCOURS l5
plus endormie du monde, soudain elle est esveillée;
mesmes que plusieurs dames, entretenant leurs
amants devant le monde, fust aux chambres des
reines et princesses et ailleurs, le[s] pipoyent, car
elles leur disoyent des paroles si lascives et si
friandes qu'elles et eux se corrompoyent comme
dedans un lict; nous, les arregardans, pensions
qu'elles tinssent autre propos.
C'est pourquoy Marc Antoine ayma tant Cleo-
patra et la préféra à sa femme Octavia, qui estoit
cent fois plus belle et aymable que la Cleopatre;
mais cette Cleopatre avoit la parole si affettée et
le mot si à propos, avec ses façons et grâces las-
cives, qu'Antoine oublia tout pour son amour.
Plutarque nous en fait foy, sur aucuns brocards
ou sobriquets qu'elle disoit si gentiment, que Marc
Antoine, la voulant imiter, ne ressembloit en ses
devis (encore qu'il voulust fort faire du gallant)
qu'un soldat et gros gendarme, au prix d'elle et
sa belle fraze de parler.
Pline fait un conte d'elle que je trouve fort beau,
et, par ce, je le repeteray icy un peu. C'est qu'un
jour, ainsi qu'elle estoit en ses plus gaillardes hu-
meurs, et qu'elle s'estoit habillée à l'advenant et à
l'advantage, et surtout de la teste, d'une guirlande
de diverses fleurs convenante à toute paillardise,
ainsi qu'ilz estoyent à table, et que Marc Antoine
voulut boire, elle l'amusa de quelque gentil dis-
cours, et, cependant qu'elle parloit, à mesure elle
arrachoit de ses belles fleurs de sa guirlande, qui
l6 DEUXIEME DISCOURS
neantmoins estoyent toutes semées de poudres em-
poisonnées, et les jettoit peu à peu dans la coupe
que tenoit Marc Antoine pour boire; et, ayant
achevé son discours, ainsi que Marc Antoine vou-
lut porter la coupe au bec pour boire, Cleopatre
luy arreste tout court la main, et, ayant apposté
un esclave ou criminel qui estoit là prés, le fit venir
à luy, et luy fit donner à boire ce que Marc An-
thoine alloit avaller, dont soudain il en mourut;
et puis, se tournant vers Marc Antoine, luy dit :
« Si je ne vous aymois comme je fais, je me fusse
maintenant défaite de vous, et eusse fait le coup
volontiers, sans que je voys bien que ma vie ne
peut estre sans la vostre. » Cette invention et cette
parole pouvoyent bien confirmer Marc Antoine
en son amitié, voire le faire croupir davantage aux
costez de sa charnure.
Voilà comment servit l'éloquence à Cleopatre,
que les histoires nous ont escrite très-bien di-
sante : aussi ne l'appelloit-il que simplement la
Reine, pour plus grand honneur, ainsi qu'il escrit à
Octave César, avant qu'ils fussent déclarez enne-
mis. « Qui t'a changé, dit-il, pour ce que j'em-
brasse la Reine? Elle est ma femme. Ay-je com-
mancé dès ast'heure? Tu embrasse Drussille,
Tortale, Lerontile, ou Rufile, ou Salure Litiseme,
ou toutes : que t'en chaut-il sur quelle tu donne,
quand l'envie t'en prend? «
Par là Marc Antoine louoit sa constance et
blasmoit la variété de l'autre d'en aymer tant au
DEUXIEMEDISCOURS ly
coup, et luy n'aymoit que sa reine; dont je m'es-
tonne qu'Octave ne l'ayma après la mort d'An-
toine. Il se peut faire qu'il [en jouit] quand il la
vit et la fit venir seule en sa chambre, et qu'elle
l'harangua : possible qu'il n'y trouva pas ce qu'il
pensoit, ou la mesprisa pour quelque autre raison,
et en voulut faire son triomphe à Rome et la
monstrer en parade; à quoy elle remédia par sa
mort advancée.
Certes, pour tourner à nostre dire premier,
quand une dame se veut mettre sur l'amour, ou
qu'elle y est une fois bien engagée, il n'y a orateur
au monde qui die mieux qu'elle. Voyez comme
Sophonisba nous a esté descrite de Tite-Live, et
d'Apian et d'autres, si bien disante à l'endroit de
Massinissa, lorsqu'elle vint à luy pour l'aymer, gai-
gner et reclamer, et après quand il luy fallut avaller
le poison. Bref, toute dame, pourestre bienaymée,
doit bien parler; et volontiers on en voit peu qui
ne parlent bien et n'ayent des mots pour esmou-
voir le ciel et la terre, et fust-elle glacée en plein
hyver.
Celles surtout qui se mettent à l'amour, et si
elles ne sçavent rien dire, elles sont si dessavou-
rées que le morceau qu'elles vous donnent n'a ny
goust ny saveur; et, quand M. du Bellay, parlant
de sa courtisanne et déclarant ses mœurs, dit qu'elle
estoit
Sage au parler, et folastre à la couche,
cela s'entend en parlant devant le monde et en-
Brantôme. II. 3
l8 DEUXIEME DISCOURS
tretenant l'un et l'autre; mais, lorsque l'on est à
part avec son amy, toute gallante 'dame veut estre
libre en sa parole et dire ce qui luy plaist, afin de
tant plus esmouvoir Venus.
J'ay ouy faire des contes ^à plusieurs qui ont
jouy de belles et grandes dames, ou qui ont esté
curieux de les escouter parlant avec d'autres de-
dans le lict, qu'elles estoyent aussi libres et folles
en leur parler que courtisannes qu'on eust sceu
connoistre; et qui est un cas admirable est que,
pour estre ainsi accoustumées à entretenir leurs ma-
rys ou leurs amis de mots, propos et discours
sallaux et lascifs, mesmes nommer tout librement
ce qu'elles portent au fonds du sac, sans farder; et
pourtant, quand elles sont en leurs discours, jamais
ne s'extravaguent , ny aucun de ces mots sallaux
leur vient à la bouche. Il faut bien dire qu'elles se
sçavent bien commander et dissimuler : car il n'y a
rien qui frétille tant que la langue d'une dame ou
fille de joye.
Si ay-je cogneu une tres-belle et honneste dame
de par le monde, qui, devisant avec un honneste
gentilhomme de la cour des affaires de la guerre
durant ces civiles, elle luy dit : « J'ay ouy dire
que le roy a faict rompre tous les c... de ce pays
là. » Elle vouloit dire les ponts. Pensez que, ve-
nant de coucher d'avec son mary, ou songeant à
son amant, elle avoit encor ce nom frais en la
bouche ; et le gentilhomme s' en eschauffa en amours
d'elle pour ce mot.
DEUXIEME DISCOURS 19
y Une autre dame que j'ay cogneu, entretenant
une autre grand dame plus qu'elle, et luy louant
et exaltant ses beautez, elle luy dit après : «Non,
Madame, ce que je vous en dys, ce n'est point
pour vous adultérer » ; voulant dire adulater^ comme
elle le r'habilla ainsi : pensez qu'elle songeoit à
l'adultère et à adultérer.
Bref, la parole en jeu d'amours a une très-
grande efficace, et oii elle manque le plaisir en
est imparfait : aussi, à la vérité, si un beau corps
n'a une belle ame, il ressemble mieux son idole
qu'un corps humain; et, s'il se veut faire bien
aymer, tant beau soit-il, il faut qu'il se face secon-
der d'une belle ame; que s'il ne l'a de nature, il la
faut façonner par art.
5 Les courtisannes deRomesemocquentfortdes
gentilles dames de Rome, lesquelles ne sont ap-
prises à la parole comme elles; et disent que chia-
vano corne cani, ma che sono quiète délia bocca corne
sassi.
Voilà pourquoy j'ay cogneu beaucoup d'hon-
nestes gentilshommes qui ont refusé l'acointance
de plusieurs dames, je vous dis très-belles, parce
qu'elles estoyent idiotes, sans ame, sans esprit et
sans parole, et les ont quittées tout à plat; et di-
soyent qu'ils aymoyent autant avoir à faire avec
une belle statue de quelque beau marbre blanc,
comme celuy qui en ayma une à Athènes jusques
à en jouir. Et, pour ce, les estrangers qui vont par
pays ne se mettent à guieres aymer les femmes
20 DEUXIEME DISCOURS
estrangeres, ny volontiers s'encaprichent pour elles,
d'autant qu'ilz ne s'entendent point, ny leur pa-
role ne leur touche aiïcunement au cœur ; j'entends
ceux qui n'entendent leur langage; et, s'ils s'ac-
costent d'elles, ce n'est que pour contenter autant
nature, et esteindre le feu naturel bestialement, et
puis andar in harca, comme dist un Italien. Un
jour, desembarqué à Marseille, allant en Espagne,
et demandant où il y avoit des femmes, on luy
monstre un lieu où se faisoit le bal de quelques
nopces. Ainsi qu'une dame le vint accoster et ar-
raisonner, il lui dit : V. S. mi perdonaj non voglio
parlare, voglio solamente chiavare, e poi me n andar
in barca.
5 Le François ne prend grand plaisir avec une
Allemande, une Souysse, une Flamande, une An-
gloise, Escossoise, ou Esclavonne ou autre estran-
gere, encor qu'elle babillast le mieux du monde,
s'il ne l'entend ; mais il se plaist grandement avec
sa dame françoise, ou avec l'Italienne ou Espa-
gnole : car coustumierement la pluspart des Fran-
çois aujourd'huy, au moins ceux qui ont un peu
veu, sçavent parler ou entendent ce langage; et
Dieu sçait s'il est afîetté et propre pour l'amour:
car quiconque aura à faire avec une dame fran-
çoise, italiene, espagnole ou grecque, et qu'elle
soit diserte, qu'il die hardiment qu'il est pris et
vaincu.
D'autres fois nostre langue françoise n'a esté si
belle ny si enrichie comme elle est aujourd'huy;
DEUXIEME DISCOURS 21
mais il y a longtemps que l'italienne, l'espagnole
et la grecque l'est; et volontiers n'ay-je guieres
veu dame de cette langue , si elle a pratiqué
tant soit peu îe mestier de l'amour, qui ne sçache
très-bien dire. Je m'en rapporte à ceux qui ont
traitté celles-là. Tant y a qu'une belle dame et
remplye de belle parole contente doublement.
J Parlons maintenant de la veue. Certainement,
puisque les yeux sont les premiers qui attacquent
le combat de l'amour, il faut advouer qu'ils donnent
un très-grand contentement quand ils nous font
voir quelque chose de beau et rare en beauté. Hé!
quelle est la chose au monde que l'on puisse voir
plus belle qu'une belle femme, soit habillée ou bien
parée, ou nue entre deux draps? Pour l'habillée,
vous n'en voyez que le visage à nud; mais aussi,
quand un beau corps, orné d'une riche et belle
taille, d'un port et d'une grâce, d'une apparence
et superbe majesté, à nous se présente à plein,
quelle plus belle vue et agréable monstre peut-il
estre au monde ? Et puis, quand vous en venez à
jouir tout ainsi couverte et superbement habillée,
la convoitise et jouissance en redoublent, encor
que l'on ne voye que le seul visage de tout le reste
des autres parties du corps : car malaisément peut-
on jouir d'une grand dame selon toutes les com-
moditez que l'on desireroit bien, si ce n'estoit
dans une chambre bien à de loisir et lieu secret, ou
dans un lict bien à plaisir; car elle est tant es-
clairée !
22 DEUXIEME DISCOURS
Et c'est pourquoy une grand dame dont j'ay ouy
parler, quand elle rencontroit son serviteur à pro-
pos, et hors de veue et descouverte, elle prenoit
l'occasion tout aussitost , pour s'en contenter le
plus promptement et briefvement qu'elle pouvoit,
en luj disant un jour : « C'estoyent les sottes, le
temps passé, qui, par trop se voulans delicater en
leurs amours et plaisirs, se renfermoyent, ou en
leurs cabinets, ou autres lieux couverts, et là fai-
soyent tant durer leurs jeux et esbats qu'aussitost
elles estoyent descouvertes et divulguées. Aujour-
d'huy, il faut prendre le temps, et le plus bref que
l'on pourra^ et, aussitost assailly, aussitost investi
et achevé ; et, par ainsi, nous ne pouvons estre es-
candalisées. »
Je trouve que cette dame avoit raison : car ceux
qui se sont meslez de cet estât d'amour, ilz ont
tousjours tenu cette maxime, qu'il n'y a que le
coup en robbe. Aussi, quand l'on songe que l'on
brave, l'on [foule, presse et gourmande, abat et
porte par terre les draps d'or, lies toilles d'argent,
les clinquants, les estoffes de soye,avec les perles
et pierreries, l'ardeur, le contentement s'en aug-
mente bien davantage, et certes plus qu'en une
bergère ou autre femme de pareille qualité, quel-
que belle qu'elle soit.
Et pourquoy jadis Venus fut trouvée si belle et
tant désirée, sinon qu'avec sa beauté elle estoit
tousjours gentiment habillée, et ordinairement par-
fumée, qu'elle sentoit tousjours bon de cent pas
DEUXIEME DISCOURS 23
loing? Aussi tenoit-on que les parfums animent fort
à l'amour.
Voilà pourquoy les emperieres et grandes dames
de Rome s'en accommodoyent bien fort, comme
font aussi nos grandes dames de France, et sur-
tout aussi celles d'Espagne et d'Italie, qui, de
tout temps, en sont esté plus curieuses et exquises
que les nostres, tant en parfums qu'en parures de
superbes habits, desquelles nos dames en ont pris
depuis les patrons et belles inventions : aussi les
autres les avoyent apprises des médailles et statues
antiques de ces dames romaines, que l'on voit
encor parmy plusieurs antiquitez qui sont encores
en Espagne et en Italie; lesquelles, qui les con-
templera bien, trouvera leurs coiffures et leurs
habits en perfection, et très-propres à se faire
aimer. Mais aujourd'huy nos dames françoises
surpassent tout. A la reine de Navarre elles en
doivent ce grand mercy.
Voilà pourquoy il fait bon et beau d'avoir à
faire à ces belles dames si bien en poinct, si riche-
ment et pompeusement parées, de sorte que j'ay
ouy dire à aucuns courtisans, mes compagnons,
ainsi que nous devisions ensemble, qu'ils les ay-
moient mieux ainsi que desacoustrées et couchées
nues entre deux linceux, et dans un lict le plus
enrichy de broderies que l'on sceust faire. D'autres
disoyent qu'il n'y avoit que le naturel, sans aucun
fard ny artifice, comme un grand prince que je
sçay, lequel pourtant faisoit coucher ses courti-
24 DEUXIEME DISCOURS
sannes ou dames dans des draps de taffetas noir
bien tendus, toutes nues, afin que leur blancheur
et délicatesse de chair parust bien mieux parmy ce
noir, et donnast plus d'esbat.
Il ne faut douter vrayment que la veue ne soit
plus agréable que toutes celles du monde, d'une
belle femme toute parfaitte en beauté; mais mal-
aisément se trouve-elle. Aussi on trouve par escrit
que Zeuxis, cet excellent peintre, ayant esté prié
par quelques honnestes dames et filles de sa con-
noissance de leur donner le pourtrait de la belle
Helaine et la leur représenter si belle comme l'on
disoit qu'elle avoit esté, il ne leur en voulut point
refuser; mais, avant qu'en faire le pourtrait, il les
contempla toutes fixement, et, en prenant de l'une
et de l'autre ce qu'il y put trouver de plus beau,
il en fit le tableau comme de belles pièces rappor-
tées, et en représenta par icelles Helaine si belle
qu'il n'y avoit rien à dire, et qui fut tant admi-
rable à toutes, mais Dieu mercy à elles, qui y
avoyent bien tant aydé par leurs beautez et
parcelles comme Zeuxis avoit fait par son pin-
ceau. Cela vouloit dire que de trouver sur He-
laine toutes les perfections de beauté il n'estoit
pas possible, encor qu'elle ait esté en extrémité
très-belle.
En cas qu'il ne soit vray, l'Espagnol dit que,
pour rendre une femme toute parfaitte et absolue
en beauté, il luy faut trente beaux sis, qu'une dame
espagnole me dit une fois dans Tollede, là où il y
DEUXIEME DISCOURS 25
en a de très-belles et bien gentilles et bien appri-
ses. Les trente donc sont tels :
Très cosas blancas : el cuero , los dimies , y las
manos.
Très negras : los ojos, las cejas, y las pestanas.
Très coloradas : los labios, las mexillas, y las unas.
Très longas : el cuerpo, los cahellos, y las manos.
Très cortas : los dientes, las orejas, y los pies.
Très anchas : los pechos, la frente, y el entrecejo.
Très estrechas : la boca, l'una y otra^ la cinta, y
Ventrada del pie.
Très gruesas : el braçOj el muslo, y la pantorilla.
Très delgadas : los dedos, los cabellos, y los labios.
Très pequerias : las tetas, la naris, y la cabeça.
Qui sont en françois, afin qu'on l'entende :
« Trois choses blanches : la peau , les dents et les
mains.
Trois noires : les yeux, les soulcils et les paupières.
Trois rouges : les lèvres, les joues et les ongles.
Trois longues : le corps, les cheveux et les mains.
Trois courtes : les dents, les oreilles et les pieds.
Trois larges : la poitrine ou le sein, le front et
r entre-sourcil.
Trois estroites : la bouche, l'une et l'autre, la
ceinture ou la taille, et l'entrée du pied.
Trois grosses : le bras, la cuisse et le gros de la
jambe.
6 DEUXIEME DISCOURS
Trois déliées : les doigts, les cheveux et les lèvres.
Trois petites : les tetins, le nez et la teste. »
Sont trente en tout.
Il n'est pas inconvénient et se peut que tous
ces sis en une dame peuvent estre tous ensemble ;
mais il faut qu'elle soit faite au moule de la per-
fection : car de les voir tous assemblez, qu'il [n]'j
en ait quelqu'un à redire et qui ne soit en défaut,
il n'est possible. Je m'en rapporte à ceux qui ont
veu de belles femmes, ou en verront, et qui vou-
dro[n]t estre soigneux de les contempler et essayer,
ce qu'ils en sçauront dire. Mais pourtant, encores
qu'elles ne sojent accomplies ny embellies de tous
ces poincts, une belle femme sera tousjours belle,
mais qu'elle en aye la moitié, et en aye les points
principaux que je viens de dire : car j'en ay veu
force qui en avoyent à dire plus de la moitié, qui
estoyent très-belles et fort aymables ; ny plus ny
moins qu'un bocage est trouvé tousjours beau en
printemps, encores qu'il ne soit remply de tant de
petits arbrisseaux qu'on voudroit bien; mais que
les beaux et grands arbres touffus paroissent, c'est
assez de ces grands qui peuvent estouffer la deffec-
tuosité des autres petits.
M. de Ronsard me pardonne, s'il luy plaist;
jamais sa maistresse, qu'il a faitte si belle, ne par-
vint à cette beauté, ny quelqu'autre dame qu'il ait
veu de son temps ou en ait escrit, et fust sa belle
Cassandre, qui je sçay bien qu'elle a esté belle,
DEUXIEME DISCOURS
7
mais il l'a déguisée d'un faux nom; ou bien sa
Marie, qui n'a jamais autre nom porté que celuy-
là, quand à celle-là; mais il est [permis aux poètes
et peintres dire et faire ce qu'il leur plaist, ainsi
que vous avez dans KoUand le Furieux de très-
belles beautez descrites par l'Arioste, d'Alcine et
autres.
Tout cela est bon; mais, comme je tiens d'un
très-grand personnage, jamais nature ne sçauroit
faire une femme si parfaitte comme une ame vive
et subtile de quelque bien-disant, ou le creon et
pinceau de quelque divin peintre la nous pour-
royent représenter. Baste ! les yeux humains se
contentent tousjours de voir une belle femme, de
visage beau, blanc, bien fait; et, encor qu'il soit
brunet, c'est tout un ; il vaut bien quelquesfois le
blanc, comme dit l'Espagnole : Aunque io sia
morisca, no soy de menospreciar • « encor que je
sois brunette, je ne suis à mespriser. » Aussi la
belle Marfîse era brunetta alquanto. Mais que le
brun n'efface le blanc par trop ! Un visage aussi
beau, faut qu'il soit porté par un corps façonné et
fait de mesme : je dys autant des grands que des
petits, mais les grandes tailles passent tout.
Or, d'aller rechercher des points si exquis de
beauté, comme je viens de dire ou qu'on nous les
dépeint, nous en passerons bien, et nous resjoui-
rons à voir nos beautez communes : non que je
les vueille dire communes autrement, car nous en
avons de si rares que, ma foy, elles vallent mieux
28 DEUXIEME DISCOURS
que toutes celles que nos poètes fantasques, nos
quinteux peintres et nos pindariseurs de beautez
sçauroyent représenter.
Helas! voicj le pis : telles beautez belles, tels
beaux visages, en voyons-nous aucuns, admirons,
desirons leur beau corps, pour l'amour de leurs
belles faces, que neantmoins, quand elles viennent
à estre découvertes et mises à blanc, nous en font
perdre le goust:car ils sont si laidz, tarez, tachez,
marquez et si hjdeux, qu'ils en démentent bien le
visage; et voilà comme souvent nous y sommes
trompez.
5 Nous en avons un bel exemple d'un gentil-
homme de l'isle de Majorque, qui s'appelloit Ray-
mond Lulle, de fort bonne, riche et ancienne
maison, qui, pour sa noblesse, valeur et vertu,
fut appelle en ses plus belles années au gouver-
nement de cette isle. Estant en ceste charge,
comme souvent arrive aux gouverneurs des pro-
vinces et places, il devint amoureux d'une belle
dame de l'isle, des plus habilles, belles et mieux
disantes de là. Il la servit longuement et fort
bien; et, luy demandant tousjours ce bon point
de jouissance, elle, après l'en avoir refusé tant
qu'elle put, luy donna un jour assignation, où il
ne manqua ny elle aussi, et comparut plus belle
que jamais et mieux en poinct. Ainsi qu'il pensoit
entrer en paradis, elle luy vint à descouvrir son
sein et sa poitrine toute couverte d'une douzaine
d'emplastres, et, les arrachant l'une après l'autre,
DEUXIEME DISCOURS 29
et, de despit les jettant par terre, luy monstra un
effroyable cancer, et, les larmes aux yeux, luy
remonstra ses misères et son mal, luy disant et
demandant s'il y avoit tant de quoy en elle qu'il
en deust estre tant espris; et, sur ce, luy en fit un
si pitoyable discours que luy, tout vaincu de
pitié du mal de cette belle dame, la laissa; et,
l'ayant recommandée à Dieu pour sa santé, se défit
de sa charge et se rendit hermite. Et, estant de
retour de la guerre sainte, où il avoit fait vœu»
s'en alla estudier à Paris, sous Arnaldus de Villa-
nova, sçavant philosophe; et, ayant fait son cours,
se retira en Angleterre, où le roy pour lors le
receut avec tous les bons recueils du monde pour
son grand sçavoir, et qu'il transmua plusieurs lin-
gots et barres de fer, de cuivre et d'estain, mes-
prisant cette commune et trivialle façon de trans-
muer le fer et le plomb en or, parce qu'il sçavoit
que plusieurs de son temps sçavoyent faire cette
besogne aussi bien que luy, qui sçavoit faire l'un
et l'autre; mais il vouloit faire un pardessus les
autres.
Je tiens ce compte d'un gallant homme qui
m'a dit le tenir du jurisconsulte Oldrade, qui parle
de Raymond LuUe au commentaire qu'il a fait
sur le code de falsa moneta. Aussi le tenoit-il, ce
disoit, de Carolus Bovillus, Picard de nation, qui
a composé un livre en latin de la vie de Raymond
Lulle.
Voilà comment il passa sa fantaisie de l'amour
3o DEUXIEME DISCOURS
de cette belle dame; si que, possible, d'autres
n'eussent pas fait, et n'eussent laissé à l'aymer et
fermer les yeux, mesmes en tirer ce qu'il vouloit,
puisqu'il estoit à mesme : car la partie oia il ten-
doit n'estoit touchée d'un tel mal.
5 J'ay cogneu un gentilhomme et une dame
veufve de par le monde, qui ne firent pas ces
scrupules : car, la dame estant touchée d'un gros
villain cancer au tetin, il ne laissa de l'espouser,
et elle aussi le prendre, contre l'advis de sa mère;
et, toute malade et maleficiée qu'elle estoit, et
elle et luy s'esmeurent et se remuèrent tellement
toute la nuict qu'ils en rompirent et enfoncèrent
le fonds du châlit.
5 J'ay cogneu aussi un fort honneste gentil-
homme, mon grand amy, qui me dit qu'un jour,
estant à Rome, il luy advint d'aymer une dame
espagnole, et des belles qui fust en la ville jamais.
Quand il l'accostoit, elle ne vouloit permettre
qu'il la vist, ny qu'il la touchast par ses cuisses
nues, sinon avec ses calsons; si bien que, quand
il la y vouloit toucher, elle luy disoit en espa-
gnol : Ah ! no me iocays, hazeîs me cosquillas ,
qu'est à dire : « Vous me chatouillez. » Un matin,
passant devant sa maison, trouvant sa porte ou-
verte, monte tout bellement, où estant entré
sans rencontrer ny fantesque, ny page, ny per-
sonne, et, entrant en sa chambre, la trouva qui
dormoit si profondement qu'il eut loisir de la voir
toute nue sur le lict, et la contempler à son aise,
DEUXIEME DISCOURS 3l
car il faisoit très-grand chaud; et dit qu'il ne vid
jamais rien de si beau que ce corps, fors qu'il vid
une cuisse belle, blanche, poUie et refaitte, mais
l'autre elle l'avoit toute seiche, atténuée et estio-
menée, qui ne paressoit pas plus grosse que le
bras d'un petit enfant. Qui fut estonné? Ce fut le
gentilhomme, qui la plaignit fort, et oncques plus
ne la tourna visiter ny avoir à faire avec elle.
Il se void force dames qui ne sont pas ainsi
estiomenées de catherre; mais elles sont si mai-
gres, dénuées, asseichées et descharnées, qu'elles
n'en peuvent rien monstrer que le bastiment :
comme j'aycogneu une très-grande que M. l'éve-
que de Cisteron, qui disoitle mot mieux qu'homme
de la court, en brocardant afîermoit qu'il valloit
mieux de coucher avec une ratouere de fil d'archal
qu'avec elle; et, comme dist aussi un honneste
gentilhomme de la court, auquel nous faisions la
guerre qu'il avoit à faire avec une dame assez
grande : « Vous vous trompez, dit-il, car j'ayme
trop la chair, et elle n'a que les os; » et pourtant,
à voir ces deux dames si belles par leurs beaux
visages, on les eust jugées pour des morceaux
tres-charnus et bien friands.
5 Un très -grand prince de par le monde vint
une fois à estre amoureux de deux belles dames
tout à coup, ainsi que cela arrive souvent aux
grands, qui ayment les varietez. L'une estoit fort
blanche, et l'autre brunette, mais toutes deux très-
belles et fort aymables. Ainsi qu'il venoit un jour
32 DEUXIEME DISCOURS
de voir la brunette, la blanche jalouze luy dit :
« Vous venez de voiler pour corneille. » A quoy
luy respondit le prince un peu irrité, et fasché de
ce mot : ce Et quand je suis avec vous, pour qui
vollé-je?»La dame respondit : «Pour un phénix. »
Le prince, qui disoit des mieux, répliqua : « Mais
dittes plustost pour l'oyseau de paradis, là où il y
a plus de plume que de chair » ; la taxant par là
qu'elle estoit maigre aucunement : aussi estoit-elle
fort jovanotte pour estre grasse, [l'embonpoint]
ne se logeant coustumierement que sur celles qui
entrent dans l'aage, et qu'elles commencent à se
renforcer et fortifier de membres et autres choses.
5 Un gentilhomme la donna bonne à un grand
seigneur que je sçay. Tous deux avoyent belles
femmes. Ce grand seigneur trouva celle du gen-
tilhomme fort belle et bien advenante. Il luy dit
un jour : « Un tel, il faut que je couche avec
vostre femme. y> Le gentilhomme, sans songer (car
il disoit très-bien le mot), luy respondit : « Je le
veux, mais que je couche avec la vostre. » Le sei-
gneur luy replicqua : « Qu'en ferois-tu ? car la
mienne est si maigre que tu n'y prendrois nul
goust. » Le gentilhomme respondit : «Ah! par
Dieu ! je la larderay si menu que je la rendray de
bon goust. »
5 II s'en voit tant d'autres que leurs visages pou-
pins et gentils font désirer leurs corps; mais, quand
on y vient, on les trouve sidescharnez que le plai-
sir et la tentation en ]sont bien tost passez. Entre
DEUXIEME DISCOURS 33
autres, l'on y trouve l'os barré qu'on appelle, si sec
et si descharné qu'il foule et masche plus tout nud
que le bast d'un mullet qu'il auroit sur luy. A quoy
pour suppléer, telles dames sont coustumieres de
s'ayder de petits coissins bien mollets et délicats à
soustenir le coup et engarder de la mascheure;
ainsi que j'ay ouy parler d'aucunes, qui s'en sont
aydées souvent, voire des callesons gentiment
rembourrez et faits de satin, de sorte que les igno-
rants, les venans à toucher, n'y trouvent rien que
tout bon, et croyent fermement que c'est leur em-
bompoint naturel : car, par dessus ce satin, il y
avoit des petits callesons de toille volante et blan-
che; si bien que l'amant, donnant le coup en
robbe, s'en alloit de sa dame si content et satisfait
qu'il la tenoit pour très-bonne robe.
D'autres y a-il encor qui sont de la peau fort
maleficiées et marquetées comme marbre, ou en
œuvre à la mosaïque, tavellées comme faons de
bische , gratteleuses, et sujettes à enderses fari-
neuses et farcineuses ; bref, gastées tellement que
la veue n'en est pas guieres plaisante.
5 J'ay ouy parler d'une dame grande, et l'ay
cogneue et cognois encores, qui est pelue, velue sur
la poitrine, sur l'estomac, sur les espaules et le long
de l'eschine, et à son bas, comme un sauvage. Je
vous laisse à penser ce que veut dire cela. Si le pro-
verbe estvray, que personne ainsi velue est ou riche
ou lubrique, celle-là a l'un et l'autre, je vous en as-
seure; et s'en fait fort bien donner, se voir tl désirer.
Brantôme. II. 5
$4 DEUXIEME DISCOURS
D*autres ont la chair d'oyson ou d'estourneau
plumé, harée, brodequinée, et plus noire qu'un
beau diable. D'autres sont opulentes en tétasses
avalées, pendantes plus que d'une vache allaittant
son veau. Je m'asseure que ce ne sont pas les beaux
tetins d'Heleine, laquelle, voulant un jour présen-
ter au temple de Diane une coupe gentille par
certain vœu, employant l'orfèvre pour laluy faire,
luy en fit prendre le modelle sur l'un de ses beaux
tetins; et en fit la coupe d'or blanc, qu'on ne
sçauroit qu'admirer de plus, ou la coupe ou la
ressemblance du tetin sur quoy il avoit pris le pa-
tron, qui se monstroit si gentil et si poupin que
l'art en pouvoit faire désirer le naturel. Pline dit
cecy par grand speciauté, oii il traitte qu'il y a de
l'or blanc. Ce qui est fort estrange est que ceste
coupe fust faitte d'or blanc.
Qui voudroit faire des coupes d'or sur ces grandes
tétasses que je dis et que je connois, il faudroit
bien fournir de l'or à monsieur l'orfèvre, et ne se-
roit après sans coust et grand risée, quand 'on
diroit : « Voilà des coupes faites sur le modèle des
tetins de telles et telles dames. » Ces coupes res-
sembleroyent, non pas coupes, mais de vrayes
auges qu'on void, de bois, toutes rondes, dont on
donne à manger aux pourceaux.
Et d'autres y a-il que le bout de leur tetin res-
semble à une vray guine pourrie. D'autres y a-il,
pour descendre plus bas, qui ont le ventre si mal
poly et ridé qu'on les prendroit pour des vieilles
DEUXIEME DISCOURS 35
ffibessieres ridées de sergens ou d'hostelliers; ce
qui advient aux femmes qui ont eu des enfants et
qui ne sont esté bien secourues et graissées de
graisse de balaine de leurs sages-femmes. Mais
d'autres y a-il, qui les ont aussi beaux et polis, et
le sein aussi follet, comme si elles estoyent encor
filles.
D'autres il y en a, pour venir encor plus bas,
qui ont leurs natures hideuses et peu agréables.
Les unes y ont le poil nullement frizé, mais si long
et pendant que vous diriez que ce sont les mous-
taches d'un Sarrazin; et pourtant n'en ostent ja-
mais la toison, et se plaisent à la porter telle, d'au-
tant qu'on dit : Chemin jonchu et c. velu sont fort
propres pour chevaucher. J'en ay ouy parler de
quelqu'une très-grande qui les porte ainsi.
J'av ouy parler d'une autre belle et honneste
dame qui les avoit ainsi longues qu'elle les entor-
tilloit avec des cordons ou rubans de soye cramoi-
sie ou autre couleur, et se les frizonnoit ainsi
comme des frizons de perruques ; et puis se les
attachoit à ses cuisses; et en tel estât quelquesfois
se les presentoit à son mary et à son amant; ou
bien se les destortoit de son ruban et cordon, si
qu'elles paroissoyent frizonnées par après, et plus
gentilles qu'elles n'eussent fait autrement.
Il y avoit bien là de la curiosité et de la paillar-
dise et tout : car, ne pouvant d'elle-mesme faire
et suivre ses frisons, il falloit qu'une de ses femmes,
de ses plus favorites, la servit en cela; en quoy
36 DEUXIEME DISCOURS
ne peut estre autrement qu'il n'y ait de la lubri-
cité en toutes façons qu'on la pourra imaginer.
Aucunes, au contraire, se plaisent le tenir et
porter raz comme la barbe d'un prestre.
D'autres femmes y a-il qui n'y ont de poil point
du tout, ou peu, comme j'ay ouy parler d'une fort
grande et belle dame que j'ay cogneu; ce qui
n'est guieres beau, et donne un mauvais soupçon:
ainsi qu'il y a des hommes qui n'ont que de petits
boucquets de barbe au menton, et n'en sont pas
plus estimez de bon sang, ainsi que sont les blan-
quets et blanquettes.
D'autres en ont l'entrée si grande, vague etlarge,
qu'on la prendroit pourl'antre de la Sibille. J'en
ay ouy parler d'aucunes, et bien'grandes, qui les
ont telles qu'une jument ne les a si amples, encore
qu'elles s'aydent d'artifice le plus qu'elles peuvent
pour estrecir la porte; mais, dans deux ou trois
fréquentations, la mesme ouverture tourne ; et, qui
plus est, j'ay ouy dire que, quand bien on les ar-
regarde le cas d'aucunes, il leur cloyse comme celuy
d'une jument quand elle est en chaleur. L'on m'en
a conté trois qui monstrent telles cloyses quand on
y prend garde de les voir.
5 J'ay ouy parler d'une dameg rande, belle et de
qualité, à qui un de nos rois avoit imposé le nom
de pan de c, tant il estoit large et grand, et non
sans raison, car elle se l'est fait en son vivant sou-
vent mesurer à plusieurs merciers et arpenteurs; et
que, tant plus elle s'estudioit le jour de l'estrecir.
DEUXIEME DISCOURS Sy
la nuict en deux heures on le luy eslargissoit si
bien que ce qu'elle faisoit en une heure, on le de-
faisoit en l'autre, comme la toille de Pénélope.
Enfin, elle en quitta tous artifices, et en fut quitte
pour faire élection des plus gros moules qu'elle
pouvoit trouver.
Tel remède fut tres-bon; ainsi que j'ay ouy dire
d'une fort belle et honneste fille de la court, la-
quelle l'eut au contraire si petit et estroit qu'on
en desesperoit à jamais le forcement du pucellage;
mais, par l'advis de quelques médecins ou de
sages-femmes, ou de ses amis ou amies, elle en fit
tenter le gué ou le forcement par des plus menus
et petits moules, puis vint aux moyens, puis aux
grands, à mode des talus que l'on fait, ainsi que
Rabelais ordonna les murailles de Paris imprena-
bles; et puis, par tels essais les uns après les
autres, s'accoustuma si bien à tous que les plus
grands ne luy faisoyent la peur que les petits pa-
ravant faisoyent si grande.
5 Une grande princesse estrangere, que j'ay
cogneu, laquelle l'avoit si petit et estroit qu'elle
ayma mieux de n'en taster jamais que de se faire
inciser, commelesmedecinsleconseilloyent. Grande
vertu certes de continence, et rare!
f D'autres en ont les labiés longues et pen-
dantes plus qu'une creste de coq d'Inde quand il
est en colère; comme j'ay ouy dire que plusieurs
dames ont; non-seulement elles, mais aussi des
filles. J'ay ouy faire ce conte à feu M. deRandan :
38 DEUXIEME DISCOURS
qu'une fois, estans de bons compagnons à la court
ensemble, comme M. de Nemours, M. le vidame de
Chartres, M. le comte de La Rochefoucault,MM.de
Montpezac, Givry, Genlis et autres, ne sçachans
que faire, allèrent voir pisser les filles un jour, cela
s'entend cachez en bas et elles en haut. Il y en eut
une qui pissa contre terre : je ne la nomme point;
et, d'autant que le plancher estoit de tables, elle
avoit ses lendilles si grandes qu'elles passèrent par
la fente des tables si avant qu'elle en monstra la
longueur d'un doigt; si que M, de Randan, par
cas, ayant un baston qu'il avoit pris à un laquais,
où il y avoit un fiçon, en perça si dextrement ses
landilles, et les cousit si bien contre la table, que
la fille, sentant la picqueure, tout à coup s'esleva si
fort qu'elle les escerta toutes, et de deux parts qu'il
y en avoit en fit quatre; et lesdites lendilles en
demeurèrent découpées en forme de barbe d'es-
crevices; dont pourtant la fille s'en trouva très-
mal, et la maistresse en fut fort en colère. M. de
Randan et la compagnie en firent le conte au roy
Henry, qui estoit bon compagnon, qui en rit pour
sa part son saoul, et en appaisa le tout envers la
reine, sans rien en déguiser.
Ces grandes lendilles sont cause qu'une fois j'en
demanday la raison à un médecin excellent, qui me
dit que, quand les filles et femmes estoyent en ruth,
elles les touchoient, manioient, viroient, contour-
noient, allongeoient et tiroient si souvent, qu'es-
tans ensemble s'en, entredonnoient mieux du plaisir.
DEUXIEME DISCOURS 89
Telles filles et femmes seroyent bonnes en
Perse, non en Turquie, d'autant qu'en Perse les
femmes sont circoncises, parce que leur nature
ressemble de je ne sçay quoy le membre viril (di-
sent-ils) ; au contraire, en Turquie, les femmes ne
le sont jamais; et pour ce les Perses les appellent
hérétiques, pour n'estre circoncises, d'autant que
leur cas (disent-ils) n'a nulle forme; et ne prennent
plaisir de les regarder comme les chrestiens. Voilà
ce qu'en disent ceux qui ont voyagé en Levant.
Telles femmes et filles (disoit ce médecin) sont
fort sujettes à faire la fricarelle, donna con donna.
J'ay ouy parler d'une très-belle dame et des plus
qui ait esté en la cour, qui ne les a si longues :
car elle luy sont accourcies pour un mal que son
mary luy donna; voire qu'elle n'a de lèvre d'un
costé, pour avoir esté tout mangé de chancres; si
bien qu'elle peut dire son cas estropié et à demy
démembré; et neantmoins ceste dame a esté fort
recherchée de plusieurs, mesmes elle a esté la moi-
tié d'un grand quelquesfois dans son lict. Un grand
disoit à la cour un jour qu'il voudroit que sa femme
ressemblast celle-là, et qu'elle n'en eust qu'à demy,
tant elle en avoit trop.
J'ay aussi ouy parler d'une autre bien plus grande
qu'elle cent fois, qui avoit un boyau qui luy pen-
dilloit long d'un grand doigt au dehors de sa na-
ture, et, disoit-on, pour n'avoir esté bien servie
en l'une de ses couches par sa sage-femme; ce qui
arrive souvent aux filles et femmes qui ont fait des
40 DEUXIEME DISCOURS
couches à la dérobade, ou qui par accident se sont
gastées et grevées; comme une des belles femmes
de par le monde, que j'aj cogneue, qui, estant
veufve, ne voulut jamais se remarier, pour estre
descouverte d'un second mary de cecy, qui l'en
eust peu prisée, et, possible, mal traittée.
Cette grande que je viens de dire, nonobstant
son accident, enfantoit aussi aisément comme si
elle eust pissé: car on disoit sa nature tres-ample;
et si pourtant elle a esté bien ajmée et bien servie
à couvert; mais malaisément se laissoit-elle voir là.
Aussi volontiers, quand une belle et honneste
femme se met à l'amour et à la privante, si elle ne
vous permet de voir ou taster cela, dittes hardiment
qu'elle y a quelque tare, ou si, que la veue ny le
toucher n'approuvera guieres, ainsi que je tiens
d'une honneste femme : car, s'il n'y en a point, et
qu'il soit beau comme certes il y en a et de plai-
sants à voir et manier, elle est aussi curieuse et
contente d'en faire la monstre et en prester l'attou-
chement que de quelque autre de ses beautez
qu'elle ait, autant pour son honneur à n'estre soub-
çonnée de quelque défaut ou laideur en cet endroit
que pour le plaisir qu'elle y prend elle-mesme à le
contempler et mirer, et surtout aussi pour accroistre
la passion et tentation davantage à son amant. De
plus, les mains et les yeux ne sont pas membres
virils pour rendre les femmes putains et leurs marys
cocus, encore qu'après la bouche aydent à faire de
grands approches pour gaigner la place.
DEUXIEME DISCOURS 41
D'autres femmes y a-il qui ont la bouche de là
si pasle qu'on diroit qu'elles y ont la fièvre; et telles
ressemblent aucuns yvroignes, lesquels, encor qu'ils
boivent plus de vin qu'une truye de laict, ils sont
pasles comme trespassez; aussi les appelle-on trais-
tres au vin, non pas ceux qui sont rubiconds : aussi
telles par ce costé là on les peut dire traistresses à
Venus, si ce n'est que l'on dit : pasle putain, et
rouge paillard. Tant y a que cette partie ainsi pasle
et transie n'est point plaisante à voir; et n'a garde
de ressembler à celle d'une des plus belles dames
que l'on en voye, et qui tient grand rang, laquelle
j'ay veu qu'on disoit qu'elle portoit là trois belles
couleurs ordinairement ensemble, qui estoyent in-
carnat, blanc et noir : car cette bouche de là
estoit colorée et vermeille comme corail, le poil
d'alentour gentiment frizonné et noir comme
ebene; ainsi le faut-il, et c'est l'une des beautez;
la peau estoit blanche comme albastre, qui estoit
ombragée de ce poil noir. Cette veue est belle
celle-là, et non des autres que je viens de dire.
D'autres il y en a aussi qui sont si bas ennatu-
rées et fendues jusqu'au cul , mesmes les petites
femmes, que l'on devroit faire scrupule de les tou-
cher, pour beaucoup d'ordes et salles raisons que
je n'oserois dire : car on diroit que, les deux ri-
vières s'assemblant et se touchant quasi ensemble,
il est en danger de laisser l'une et naviger à l'au-
tre; ce qui est par trop vilain.
5 J'ay ouy conter à madame de Fontaine-Cha-
6
42 DEUXIEME DISCOURS
landray (dite la belle Torcy) que la reine Eleonor,
sa maistresse, estant habillée et vestue, paressoit
une très-belle princesse, comme il y en a encor
plusieurs qui l'ont veue telle ennostre court, et de
belle et riche taille; mais, estant deshabillée, elle
paroissoit du corps une géante, tant elle l'avoit
long et grand; mais, tirant en bas, elle paroissoit
une naine, tant elle avoit les cuisses et les jambes
courtes avec le reste.
D'une autre grand dame ay-je ouy parler qui
estoit bien au contraire : car par le corps elle se
monstroit une naine, tant elle l'avoit court et petit,
et du reste en bas une géante ou collosse, tant elle
avoit ses cuisses et jambes grandes, hautes et fen-
dues, et pourtant bien proportionnées et charnues,
si qu'elle en couvroit son homme sous elle, mais
qu'il fust petit, fort aisément, comme d'une tirasse
de chien couchant.
5 II y a force marys et amis parmy nos chres-
tiens qui, voulans en tout différer des Turcs, ne
prennent plaisir d'arregarder le cas des dames,
d'autant, disent-ils, comme je viens de dire, qu'ils
n'ont nulle forme; nos chrestiens au contraire,
qui en ont, disent-ils, de grands contentemens à
les contempler fort et se délecter en telles visions,
et non-seulement se plaisent à les voir, mais à les
baiser, comme beaucoup de dames l'ont dit et
descouvert à leurs amants; ainsi que dit une dame
espagnole à son serviteur, qui, la saluantun jour,
luy dit : Bezo las manos y los pies, senora; elle
DEUXIEME DISCOURS 43
luy dit : Senor, en el medio esta la mejor stacion ;
comme voulant dire qu'il pouvoit baiser le mitan
aussi bien que les pieds et mains. Et, pour ce,
disent aucunes dames, que leurs marys et servi-
teurs y prennent quelque délicatesse et plaisir, et
en ardent davantage : ainsi que j'ay ouy dire
d'un très-grand prince, fils d'un grand roy de par
le monde, qui avoit pour maistresse une très-
grande princesse. Jamais il ne la touchoit qu'il ne
luy vist |cela et ne le baisast plusieurs fois. Et la
première fois qu'il le fit, ce fut par la persuasion
d'une très-grande dame, favorite de roy, laquelle,
tous trois un jour estans ensemble, ainsi que ce
prince muguettoit sa dame, luy demanda s'il n'avoit
jamais veu cette belle partie dont il jouissoit. Il
respondit que non : « Vous n'avez donc rien fait^
dist-elle, et ne sçavez ce que vous aymez ; vostre
plaisir est imparfait, il faut que vous le voyez. »
Parquoy, ainsi qu'il s'en vouloit essayer et qu'elle
en faisoit de la revesche, l'autre vint par derrière,
et la prit et renversa sur un lict, et la tint tous-
jours jusques à ce que le prince l'eust contemplée
à son aise et baisée son saoul, tant qu'il le trouvoit
beau et gentil; et, pour ce, continua tousjours.
D'autres y a-il qui ont leurs cuisses si mal
proportionnées, mal advenantes et si mal faites en
olive, qu'elles ne méritent d'estre regardées et
désirées, comme de leurs jambes, qui en sont de
mesme, dont aucunes sont si grosses qu'on en
diroit le gras estre le ventre d'une conille qui est
44 DEUXIEME DISCOURS
pleine. D'autres les ont si gresles et menues, et si
heronnieres, qu'on les prendroit plustost pour des
fleutes que pour cuisses et jambes : je vous laisse
à penser que peut estre le reste.
Elles ne ressemblent pas une belle et honneste
dame dont j'ay ouy parler, laquelle estant en bon
point, et non trop en extrémité, car en toutes
choses il faut un médium, après avoir donné à
coucher à son amy, elle luy demanda le lende-
main au matin comment il s'en trouvoit. Il luy
respondit que très-bien, et que sa bonne et grasse
chair luy avoit fait grand bien. « Pour le moins
(dit-elle) avez-vous couru la poste sans emprunter
de coissinet. »
D'autres dames y a-il qui ont tant d'autres
vices cachez, ainsi que j'en ay ouy parler d'une
qui estoit dame de réputation, qui faisoit ses af-
faires fécales par le devant; et de ce j'en deman-
day la raison à un suffisant médecin, qui me dit:
parce qu'elle avoit esté percée trop jeune et d'un
homme trop fourny et robuste; dont ce fut grand
dommage, car c' estoit une très-belle femme et
veufve, qu'un honneste gentilhomme que je sçay
la vouloit espouser; mais, en sçachant tel vice, la
quitta soudain, et après un autre la prit aus-
sitost.
5 J'ay ouy parler d'un gallant gentilhomme qui
avoit une des belles femmes de la court et n'en
faisoit cas. Un autre, n'estant si scrupuleux que
luy, habitant avec elle, trouva que son cas puoit si
DEUXIEME DISCOURS 46
fort qu'on ne pouvoit endurer cette senteur; et,
par ainsi,' cogneut l'encloueure du mary.
J'ay ouy parler d'une autre, laquelle estant l'une
des filles d'une grande princesse, qui petoit de
son devant : des médecins m'ont dit que cela se
pouvoit faire à cause des vents et ventositez qui
peuvent sortir par là, et mesmes quand elles font
la fricarelle. Cette fille estoit avec cette princesse
lorsqu'elle vint à Moulins, la cour y estant, du
temps du roy Charles IX, qui en fut abreuvé, dont
on en rioit bien.
D'autres y en a-il qui ne peuvent tenir leur
urine, qu'il faut qu'elles ayent jtousjours la petite
esponge entre les jambes, comme j'en ay cogneu
deux grandes, et plus que dames, dont l'une, es-
tant fille, fit l'évasion tout à trac dans la salle du
bal, du temps du roy Charles IX, dont fut fort
scandalisée.
D'une autre grand dame ay-je ouy parler, que,
quand on luy faisoit cela, elle se compissoit à bon
escient, ou sur le fait ou après, comme une jument
quand elle a esté saillie : à telle falloit-il jetter le
seillaud d'eau comme à la jument, pour la faire
retenir.
Tant d'autres y a-il qui sont ordinairement en
sang et leurs mois, et autres qui sont viciées,
tarrottées, marquetées et marquées, tant par ac-
cident de verolle de leurs marys ou de leurs amis
que par leurs mauvaises habitudes et humeurs ;
comme celles qui ont les jambes louventines et
40 DEUXIEME DISCOURS
autres fluxions et marques, que, par les envies de
leurs mères estans enceintes d'elles, portent sur
elles; comme j'en aj ouj parler d'une qui est toute
rouge par une moitié du corps, et l'autre non,
comme un eschevin de ville.
D'autres sont si sujettes à leurs flux menstruaux
que quasi ordinairement leur nature flue comme
un mouton à qui on a coupé la gorge de frais;
dont leurs marjs ou amants ne s'en contentent
guieres, pour l'assidue fréquentation que Venus
ordonne et désire en ces jeux : car, si elles en sont
saines et nettes une sepmaine du mois, c'est tout;
et leur font perdre le reste de l'année : si que des
douze mois ils n'en ont cinq ou six francs, voire
moins. C'est beaucoup; à mode de nos soldats des-
bandez, auxquels à la monstre les commissaires et
trésoriers font perdre de douze mois de l'an plus
de quatre, en leur faisant monter les mois jusques
à quarante et cinquante jours, si que les douze
mois de l'an ne leur revienent pas à huict.
Ainsi s'en trouvent les marjs et amants qui telles
femmes ont et servent, si ce n'est que, du tout
pour assoupir leur paillardise, se veulent souiller
vilainement, sans aucun respect d'impudicité ; et
leurs enfants qui en sortent s'en trouvent mal et
s'en ressentent.
Si j'en voulois raconter d'autres, je n'aurois ja-
mais fait, et aussi que les discours en seroyent
trop sallauds et desplaisants; et ce que j'en dis et
dirois, ce ne seroit des femmes petites et commu-
DEUXIEME DISCOURS
47
nés, mais des grandes et moyennes dames, qui de
leurs visages beaux font mourir le monde, et point
le couvert.
Si feray-je encor ce petit compte, qui est plai-
sant, d'un gentilhomme qu'il me le fit, qui est
qu'en couchant avec une fort belle dame, et d'es-
toffe, en faisant sa besogne il luy trouva en cette
partie quelques poils si piquants et si aigus qu'avec
toutes les incommoditez il la put achever, tant
cela le piquoit et le fiçonnoit. Enfin, ayant fait,
il voulut taster avec la main : il trouva qu'alen-
tour de sa motte il y avoit une demie douzaine de
certains fils garnis de ces poils si aigus, longs, roi-
des et picquants, qu'ils en eussent servy aux cor-
donniers à faire des rivets comme de ceux de
pourceaux, et les voulut voir; ce que la dame luy
permit avec grande difficulté; et trouva que tels
fils entournoient la pièce ny plus ny moins que
vous voyez une médaille entournée de quelques
diamants et rubis, pour servir et mettre en enseigne
en un chappeau ou au bonnet.
f II n'y a pas long temps qu'en une certaine
contrée de Guyenne, une daraoiselle mariée, de
fort bon lieu et bonne part, ainsi qu'elle advi-
soit estudier ses enfants, leur précepteur, par une
certaine manie et frénésie, ou, possible, pour rage
d'amour qui luy vint soudain, il prit une espéequi
estoit de son mary sur le lict, et luy en donna
si bien qu'il lui perça les deux cuisses et les deux
labiés de sa nature de part en part; dont depuis
40 DEUXIEME DISCOURS
elle en cuida mourir, sans le secours d'un bon
chirurgien. Son cas pouvoit bien dire qu'il avoit
esté en deux diverses guerres et attacqué fort di-
versement. Je croy que la veue amprés n'en es-
toit guieres plaisante, pour estre ainsi ballafrée et
ses aisles ainsi brisées : je les dis aisles, parce que
les Grecs appellent ces labiés himenea ; les Latins
les nomment a/a?, et les François labiés, lèvres,
landrons, landilles et autres mots ; mais je trouve
qu'à bon droit les Latins les appellent aisles : car
il n'y a animal ny oyseau, soit-il faucon, niais ou
sot, comme celuy de nos fillaudes, soit-il de pas-
sage, ou hagard, ou bien dressé, de nos femmes
mariées ou veufves, qui aille mieux ny ait l'aisle
si viste.
Je le puis appeller aussi animal avec Rabelais,
d'autant qu'il s'esmeut de soy-mesme; et, soit à le
toucher ou à le voir, on le sent et le void s'es-
mouvoir et remuer de luy-mesme, quand il est en
appétit.
D'autres, de peur de rhumes et catheres, se
couvrent dans le lict de couvre-chefs à l'entour de
la teste, par Dieu, plus que sorcières : au partir
de là, bien habillées, elles sont saffrettes comme
poupines, et d'autres fardées et pintrées comme
images, belles au jour, et la nuict dépeintes et
tres-iaides.
Il faudroit visiter telles dames avant les aymer,
espouser et en jouir, ainsi que faisoit Octave
César avec ses amis , qui faisoit despouiller
DEUXIEME DISCOURS
49
aucunes grandes dames et matrosnes romaines,
voire des vierges meures d'aage, et les visitoit
d'un bout à l'autre, comme si ce fussent esclaves
et serves vendues par un certain maquignon nommé
Torane; et, selon qu'il les trouvoitàson gré et son
point, ny tarées, il en jouissoit.
De mesme en font les Turcs en leur basestan
en Constantinople et autres grandes villes, quand
ilz acheptent des esclaves de l'un et l'autre sexe.
Or je n'en parleray plus ; encor pensé-je en
avoir trop dit; et voilà comment nous sommes
bien trompez en beaucoup de veues que nous
pensons et croyons très-belles. Mais, si nous y
sommes en aucunes dames deceus, nous y sommes
bien autant édifiez et satisfaits en d'aucunes au-
tres, lesquelles sont si belles, si nettes, propres,
fraisches, caillées, si amiables et si en bon point,
bref, si accomplies en toutes parties du corps,
qu'après elles toutes veues mondaines sont chetives
et vaines; dont il y a des hommes qui, en telles
contemplations, s'y perdent tellement qu'ils ne
songent qu'aux actions : aussi, bien souvent,
telles dames se plaisent à se monstrer sans nulle
difficulté, pour ne se sentir taschées d'aucunes
macules, pour nous faire plus entrer en tentation
et concupiscence.
Nous estans un jour au siège de La Rochelle,
le pauvre feu de M. de Guise, qui me faisoit
l'honneur de m'aymer, s'en vint me monstrer des
tablettes qu'il venoit de prendre à Monsieur, frère
Brantôme. II. y
5o DEUXIEME DISCOURS
du roy, nostre gênerai, dans la poche de ses
chausses, et me dit : « Monsieur me vient de faire
un desplaisir et la guerre pour l'amour d'une
dame; mais je veux avoir ma revanche; voyez ce
que j'y ay mis dedans et lisez. » Me donnant les
tablettes, je vis escrit de sa main ces quatre vers
qu'il venoit de faire, mais le mot de f y estoit
tout à trac.
Si vous ne m'avez cogneue,
Il n'a pas tenu à moy;
Car vous m'avez bien veu nue,
Et vous ay monstre de quoy.
Puis, me nommant la dame, ou pour mieux
dire la fille, de laquelle je me doutois pourtant,
je luy dis que je m'estonnois fort qu'il ne l'eust
touchée et cogneue, d'autant que les approches
en avoyent esté grandes, et que le bruit en estoit
par trop commun ; mais il m'asseura que non, et
que ce n'avoit esté que sa faute. Je luy replic-
quay : « Il falloit donc. Monsieur, ou qu'alors il
fust si las et recreu d'ailleurs qu'il n'y pust fournir,
ou qu'il fust si ravy en la contemplation de cette
beauté nue qu'il ne se souciast de l'action. — Pos-
sible (me respondit ce prince) qu'il se pourroit
faire; mais tant y a que ce coup il y faillit; et je
luy en fais la guerre, et je luy vais remettre ses
tablettes dans la poche, qu'il visitera selon sa
coustume, et y lira ce qu'il y faut; et amprés,
me voilà vangé. » Ce qu'il fit, et ne fut amprés
DEUXIEME DISCOURS 5l
sans en rire tous deux à bon escient, et s'en faire
la guerre plaisamment: car, pour lors, c'estoit une
très-grande amitié et privante entr'eux deux, bien
depuis estrangement changée.
J Une dame de par le monde, ou plustost fille,
estant fort aymée et privée d'une très-grande prin-
cesse, estoit dans le lict se rafraischissant, comme
estoit la coustume. Vint un gentilhomme la voir,
qui pour elle brusloit d'amour; mais il n'en avoit
autre chose. Cette dame fille, estant ainsy aimée
et privée de sa maistresse, s'approchant d'elle
tout bellement, sans faire semblant de rien, tout
à coup vint à tirer toute la couverture de dessus
elle, si bien que le gentilhomme, point paresseux
de ses yeux aucunement, les jetta aussitost dessus,
qui vid (à ce que depuis il m'a fait le conte) la
plus belle chose qu'il vid ny qu'il verra jamais, qui
estoit ce beau corps nud, et ses belles parties, et
cette blanche, jolie et belle charnure, qu'il pensa
voir les beautez de paradis. Mais cela ne dura
guieres: car tout aussitost la couverture fut tournée
prendre par la dame, la fille en estant partie de là;
et, de bonheur, cette belle dame, tant plus elle
se remuoit à reprendre la couverture, tant plus elle
se faisoit paroistre; ce qui n'endommageoit nulle-
ment la veue et le plaisir du gentilhomme, qui
autrement ne s'empeschoit à la recouvrir; bien sot
fust esté : pourtant, tellement quellement, elle
recouvra sa couverture, se remit, en se courrou-
çant assez doucement contre la fille, et luy disant
52 DEUXIEME DISCOURS
qu'elle le payeroit. Ladamoiselle luy dit, qui estoit
un petit à l'escart : « Madame, vous m'en aviez
fait une; pardonnez-moysije la vous ay rendue»;
et, passant la porte, s'en alla. Mais l'accord fut
fait aussitost.
Cependant le gentilhomme se trouva si bien de
telle veue, et en tel extase de plaisir et contente-
ment, que je luy ay ouy dire cent fois qu'il n'en
vouloit d'autre en sa vie, que de vivre au songer
de cette ordinaire contemplation; et certes il avoit
raison : car, selon la monstre de son beau visage,
le nonpareil, et sa belle gorge, dont elle a tant
repeu le monde, pouvoit assez monstrer que
dessous il y avoit de caché de plus exquis; et
me disoit qu'entre telles beautez, c'estoit la dame
la mieux flanquée et le plus haut qu'il eust jamais
veue : aussi le pouvoit-elle estre, car elle estoit de
tres-riche taille; mesme entre les beautez il faut
qu'elle le soit, ny plus ny moins qu'une forteresse
de frontière.
Amprés que ce gentilhomme m'eut tout conté,
je ne luy peus que dire : « Vivez doncques, vivez,
mon grand amy, avec cette contemplation divine
et cette béatitude que jamais ne puissiez-vous
mourir; et moy au moins, avant mourir, puissé-je
avoir une telle veue ! »
Ledict gentilhomme en eut pour jamais cette
obligation à la damoiselle, et tousjours depuis
l'honora et l'ayma de tout son cœur. Aussi luy
estoit-il serviteur fort ; mais il ne l'espousa, car
DEUXIEME DISCOURS 53
un autre, plus riche que luy, la luy embla, ainsi
qu'est la coustume à toutes de courir aux biens.
Telles veues sont belles et agréables; mais il se
faut donner garde qu'elles ne nuisent, comme celle
de la belle Diane nue au pauvre Acteon, ou bien
une que je vois dire.
5 Un roy de par le monde ayma fort en son
temps une bien belle , honneste et grand dame
veufve, si bien qu'on l'en tenoit charmé : car peu
il se soucioit des autres, voire de sa femme, sinon
que par intervalles, car cette dame emportoit tous-
jours les plus belles fleurs de son jardin; ce qui
faschoit fort à la reine, car elle se sentoit aussi belle
et agréable que serviable, et digne d'avoir d'aussi
friands morceaux; dont elle s'en esbahissoit fort.
De quoy en ayant fait sa complainte à une sienne
grand dame favorite, elle complotta avec elle d'ad-
viser s'il y avoit tant de quoy, mesmes espier par
un trou le jeu que joueroient son mary et la dame.
Par quoy elle advisa de faire plusieurs trous au-
dessus de la chambre de ladite dame, pour voir le
tout et la vie qu'ils demeneroyent tous deux en-
semble : dont se mirent à tel spectacle; mais elles
n'y virent rien que très-beau, car elles y apper-
ceurent une femme très-belle, blanche, délicate et
tres-fraische, moitié en chemise et moitié nue,
faire des caresses à son amant, des mignardises, des
foUastreries bien grandes, et son amant luy rendre
la pareille, de sorte qu'ils sortoient du lict, et tous
en chemise se couchoient et s'esbattoyent sur le
34 DEUXIEME DISCOURS
tapis velu qui estoit auprès du lict, afïin d'éviter la
chaleur du lict, et pour mieux en prendre le frais:
car c'estoit ^aux plus grandes chaleurs; ainsi que
j*ay cogneu aussi un très-grand prince qui prenoit
de mesme son déduit avec sa femme, qui estoit la
plus belle femme du monde, afïîn d'éviter le chaud
que produisoient les grandes chaleurs de l'esté,
ainsi que luy-mesme disoit.
Cette princesse donc, ayant veu et apperceu le
tout, de dépit s'en mit à plorer, gémir, souspirer
et attrister, luy semblant, et aussi le disant, que
son mary ne luy rendoit le semblable, et ne faisoit
les foHes qu'elle luy avoit veu faire avec l'autre.
L'autre dame qui l'accompagnoit se mit à la
consoler et luy remonstrer pourquoy elle s'attris-
toit ainsi, ou bien, puisqu'elle avoit esté si curieuse
de voir telles choses, qu'il n'en falloit pas espérer
de moins. La princesse ne respondit autre chose,
sinon : « Helas, ouy ! j'ay voulu voir chose que
je ne devois avoir voulu voir, puisque la veue
' m'en fait mal. » Toutesfois, après s'estre consolée
et résolue, "elle ne s'en soucia plus, et, le plus
qu'elle pût, continua ce passe-temps de veue,
et le convertit en risée, et, possible, en autre
chose.
5 J'ay ouy parler d'une grand dame de par le
monde, mais grandissime, qui, ne se contentant de
sa lasciveté naturelle, car elle estoit grand putain,
et mariée et veufve, aussi estoit-elle fort belle,
pour se provoquer et exciter davantage, elle faisoit
DEUXIEME DISCOURS 5S
despouiller ses dames et filles, je dys les plus belles,
et se delicatoit fort à les voir; et puis elle les
battoit du plat de la main sur. les fesses avec de
grandes claquades et plamussades, assez rudes,
et les filles qui avoyent delinqué quelque chose,
avec de bonnes verges; et alors son contentement
estoit de les voir remuer et faire lesmouvemens et
tordions de leurs corps et fesses, lesquelles, selon
les coups qu'elles recevoyent, en monstroyent de
bien estranges et plaisants.
Aucunes fois, sans les despouiller, les faisoit
trousser en robe, car pour lors elles ne portoyent
point de calsons, et les claquetoit et fouettoit sur
les fesses, selon le sujet qu'elles luy donnoyent, ou
pour les faire rire, ou pour plorer. Et, sur ces vi-
sions et contemplations, y aiguisoit si bien ses
appétits qu'après elle les alloit passer bien sou-
vent à bon escient avec quelque gallant homme
bien fort et robuste.
Quelle humeur de femme ! Si bien qu'on dit
qu'ayant une fois veu par la fenestre de son chas-
teau qui visoit sur la rue un grand cordonnier, es-
trangement proportionné, pisser contre la muraille
dudict chasteau, elle eut envie d'une si belle et
grande proportion; et, de peur de gaster son fruit
pour son envie, elle luy manda par un page de la
venir trouver en une allée secrète de son parc, où
elle s'estoit retirée, et là elle se prostitua à luy en
condition qu'elle en engroissa. Voilà ce que servit
la veue à cette dame.
56 DEUXIEME DISCOURS
Et, de plus, j'ay ouy dire qu'outre ses femmes et
filles ordinaires qui estoyent à sa suitte, les estran-
geres qui la venojent voir, dans les deux ou trois
jours, ou toutes les fois qu'elles y venojent, elle
les apprivoisoit aussitost à ce jeu, faisant monstrer
aux siennes premièrement le chemin, et aller de-
vant elles, et les autres après; si bien qu'elles
estoyent estonnées de ce jeu les unes, et les autres
non. Vrayment, voilà un plaisant exercice!
J J'ay ouy parler d'un grand aussi qui prenoit
plaisir de voir ainsi sa femme nue ou habillée, et la
fouetter de claquades, et la voir manier de son
corps.
5 J'ay ouy dire à une honneste dame, qu'estant
fille, sa mère la fouettoit tous les jours deux fois,
non pour avoir forfait, mais parce qu'elle pensoit
qu'elle prenoit plaisir à la voir ainsi remuer les
fesses et le corps, pour autant en prendre d'appétit
ailleurs; et tant plus elle alla sur l'aage de qua-
torze ans, elle persista et s'y acharna de telle façon
qu'à mode qu'elle l'accostoit elle la contemploit
encor plus.
5 J'ay bien ouy dire pis d'un grand seigneur et
prince, il y a plus de quatre-vingts ans, qu'avant
qu'aller habiter avec sa femme se faisoit fouetter,
ne pouvant s'esmouvoir ny relever sa nature bais-
sante sans ce sot remède. Je desirerois volontiers
qu'un médecin excellent m'en dît la raison.
Ce grand personnage Picus Mirandula racconte
avoir veu un certain gallant en son temps, qui,
DEUXIEME DISCOURS D7
d'autant plus qu'on l'estrilloit à grands sanglades
d'estrivieres, c'estoit lors qu'il estoit le plus enragé
après les femmes; et n'estoit jamais si vaillant
après elles s'il n'estoit ainsi estrillé : après il faisoit
rage. Voilà de terribles humeurs de personnes!
Encore celle de la veue des autres est plus agréable
que la dernière.
5 Moy estant à Milan, un jour on me fit un
conte de bonne part : que feu M. le marquis de
Pescayre, dernier mort, vice-roy en Sicile, vint
grandement amoureux d'une fort belle dame ; si
bien qu'un matin, pensant que son mary fust allé
dehors, l'alla visiter qu'il la trouva encores au lict ;
et, 'en devisant avec elle, n'en obtint rien que la
voir et la contempler à son aise sous le linge, et
la toucher de la main. Sur ces entrefaittes survint
le mary, qui n'estoit du calibre du marquis en rien, et
les surprit de telle sorte que le marquis n'eut loisir
de retirer son gand, qui s'estoit perdu, je ne sçay
comment, parmy les draps, comme il arrive sou-
vent. Puis, luy ayant dit quelques mots, il sortit de
la chambre, conduit pourtant du gentilhomme,
qui, amprés estre retourné, par cas fortuit trouva
le gand du marquis perdu dans les draps, dont la
dame ne s'en estoit point apperceue. Il le prit et
le serra, et pû^s, faisant la mine froide à sa femme,
demeura longtemps sans coucher avec elle ny la
toucher; parquoy un jour elle seule dans sa cham-
bre, mettant la main à la plume, se mjt à faire ce
quatrain :
8
58 DEUXIEME DISCOURS
Vigna era, vigna son.
Era podata, or più non son;
E non so per quai cagion
Non mi poda il mio patron.
Et puis laissant ce quatrain escrit sur la table, le
mary vint, qui vid ces vers sur la table, prend la
plume et fait response :
Vigna eri, vigna sei,
Eri podata, e più non sei.
Per la granfa del leon.
Non ti poda il tuo patron.
Et puis les laissa aussi sur la table. Le tout fut
apporté au marquis, qui fit response :
A la vigna che voi dicele
lo fui, e qui restete;
Alzai il pamparo ; guardai la vite ;
Ma, non toccai, si Dio m'ajute.
Cela fut rapporté au mary, qui, se contentant
d'une si honnorable response et juste satisfaction,
reprit sa vigne et la cultiva aussi bien que devant ;
et jamais mary et femme ne furent mieux.
Je m'en vois le traduire en françois, afin que
chacun l'entende.
Je suis esté une belle vigne et le suis encore,
Je suis esté d'autresfois très-bien cultivée;
A st'heure je ne le suis point; et si ne sçay
Pourquoy mon patron ne me cultive plus.
Ouy, vous avez été vigne telle, et l'estes encore,
Et d'autresfois bien cultivée, à st'heure plus ;
DEUXIEME DISCOURS 5c)
Pour Tamour de la griffe du lion,
Vostre mary ne vous cultive plus.
A la vigne que vous autres dittes
Je suis esté certes, et y restay un peu ;
J'en haussay le pampre et en regarday la vis et le raisin ;
Mais Dieu ne me puisse ayder si jamais j'y ay touché !
Par cette griffe du lion il veut dire le gand qu'il
avoit trouvé esgaré entre les linceuls.
Voilà encor un bon mary qui ne s'ombragea par
trop, et, se despouillant de soubçon, pardonna
ainsi à sa femme. Et certes il y a des dames, les-
quelles se plaisent tant en elles-mesmes qu'elles se
regardent et se contemplent nues, de sorte qu'elles
se ravissent se voyans si belles, comme Narcisus.
Que pouvons-nous donc faire les voyant et arre-
gardant?
5 Mariane, femme d'Herode, belle et honneste
femme, son mary voulant un jour coucher avec elle
en plein midy et voir à plein ce qu'elle portoit, luy
refusa à plat (ce dit Josephe). Il n'usa pas de puis-
sance de mary, comme un grand seigneur que j'ay
cogneu, à l'endroit de sa femme, qui estoit des
belles, qu'il assaillit ainsi en plain jour, et la mit
toute nue, elle le déniant fort. Après, il luy ren-
voya ses femmes pour l'habiller, qui la trouvèrent
toute esplorée et honteuse.
D'autres dames y a-il lesquelles à dessein ne font
pas grand scrupule de faire à pleine veue la monstre
de leur beauté, et se descouvrir nues, afin de mieux
encapricier et marteller leurs serviteurs, et les mieux
6o
DEUXIEME DISCOURS
attirer à elles; mais ne veulent permettre nullement
la touche précieuse, au moins aucunes, pour quel-
que temps : car, ne se voulans arrester en si beau
chemin, passent plus outre, comme j'en aj ouy
parler de plusieurs, qui ont ainsi longtemps entre-
tenu leurs serviteurs de si beaux aspects.
Bienheureux sont-ils ceux qui s'y arrestent aux
patiences, sans se perdre par trop en tentation. Et
faut que celuy soit bien enchanté de vertu qui, en
voyant une belle femme, ne se gaste point les yeux;
ainsi que disoit Alexandre quelquesfois à ses amis,
que les filles des Perses faisoyent grand mal aux
yeux à ceux qui les regardoient; et, pour ce, te-
nant les filles du roy Darius ses prisonnières,
jamais ne les saluoit qu'avec les yeux baissez, et
encor le moins qu'il pouvoit, de peur qu'il avoit
d'estre surpris de leur excellente beauté.
Ce n'est dés lors seulement, mais d'aujourd'huy,
qu'entre toutes les femmes d'Orient les Persiennes
ont le los et le pris d'estre les plus belles et accom-
plies en proportions de leur corps et beauté natu-
relle, gentilles, propres en leurs habits et chaus-
sures, mesmement et sur toutes celles de l'ancienne
et royale ville de Seiras, lesquelles sont tellement
louées en leurs beautez, blancheurs et plaisantes
civilitez et bonne grâce, que les Mores, par un an-
tique et commun proverbe, disent que leur pro-
phète Mahommet ne voulut jamais aller à Seiras,
de crainte que, s'il y eust veu une fois ces belles
femmes, jamais amprés sa mort son ame ne fust
DEUXIEME DISCOURS bl
entrée en paradis. Ceux qui y ont esté et en ont
escrit le disent ainsi, en quoy on notera l'hypo-
crite contenance de ce bon rompu et marault pro-
phète; comme s'il ne se trouvoit par escrit, ce dit
Belon, en un livre arabe intitulé : Des bonnes cous-
tumes de Mahommet, le louant de ses forces cor-
porelles, qui se vantoit de pratiquer et repasser
ces unze femmes qu'il avoit en une mesme heure,
l'une après l'autre ! Au diable soit le marault ! N'en
parlons plus : quand tout est dit, je suis bien à
loisir d'en parler.
J'ay veu faire cette question, sur ce trait d'A-
lexandre que je viens de dire, et deScipion l'Afri-
quain : lequel des deux acquist plus grand louange
de continence?
Alexandre, se défiant des forces de sa chasteté,
ne voulut point voir ces belles dames persiennes ;
Scipion, après la prise de Cartage-la-Neufve, vid
cette belle fille espagnole que ses soldats luy ame-
nèrent et luy offrirent pour la part de son butin,
laquelle estoit si excellente en beauté et en si bel
aage de prise que partout où elle passoit elle ani-
moit etadmiroit les yeux de tous à la regarder, et
Scipion mesme; lequel, l'ayant saluée fort cour-
toisement, s'enquist de quelle ville d'Espagne
elle estoit et de ses parents. Luy fut dit,
entre autres choses, qu'elle estoit accordée à un
jeune homme nommé Alucius, prince des Cel-
tiberiens, à qui il la rendit, et à ses père et
mère, sans la toucher; dont il obligea la dame,
02 DEUXIEME DISCOURS
les parens et le fiancé, si bien qu'ils se rendirent
depuis tres-affectionnez à la ville de Rome et à la
republique. Mais que sçait-on si dans son ame
cette belle dame n'eust point désiré avoir esté un
peu percée et entamée premièrement de Scipion,
de luy, dis-je, qui estoit beau, jeune, brave, vail-
lant et victorieux? Possible que, si quelque privé
ou privée des siens et des siennes luyeust demandé
en foy et conscience si elle ne l'eust pas voulu, je
laisse à "penser ce qu'elle eust respondu, ou fait
quelque petite mine approchant de l'avoir désiré,
et, s'il vous plaist, si son climat d'Espagne et son
soleil couchant ne la sçavoit pas rendre, et plu-
sieurs autres dames d'aujourd'huy et de cette
contrée, belles et pareilles à elle, chaudes et aspres
à cela, comme j'en ay veu quantité. Ne faut donc
point douter, si cette belle et honneste fille fust
esté sollicitée et requise de ce beau jeune homme
Scipion, qu'elle ne l'eust pris au mot, voire sur
l'autel de ses dieux prophanes.
En cela ce Scipion a esté certes loué d'aucuns
de ce grand don de continence; d'autres il en a
esté blasmé : car en quoypeut monstrer un brave
et valleureux cavallier la générosité de son cœur,
qu'envers une belle et honneste dame, sinon luy
faire parestre par effet qu'il prise sa beauté et
l'ayme beaucoup, sans luy user de ces froideurs,
respects, modesties et discrétions que j'ay veu
souvent appeller, à plusieurs cavalliers et dames,
plustost sottises et faillement de cœur que vertus?
DEUXIEME DISCOURS 63
Non, ce n'est pas ce qu'une belle et honneste
dame ayme dans son cœur, mais une bonne jouis-
sance, sage, discrète et secrète. Enfin, comme dist
un jour une honneste dame lisant cette histoire,
c'estoit un sot que Scipion, tout brave et généreux
capitaine qu'il fust, d'aller obliger des personnes
à soy et au parti romain par un si sot moyen,
qu'il eust pu faire par un autre plus convenable,
et mesmes puisque c'estoit un butin de guerre,
duquel en cela on doit triompher autant ou plus
que de toute autre chose.
Le grand fondateur de sa ville ne fit pas ainsi,
quand les belles dames sabines furent ravies, à
l'endroit de celle qu'il eut pour sa part ; et en fit
à son bon plaisir, sans aucun respect; dont elle
s'en trouva bien et ne s'en soucia guieres, ny elle
ny ses compagnes, qui firent leur accord aussitost
avec leurs marys et ravisseurs et ne s'en formalisèrent
comme leurs pères et mères, qui en firent esmouvoir
grosse guerre.
Il est vray qu'il y a gens et gens, femmes et
femmes, qui ne veulent accointance de tout le
monde en cette façon; et toutes ne sont pareilles
à la femme du roi Ortragon, l'un des rois gaulois
d'Asie, qui fut belle en perfection ; et, ayant esté
prise en sa defaitte par un centenier romain, et
sollicitée de son honneur, la trouvant ferme, elle
qui eut horreur de se prostituer à luy, et à une
personne si vile et basse, il la prit par force et vio-
lence, que la fortune et l'adventure de guerre luy
64 DEUXIEME DISCOURS
avoit donné par droit d'esclavitude; dont bien-
tost il s'en repentit et en eut la vengeance : car,
elle luy ayant promis une grande rançon pour sa
liberté, et tous deux estans allez au lieu assigné
pour en toucher l'argent, le fît tuer ainsi qu'il le
contoit, et puis l'emporta et la teste à son mary,
auquel confessa librement que celuy-là luy avoit
violé véritablement sa chasteté, mais qu'elle en
avoit eu la vengence en cette façon : ce que son
mary l'approuva et l'honnora grandement. Et,
depuis ce temps là, dit l'histoire, conserva son
honneur jusques au dernier [jour] de sa vie avec
toute sainteté et gravité ; enfin elle en eut ce bon
morceau, fust qu'il vint d'un homme de peu.
Lucrèce n'en fit pas de mesme, car elle n'en
tasta point, bien qu'elle fust sollicitée d'un brave
roy : en quoy elle fit doublement de la sotte, de
ne luy complaire sur le champ et pour un peu, et
de se tuer.
Pour tourner encore à Scipion, il ne sçavoit
point encor bien le train de la guerre pour le butin
et pour le pillage : car, à ce que je tiens d'un
grand capitaine des nostres, il n'est telle viande
au monde pour cela qu'une femme prise de guerre;
et se mocquoit de plusieurs autres ses compa-
gnons, qui recommandoient sur toutes choses, aux
assauts et surprises desvilles, l'honneur des dames,
mesmes aux autres heux et rencontres : car elles
ayment les hommes de guerre tousjours plus que
les autres, et leur violence leur en fait venir plus
DEUXIEME DISCOURS 65
d'appétit; et puis on n'y trouve rien à redire : le
plaisir leur en demeure, l'honneur des marys et
d'elles n'en est nullement hony ; et puis les voylà
bien gastées! Et, qui plus est, sauvent les biens
et les vies de leurs marys, ainsi que la belle Eunoe,
femme de Bogud ou Bocchus, roy de Maurita-
nie, à laquelle Caesar fît de grands biens et à son
mary, non tant, faut-il croire, pour avoir suivy
son party, comme Juba, roy de Bithinie, celuy de
Pompée, mais parce que c'estoit une belle femme,
et que Caesar en eut l'accointance et douce jouis-
sance.
Tant d'autres commoditez de ces amours y a-il
que je passe; et toutesfois, ce disoit ce grand ca-
pitaine, ses autres grands compagnons, pareils à
luy, s'amusans à de vieilles routines et ordonnances
de guerre, veulent qu'on garde l'honneur des
femmes, desquelles il faudroit auparavant sçavoir
en secret et en conscience l'advis, et puis en déci-
der; ou, possible, sont-ils du naturel de nostre
Scipion, lequel, ne se contentant tenir de celuy du
chien de l'ortolan, lequel, comme j'ay dit cy-
devant, ne voulant manger des choux du jardin,
empesche que les autres n'en mangent, ainsi qu'il
fît à l'endroit du pauvre Massinissa, lequel, ayant
tant de fois hazardé sa vie pour luy etpour le peuple
romain, tant peiné, sué et travaillé pour luy ac-
quérir gloire et victoire, il luy refusa et osta la
belle reine Sophonisba, qu'il avoit prise et choisie
pour son principal et plus précieux butin; il la
Brantôme. II. 9
66 DEUXIEME DISCOURS
luy enleva pour l'envoyer à Rome à vivre le reste
de ses jours en misérable esclave, si Massinissa
n'y eust remédié. Sa gloire en fust esté plus belle
et plus ample si elle y eust comparu en glorieuse
et superbe reine, femme de Massinissa, et que
l'on eust dit, la voyant passer : « Voilà l'une des
belles vestiges des conquestes de Scipion )> ; car
la gloire certes gist bien plus en l'apparence des
choses grandes et hautes que des basses.
Pour fin, Scipion en tout ce discours fit de
grandes fautes : ou bien il estoit ennemy du tout
du sexe femenin, ou du tout impuissant de le con-
tenter, bien qu'on die que sur ses vieux jours il
se mit à faire l'amour à une des servantes de sa
femme; ce qu'elle comporta fort patiemment,
pour des raisons qui se pourroyent là-dessus al-
léguer.
Or, pour sortir de la disgression que je viens
d'en faire, et pour rentrer au plain chemin que
j'avois laissé, je dis, pour faire fin à ce discours,
que rien au monde n'est si beau à voir et regarder
qu'une belle femme pompeusement habillée, ou
délicatement deshabillée et couchée; mais qu'elle
soit saine, nette, sans tare, suros ny mallandre,
comme j'ay dit.
5 Le roy François disoit qu'un gentilhomme,
tant superbe soit-il, ne sçauroit mieux recevoir un
seigneur, tant grand soit-il, en sa maison ou
chasteau, mais qu'il y opposât à sa veue et première
rencontre une belle femme sienne, un beau cheval
DEUXIEME DISCOURS 67
et un beau lévrier : car, en jettant son œil tan-
tost sur l'un, tantost sur l'autre, et tantost sur le
tiers, il ne se sçauroit jamais fascher en cette
maison; mettant ces trois choses belles pour tres-
plaisantes à voir et admirer, et en faisant cet
exercice tres-agreable.
î La reine Isabel de Castille disoit qu'elle pre-
noit un très-grand plaisir de voir quatre choses :
Hombre d'armas en campo, ohisbo puesto en ponti-
fical, linda dama en la cama, y ladron en la horca :
(( un homme d'armes sur les champs, un evesque
en son pontifical, une belle dame dans un lict, et
un larron au gibet. »
5 J'ay ouy raconter à feu M. le cardinal de
Lorraine le Grand, dernier decedé, que, lorsqu'il
alla à Rome vers le pape Paul IV, pour rompre la
trefve faite avec l'empereur, il passa à Venise, oi^i
il fut tres-honnorablement receu, il n'en faut point
doubter, puisqu'il estoit un si grand favory d'un
si grand roy. Tout ce grand et magnifique sénat
alla au devant de luy ; et, passant par le grand
canal, où toutes les fenestres des maisons estoyent
bordées de toutes les femmes de la ville, et des
plus belles, qui estoyent là accourues pour voir
cette entrée, il y en eut un des plus grands qui
l'entretenoit sur les affaires de Testât, et luy en
parloit fort ; mais, ainsi qu'il jettoit fort ses yeux
fixement sur ces belles dames, il luy dit en son
patois langage : « Monseigneur, je croy que vous
ne m'entendez, et avez raison; car il y a bien plus
68 DEUXIEME DISCOURS
de plaisir et différence de voir ces belles dames à
ces fenestres, et se ravir en elles, que d'ouyr par-
ler un fascheux vieillard comme moy, et parlast-il
de quelque grande conqueste àvostre advantage. »
M. le cardinal, qui n'avoit faute d'esprit et de
mémoire, luy respondit de mot à mot à tout ce
qu'il avoit dit, laissant ce bon vieillard fort satis-
fait de luy, et en admirable estime qu'il eut de
luy qui, pour s'amuser à la veue de ces belles
dames, il n'avoit rien oublié ny obmis de ce qu'il
luy avoit dit.
Qui aura veu la cour de nos rois François,
Henry second, et autres rois ses enfans, advouera
bien, quel qu'il soit, et eust-il veu tout le monde,
n'avoir rien veu jamais de si beau que nos dames
qui sont estées en leur cour, et de nos reines, leurs
femmes et mères et sœurs; mais plus belle chose
encor eust-il veu (ce dit quelqu'un) si le grand-
pere de maistre Gonnin eust vescu, et qui, par ses
inventions, illusions, sorcelleries et enchantements,
les eust pu représenter devestues et nues, comme
l'on dit qu'il le fît une fois en quelque compagnie
privée, que le roy François luy commanda : car il
estoit un homme très-expert et subtil en son art;
et son petit-fîls, qu'avons veu, n'y entendoit rien
au prix de luy.
Je pense que cette veue seroit aussi plaisante
comme fut jadis celle des dames égiptiennes en
Alexandrie, à l'accueil et réception de leur grand
dieu Apis, au devant duquel elles alloyent en
DEUXIEME DISCOURS 69
tres-grande ceremonfe, et levant leurs robbes,
cottes et chemises, et les retroussant le plus haut
qu'elles pouvoyent, les jambes fort eslargies et
escarquillées , leur monstroyent leur cas tout à
fait; et puis, nele revoyoient plus; pensez qu'elles
cuidoyent l'avoir bien payé décela. Qui en voudra
voir le conte lise Alexan. ab Alex., au 6^ livre
des Jours jovials. Je pense que telle veue en
estoit bien plaisante, car pour lors les dames d'A-
lexandrie estoyent belles, comme encores sont
aujourd'huy.
Si les vieilles et laides faisoyent de mesme, passe :
car la veue ne se doit jamais estendre que sur le
beau, et fuir le laid tant que l'on peut.
En Suisse, les hommes et femmes sont pesle-
mesle aux bains et estuves sans faire aucun acte
deshonneste, et en sont quittes en mettant un linge
devant : s'il est bien délié, encôr peut-on voir
chose qui plaist ou deplaist, selon le beau ou
laid.
Avant que finir ce discours, si diray-je encor ce
mot : en quelles tentations et récréations de veue
pouvoyent entrer aussi les jeunes seigneurs, che-
valliers, gentilshommes, plebeans et autres Ro-
mains, le temps passé, le jour que se celebroit la
feste de Flora à Rome, laquelle on dit avoir esté
la plus gentille et la plus triomphante courtisanne
qu'oncques exerça le putanisme dans Rome, voire
ailleurs. Et qui plus la recommandoit en cela,
c'est qu'elle estoit de bonne maison et de grande
yO DEUXIEME DISCOURS
lignée; et, pour ce, telles dames de si grande
estoffe Yoluntiers plaisent plus, et la rencontre en
est plus excellente que des autres.
Aussi cette dame Flora eut cela de bon et de
meilleur que Lays, qui s'abandonnoit à tout le
monde comme une bagasse, et Flora aux grands;
si bien que sur le sueil de sa porte elle avoit mis
cet escriteau : Kois, princes, dictateurs, consuls,
censeurs, pontifes, questeurs, ambassadeurs, et au-
tres grands seigneurs, entrez, et non d'autres.
Lays se faisoit tousjours payer avant la main,
et Flora point, disant qu'elle faisoit ainsi avec les
grands, afin qu'ils fissent de mesme avec elle
comme grands et illustres, et aussi qu'une femme
d'une grande beauté et haut lignage sera tousjours
autant estimée qu'elle se prise; et si ne prenoit
sinon ce qu'on luy donnoit, disant que toute dame
gentille devoit faire plaisir à son amoureux pour
amour, et non pour avarice, d'autant que toutes
choses ont certain prix, fors l'amour.
Pour fin, en son temps elle fit si gentiment l'a-
mour, et se fit si bravement servir, que, quand elle
sortoit de son logis quelquesfois pour se pourme-
ner en ville, il y avoit assez à parler d'elle pour
un mois, tant pour sa beauté, ses belles et riches
parures, ses superbes façons^ sa bonne giace, que
pour la grande suitte de courtisans et serviteurs et
grands seigneurs qui estoyent avec elle, et qui la
suivoyent et accompagnoient comme vrays escla-
ves ; ce qu'elle enduroit fort patiemment. Et les
DEUXIÉIVIE DISCOURS 7I
ambassadeurs estrangers, quand ils s'en retour-
noyent en leurs provinces, se plaisoyent plus à faire
des contes de la beauté et singularité de la belle
Flora que de la grandeur de la republic[ue de
Rome, et surtout de sa grande libéralité, contre
le naturel pourtant de telles dames ; mais aussi
estoit-elle outre le commun, puisqu'elle estoit
noble.
Enfin elle mourut si riche et si opulente que la
valeur de son argent, meubles et joyaux, estoit
suffisant pour refaire les murs de Rome, et encor
pour desengager la republique. Elle fit le peuple
romain son héritier principal, et, pour ce, luy fut
édiffié dans Rome un temple tres-sumptueux, qui
de Flore fut appelé Florian.
La première feste que l'empereur Galba célébra
jamais fut celle de l'amoureuse Flora, en laquelle
estoit permis aux Romains et Romaines de faire
toutes les desbauches, deshonnestetez, sallauderies
et debordemens à l'envy, dont se pourroyent advi-
ser; en sorte qu'on estimoit plus sainte et la plus
gallante celle qui, ce jour là, faisoit plus de la
dissolue et de la deshonneste et débordée.
Pensez qu'il n'y avoit ny fiscaigne, que les cham-
brières et esclaves mores dansent les dimanches
à Malthe, en pleine place devant le monde, ny
sarabande qui en approchast, et qu'elles n'y ou-
blioyent ny mouvement ny remuemens lascifs, ny
gestes paillards, ny tordions bizarres. Et qui en
pouvoit excogiter de plus dissolus et débordez,
72 DEUXIEME DISCOURS
tant plus gallante estoit la dame ; d'autant que
telle opinion estoit parmj les Romains, que qui
alloit au temple de cette déesse en habit et geste
et façon plus lascive et paillarde auroit mesme
grâce et oppulents biens que Flora avoit eu.
Vrayment voilà de belles opinions et belle so-
lemnisation de feste! aussi estoyent-ils payens. Là-
dessus ne faut douter si elles y oublioyent nul
genre de lascivetez, et si long temps avant ces
bonnes dames y estudioyent leur leçon, ny plus ny
moins que les nostres à apprendre un ballet, et si
elles estoyent affectionnées en cela. Les jeunes
hommes, voire les vieux, y estoyent bien autant
empressez à voir et contempler telles lascives si-
magrées. Si telles se pouvoyent représenter parmy
nous, le monde en feroit bien son proffît en toutes
sortes; et pour estre à telles veues le monde se
tueroit de la presse.
Il y a assez là à gloser qui voudra; je le laisse
aux bons gallants. Qu'on lise Suétone, Pausanias
grec et Manilius latin, aux livres qu'ils ont fait
des dames illustres, amoureuses et fameuses, on
verra tout.
Ce conte encor, et puis plus :
Il se lit que les Lacedemoniens allèrent une
fois pour mettre le siège devant Messene, à quoy
les Meceniens les previndrent, car ils sortirent d'a-
bord sur eux les uns, et les autres tirèrent et cou-
rurent à Lacedemone, pensant la surprendre et la
piller cependant qu'ils s'amusoient devant leur
DEUXIEME DISCOURS yS
ville; mais ils furent valleureusement repoussez et
chassez par les femmes qui estoyent demeurées :
ce que sçachans, les Lacedemoniens rebroussèrent
chemin et tournèrent vers leur ville; mais de loin
ils descouvrent leurs femmes toutes en armes, qui
avoyent donné la chasse, dont ils furent en al-
larme; mais elles se firent aussitost à eux cog-
noistre, et leur raconter leur fortune; dont ils se
mirent de joye à les baiser, embrasser et caresser,
de telle sorte que, perdans toute honte, et sans
avoir la patience d'oster les armes, ny eux ny elles,
leur firent cela bravement en mesme place qu'ils
les rencontrèrent, oii l'on put voir choses et autres,
etouir un plaisant son et cliquetis d'armes et d'autre
chose. En mémoire de quoy ils firent bastir un
temple et simulachre à la déesse Venus, qu'ils ap-
pelèrent Venus Vannée, au contraire de tous les
autres, qui la peignent toute nue. Voilà une plai-
sante cohabitation, et un beau sujet, de peindre
Venus armée, et l'appeler ainsi !
Il se void souvent parmy les gens de guerre,
mesme aux prises de villes par assauts, force sol-
dats tous armés jouir des femmes, n'ayans le loisir
et la patience de se desarmer pour passer leur rage
et appétit, tant ils sont tentés; mais de voir le
soldat armé habiter avec la femme armée, il s'en
void peu. Il se faut là-dessus songer le plaisir qui
s'en peut ensuivre, et quel plus grand pouvoit
estre en ce beau mystère, ou pour l'action, ou
pour la veue, ou pour la sonnerie des armes. Cela
74 DEUXIEME DISCOURS
gist en l'imagination qu'on en pourroit faire, tant
pour les agents que pour les arregardans qui es-
tojent là pour lors.
Or, c'est assez; faisons fin.
J'eusse fait ce discours plus ample de plusieurs
exemples, mais je craignois que, pour estre trop
lascif, j'en eusse encouru mauvaise réputation.
Si faut-il qu'après avoir tant loué les belles femmes,
que je fasse le conte d'un Espagnol qui, voulant
mal à une femme, me la dépeignit un jour comme il
falloit, et me dit : Seiïor, vieja es como la lampada
azeitunada d'iglesia^ y de hechura del armario,
larga y desvayada, el color y gesto como mascara
mal pintada^ el talle como una campana o mola
de molinOj la vista como ydolo del tiempo antiguo,
el andar y vision d'una antigua fantasma de la
noche , que tanîo tuviesse encontrarla de noche,
como ver una mandragora. lesus ! lesus! Dios me
libre de su mal encuentro! No se contenta de tener
en su casa por huesped al provisor del ohisho, ny se
contenta con la demasiada conversacion del vicario
ny del guardian, ny de la amistad antigua del dean,
sino que agora de nuevo ha tomado al que pide para
las animas de purgatorio^ para acabar su negra
vida .-((Voyez la : elle est comme une lampe vieille
et toute graisseuse d'hujle d'église; de forme et
façon, elle ressemble un armoire grand et vague et
mal basti; la couleur et la grâce comme d'un mas-
que mal peint; la taille comme une cloche de
monastère ou meule de moulin; le visage comme
DEUXIEME DISCOURS yD
d'un idole du temps passé; le regard et l'aller
comme un fantosme antique qui va de nuict : de
sorte que je craindrois autant de la rencontrer de
nuict comme de voir une mandragore. Jésus !
Jésus! Dieu m'en garde de telle rencontre! Elle
ne se contente pas d'avoir pour hoste ordinaire
chez soy le proviseur de i'evesque, ny se contente
de la desmesurée conversation du vicaire, ny de
la continue visite du gardien, ny de l'ancienne
amitié du doyen, sinon qu'à cette heure de nou-
veau elle a pris en main celuy qui demande pour
les âmes du purgatoire, et ce pour achever sa
noire vie. »
Voilà comment l'Espagnol, qui a si bien dépeint
les trente beautez d'une dame, comme j'ay dit
cy-dessus en ce discours, quand il veut, la sçait
bien déprimer.
e^ ,:^
-^5^^'
LA JARRETIERE
i Dames Galantes, Discours III
TROISIEME DISCOURS
SUR LA BEAUTE DE LA BELLE JAMBE
ET LA VERTU Q^U ELLE A
^^J^NTRE plusieurs belles beautez quej'ay
-%^^>?^ veu louer quelques fois parmy nous
I ^ir^^l^^^^^'^^^ courtisans, et autant propres à
S«ç^^>î;( attirer à l'amour, c'est qu'on estime
fort une belle jambe à une belle dame; dont j'ay
veu plusieurs dames en avoir gloire, et soin de les
avoir et entretenir belles. Entre autres, j'ay ouy
raconter d'une très-grande princesse de par le
monde, que j'ay cogneu, laquelle aymoit une de
ses dames par dessus toutes les siennes, et la favo-
risoit par dessus les autres, seulement parcequ'elle
luy tiroit ses chausses si bien tendues, et enaccom-
modoit la grève, et mettoitsi proprement la jarre-
tière, et mieux que toute autre; de sorte qu'elle
estoit fort advancée auprès d'elle; mesme luy fît de
bons biens. Et par ainsi, sur cette curiosité qu'elle
y8 TROISIEME DISCOURS
avoit d'entretenir sa jambe ainsi belle, faut penser
que ce n'estoit pour la cacher sous sa juppe, ny
son cotillon ou sa robbe, mais pour en faire parade
quelquesfois avec de beaux callesons de toille d'or
et d'argent, ou d'autre estoffe, très-proprement et
mignonnement faits, qu'elle portoit d'ordinaire :
car l'on ne se plaist point tant en soy que l'on
n'en vueille faire part à d'autres de la veue et du
reste.
Cette dame aussi ne se pouvoit pas excuser en
disant que c'estoit pour plaire à son mary, comme
la pluspart d'elles le disent, et mesmes les vieilles,
quand elles se font si pimpantes et gorgiases, en-
cores qu'elles soyent vieilles; mais cette-cy estoit
veufve. Il est vray que du temps de son mary elle
faisoit de mesme, et pour ce ne voulut discontinuer
par amprés, l'ayant perdu.
J'ay cogneu force belles, honnestes dames et
filles, qui sont autant curieuses de tenir ainsi pré-
cieuses et propres et gentilles leurs belles jambes;
aussi elles en ont raison : car il y gist plus de lasci-
veté qu'on ne pense.
5 J'ay ouy parler d'une très-grande dame, du
temps du roy François, et très-belle, laquelle s'es-
tant rompu une jambe, et se l'estant faitte rabiller,
elle trouva qu'elle n'estoit pas bien, et estoit de-
meurée toute torte; elle fut si résolue qu'elle se
la fit rompre une autre fois au rabilleur, pour la
remettre en son point, comme auparavant, et la
rendre aussi belle et aussi droite. Il y en eut quel-
TROISIEME DISCOURS 7Q
qu'une qui s'en esbahit fort ; mais à celle une autre
belle dame fort entendue fit response et luy dit :
« A ce que je vois, vous ne sçavez pas quelle vertu
amoureuse porte en soy une belle jambe. »
5 J'aj cogneu autresfois une fort belle et hon-
neste fille de par le monde, laquelle, estant fort
amoureuse d'un grand seigneur, pour l'attirer à
soy et en escroquer quelque bonne pratique, et
n'y pouvant parvenir, un jour estant en une allée
de parc, et le voyant venir, elle fit semblant que
sa jarretière luy tomboit ; et, se mettant un peu à
l'escart, haussasa jambe, et se mit à tirer sa chausse
et rabiller sa jarretière. Ce grand seigneur l'advisa
fort, et en trouva la jambe très-belle; et s'y perdit
si bien que cette jambe opéra en luy plus que n'a-
voit fait son beau visage ; jugeant bien en soy que
ces deux belles colonnes soustenoyent un beau
bastiment ; et depuis l'advoua-il à sa maistresse,
qui en disposa après comme elle voulut. Notez
cette invention et gentille façon d'amour.
f J'ay ouy parler aussi d'une belle et honneste
dame, surtout fort spirituelle, de plaisante et
bonne humeur, laquelle, se faisant un jour tirer sa
chausse à son vallet de chambre, elle luy demanda
s'il n'entroit point pour cela en ruth, tentation et
concupiscence ; encor dit-elle et franchit le mot
tout outre. Le vallet, pensant bien dire, pour le
respect qu'il luy portoit, luy respondit que non.
Elle soudain haussa la main et luy donna un grand
soufflet. « Allez, dit-elle, vous ne me servirez
bo TROISIEME DISCOURS
jamais plus ; vous estes un sot, je vous donne vostre
congé. »
Il y a force vallets de filles aujourd'huy qui ne
sont si continents, en levant, habillant et chaus-
sant leurs maistresses ; il y a aussi des gentils-
hommes qui n'eussent fait ce trait, voyant un si
bel appas.
Ce n'est d'aujourd'huy seulement que l'on a es-
timé la beauté des belles jambes et beaux pieds,
car c'est une mesme chose ; mais, du temps des
Romains, nous lisons que Lucius Vitellius, père
de l'empereur Vitellius, estant fort amoureux de
Massalina, et désirant estre en grâce avec son
mary par son moyen, la pria un jour de luy faire
cet honneur de luy accorder un don. L'emperiere
luy demanda : « Et quoyj? — C'est, Madame
(dit-il) qu'il vous plaise qu'un jour je vous des-
chausse vos escarpins. » Massalina, qui estoit toute
courtoise pour ses sujets, ne luy voulut refuser
cette grâce; et, l'ayant deschaussée, en garda un
escapin et le porta tousjours sur soy entre la che-
mise et la peau, le baisant le plus souvent qu'il
pouvoit, adorant ainsi le beau pied de sa dame
par l'escarpin, puisqu'il ne pouvoit avoir à sa dis-
position le pied naturel ny la belle jambe.
Vous avez lemilord d'Angleterre des Cent Nou-
velles de la reine de Navarre, qui porta de mesme
le gand de sa maistresse à son costé, et si bien
enrichy. J'ay cogneu force gentilshommes qui,
premier que porter leurs bas de soye, prioient les
TROISIEME DISCOURS 8l
dames et maistresses de les essayer et les porter
devant eux quelques huict ou dix jours, du plus
que du moins, et puis les portoyent en très-grand
vénération et contentement d'esprit et de corps.
*^ J'aj cogneu un seigneur de par le monde,
qui, estant sur la mer avec une très-grande dame
des plus belles du monde, qui, voyageant par son
pays, et d'autant que ses femmes estoyent malades
de la marette, et par ce tres-mal disposées pour la
servir, le bonheur fut pour luy qu'il fallut qu'il la
couchast et levast; mais en la couchant et levant,
la chaussant et deschaussant, il en devint si amou-
reux qu'il s'en cuida désespérer, encor qu'elle luy
fust proche : comme certes la tentation en est
par trop extresme, et il n'y a nul si mortifié qui ne
s'en esmeut.
f Nous lisons de la femme de Néron, Popea
Sabina, qui estoit la plus favorite des siennes, la-
quelle, outre qu'elle fût la plus profuse en toutes
sortes de superfluitez, d'omemens, de parures, de
pompes et de ses coustemens d'habits, elle portoit
des escarpins et pianelles toutes d'or. Cette curio-
sité ne tendoit pas pour cacher son pied ny sa
jambe à Néron, son cocu de mary : luy seul n'en
avoit pas tout le plaisir ny la veue; il y en avoit
bien d'autres. Elle pouvoit bien avoir cette curio-
sité pour elle, puisqu'elle faisoit ferrer les pieds
de ses juments, qui traisnoyent son coche, de
fers d'argent.
5 M. saint Jerosme reprend bien fort une dame
Brantôme. II, 1 1
82 TROISIEME DISCOURS
de son temps qui estoit trop curieuse de la beauté
de sa jambe, par ces propres mots : a Par la petite
botine brunette , et bien tirée et luisante, elle
sert d'appeau aux jeunes gens, et d'amorces par le
son des bouclettes. « Pensez que c'estoit quelque
façon de chaussure qui couroit de ce temps-là,
qui estoit par trop affettée, et peu séante aux
prudes femmes. La chaussure de ces botines est
encores aujourd'huy en usage parmy les dames
de la Turquie, et des plus grandes et plus chastes.
5 J'ay veu discourir et faire question quelle jambe
estoit plus tentative et attrayante, ou la nue, ou
la couverte et chaussée ? Plusieurs croyent qu'il n'y
a que le naturel, mesme quand elle est bien faitte
au tour de la perfection, et selon la beauté que
dit l'Espagnol que j'ay dit cy-devant, et qu'elle
est bien blanche, belle et bien polie, et monstrée
à propos dans un beau lict : car autrement, si une
dame la vouloit monstrer toute nue en marchant
ou autrement, 'et des souUiers aux pieds, quand
bien elle seroit la plus pompeusement habillée du
monde, elle ne seroit jamais trouvée bien décente
ny belle, comme une qui seroit bien chaussée d'une
belle chausseure de 'soye de coulleur ou de fillet
blanc, comme on fait à Fleurance pour porter
l'esté, dont j'ay veu d'autres fois nos dames en
porter, avant le grand usage que nous avons eu
depuis des chausses de soye ; et après faudroit
qu'elle fust tirée et tendue comme la peau d'un
tabourin, et puis attachée ou avec esguillettes ou
TROISIEME DISCOURS 83
autrement, selon la volonté et l'humeur des dames ;
puis faut accompagner le pied d'un bel escarpin
blanc, et d'une mule de velours noir ou d'autre
couleur, ou bien d'un beau petit patin, tant bien
fait que rien plus, comme j'en ay veu porter à une
très-grande dame de par le monde, des mieux faits
et plus mignonnement.
En quoy faut adviser aussi la beauté du pied :
car, s'il est par trop grand, il n'est plus beau; s'il
est par trop petit, il donne mauvaise opinion et
signifîance de sa dame, d'autant qu'on dit : petit
pied, grand c, ce qui est un peu odieux; mais il
faut qu'il soit un peu médiocre, comme j'en- ay
veu plusieurs qui en ont porté grandes tentations,
et mesmes quand leurs dames le faisoyent sortir et
paroistre à demy hors du cotillon, et le faisoyent
remuer et frétiller par certains petits tours et re-
muements lascifs, estans couverts d'un beau petit
patin peu liegé, et d'un escarpin blanc pointu et
point quarré par le devant; et le blanc est le plus
beau. Mais ces petits patins et escarpins sont pour
les grandes et hautes femmes, non pour les cour-
taudes et nabottes, qui ont leurs grands chevaux
de patins liegez de deux pieds : autant vaudroit
voir remuer cela comme la massue d'un géant ou
la marotte d'un fou.
D'une autre chose aussi se doit bien garder la
dame, de ne déguiser son sexe et ne s'habiller en
garçon, soit pour une mascarade ou autre chose :
car, encor qu'elle eust la plus belle jambe du
84 TROISIEME DISCOURS
monde, elle s'en monstre difforme, d'autant qu'il
faut que toutes choses ayent leur propreté et leur
séance; tellement qu'en démentant leur sexe, dé-
figurent du tout leur beauté et gentillesse natu-
relle.
Voilà pourquoj il n'est bien séant qu'une femme
se garçonne pour se faire monstrer plus belle, si
ce n'est pour se gentiment adoniser d'un beau
bonnet avec la plume à la guelfe ou gibeline
attachée, ou bien au devant du front, pour ne
trancher ny de l'un ny de l'autre, comme depuis
peu de temps nos dames d'aujourd'huy l'ont mis
en vogue ; mais pourtant à toutes il ne sied pas
bien; il faut en avoir le visage poupin et fait exprés,
ainsi que l'on a veu à nostre reine de Navarre,
qui s'en accommodoit si bien qu'à voir le visage
seulement adonisé, on n'eust sceu juger de quel
sexe elle tranchoit, ou d'un beau jeune enfant, ou
d'une très-belle dame qu'elle estoit.
Dont il me souvient qu'une de par le monde,
que j'ay cogneue, qui la voulant imiter sur l'aage
de vingt-cinq ans, et de par trop grande et haute
taille, hommasse, et nouvellement venue à la
cour, pensant faire de la gallante,, comparut un
jour en la sale du bal; et ne fut sans estre fort
arregardée et assez brocardée, jusques au roy qui
en donna aussitost sa sentence, car il disoit des
mieux de son royaume; et dit qu'elle ressembloit
fort bien une batteleuse, ou, pour plus proprement
dire, de ces femmes en peinture que l'on porte de
TROISIEME DISCOURS 85
Flandres, et que l'on met au devant des chemi-
nées d'hostelleries et cabarets avec des fleustes
d'Allemand au bec; si bien qu'il luy fît dire que si
elle comparoissoitplus en cet habit et contenance,
qu'il luj seroit signifié de porter sa fîeutte pour
donner l'aubade et récréation à la noble compa-
gnie. Telle guerre luy fît-il, autant pour ce que
cette coiffure luy sieoid mal que pour haine qu'il
portoit à son mary.
Voilà pourquoy tels déguisements ne siezent
bien à toutes dames : car, quand bien cette reine
de Navarre, qui est la plus belle du monde, se fust
voulu autrement déguiser de son bonnet, elle
n'eust jamais comparu si belle comme elle est, et
n'eust peu; aussi, qu'auroit-elle sceu prendre
forme plus belle que la sienne, car de plus belles
n'en pouvoit-elle prendre ny emprunter de tout le
monde. Et, si elle eust voulu monstrer sa jambe,
que j'ay ouy dire à aucunes de ses femmes, et la
peindre pour la plus belle et mieux faitie du monde,
autrement qu'en son naturel, 'ou bien estant chaus-
sée proprement sous ses beaux habits, on ne l'eust
jamais trouvée si belle. Ainsi faut-il que les belles
dames comparoissent et facent monstre de leurs
beautez.
J'ay leu dans un livre espagnol, intitulé clViagc
del Principe^ qui fut celuy que fît le roy d'Espagne
en ses Païs-Bas, du temps de l'empereur Charles
son père, entre autres beaux recueils qu'il receut
parmy ses riches et opulentes villes, ce fut de la
86 TROISIÈME DISCOURS
reine d'Hongrie en sa belle ville de Bains, dont le
proverbe fut : Mas brava que las fîestas de Bains.
Entre autres magnificences fut que, durant le
siège d'un chasteau qui fut battu en feinte et as-
siégé en forme de place de guerre (je le descris
ailleurs), elle fit un jour un festin, sur tous autres,
à l'empereur son bon frère, à la reine Eleonor sa
sœur, au roj son nepveu, et à tous les seigneurs,
chevalliers et dames de la cour. Sur la fin du festin
comparut une dame, accompagnée de six nimphes
oreades, vestues à l'antique, à la nimphale et mode
de la vierge chasseresse, toutes vestues d'une toille
d'argent et vert et un croissant au front, tout cou-
vert de diamants, qu'ils semblojent imiter la lueur
de la lune, portant chacune son arc et ses flesches
en la main, et leurs carquois fort riches au costé,
leurs botines de mesme toille d'argent, tant bien
tirées que rien plus. Et ainsi entrèrent en la salle,
menans leurs chiens après elles; et présentèrent à
l'empereur et luy mirent sur sa table toute sorte
de venaison en paste, qu'elles avoyent pris en leur
chasse.
Et après vint Paies, la déesse des pasteurs, avec
six nimphes nappées vestues toutes de blanc, de
toille d'argent, avec les garnitures de mesme en la
teste, toutes couvertes de perles, et avoyent aussi
des chausses dépareille toille avec l'escarpin blanc,
qui portèrent de toute sorte de laitage, et le po-
sèrent devant l'empereur.
Puis, pour la troisième bande, vint la déesse
TROISIEME DISCOURS
7
Pommona, avec ses nimphes najadesqui portèrent
le dernier service du fruict. Et cette déesse estoit
la fille de dona Beatrix Pacecho, comtesse d'An-
tremont, dame d'honneur de la reine Eleonor, la-
quelle pouvoit avoir alors que neuf ans. C'est celle
qui est aujourd'huy madame l'admiralle de Chas-
tillon , que M. l'admirai espousa en secondes
nopces ; laquelle fille et déesse apporta avec ses
compagnes toutes sortes de fruicts qui se pou-
voyent alors trouver, car c' estoit en esté, des plus
beaux et plus exquis, et les présenta à l'empereur
avec une harangue si éloquente, si belle et pro-
noncée de si bonne grâce, qu'elle s'en fit fort
aymer et admirer de l'empereur et de toute l'as-
semblée, veu son jeune aage, que dés lors on pré-
sagea qu'elle seroit ce qu'elle est aujourd'huy, une
belle, sage, honneste, vertueuse, habille et spiri-
tuelle dame.
Elle estoit pareillement habillée à la nimphale
comme les autres, vestues de toille d'argent et
blanc, chaussées de mesme , et garnies à la teste
de force pierreries; mais c'estoyent toutes esme-
raudes, pour représenter en partie la couleur du
fruit qu'elles apportoyent; et, outre le présent du
fruict, elle en fitun à l'empereur et au roy d'Espagne
d'un rameau de victoire tout esmaillé de vert, les
branches toutes chargées de grosses perles et pier-
reries, ce qui estoit fort riche à voir et inestimable;
à la reine Eleonor un esventail, avec un mirouer
dedans, tout garny de pierreries de grande valeur.
ôô TROISIEME DISCOURS
Certes, cette princesse et reine d'Hongrie mons-
troit bien qu'elle estoit une honneste dame en tout,
et qu'elle sçavoit son entregent aussi bien que le
mestier de la guerre; et, à ce que j'ay ouj dire,
l'empereur son frère avoit un grand contentement
et soulagement d'avoir une si honneste sœur et
digne de luy.
Or l'on me pourroit objecter pourquoj j'ay
fait cette digression en forme de discours. C'est
pour dire que toutes ces filles, qui avoyent joué ces
personnages, avoyent esté choisies et prises pour
les plus belles d'entre toutes celles des reines de
France et d'Hongrie et madame de Lorraine, qui
estoyentfrançoises, italienes, flamendes, allemandes
et lorraines; parmy lesquelles n'y avoit faute de
beauté; et Dieu sçait si la reine de Hongrie avoit
esté curieuse d'en choisir des plus belles et de
meilleure grâce.
Madame de Fontaine-Chalandry, qui est encor
en vie, en sçauroit bien que dire, qui estoit lors
fille de la reine Eleonor, et des plus belles : on
l'appelloit aussi la belle Torcy, qui m'en a bien
conté. Tant y a que je tiens d'elle et d'ailleurs que
les seigneurs, gentilshommes et cavalliers de cette
cour, s'amusèrent à regarder et contempler les
belles jambes, grèves et beaux petits pieds de ces
dames : car, vestues ainsi à la nimphale, elles
estoyent courtement habillées, et en pouvoyent
faire une très-belle monstre, plus que leurs beaux
visages qu'ils pouvoyent voir tous les jours, mais
TROISIEME DISCOURS 89
non leurs belles jambes. Dont aucuns en vindrent
plus amoureux par la monstre et veue d'icelles
belles jambes que non pas de leurs belles faces;
d'autant qu'au dessus des belles colonnes coustu-
mierement il y a de belles cornices de frizes, de
beaux architraves, riches chapiteaux, bien pollis et
entaillez.
Si faut-il que je fasse encor cette digression et
que j'en passe ma fantaisie, puisque nous sommes
sur les feintes et représentations. Quasi en mesme
temps que ces belles festes se faisoyent ez Païs-
Bas, et surtout à Bains, sur la réception du roy
d'Espagne, se fit l'entrée du roy Henry, tournant
de visiter son pays de Piedmont et ses garnisons
à Lion, qui certes fut des belles et plus triomphan-
tes, ainsi que j'ay ouy dire à d'honnestes dames et
gentilshommes de la cour qui y estoyent.
Or, si cette feinte et représentation de Diane et
de sa chasse fut trouvée belle en ce royal festin de
la reine de Hongrie, il s'en fit une à Lion qui fut
bien autre et mieux imitée : car, ainsi que le roy
marchoit, venant à rencontrer un grand obélisque
à l'antique, à costé de la main droite il rencontra
de mesmes un preau ceint, sur le grand chemin,
d'une muraille de quelque peu plus de six pieds de
hauteur, et ledit preau aussi haut de terre; lequel
avoit esté distinctement remply d'arbres de moyenne
fustaye, entreplantez de taillis espais, et à force
touffes d'autres petits arbrisseaux, avec aussi force
arbres fruictiers. Et en cette petite forest s'esbat-
^O TROISIEME DISCO/QRS
tojent force petits cerfs tou/s en vie, biches, che-
vreuils, toutesfois privez./ Et lors Sa Majesté en-
tr'oujt aucuns cornets ytt trompes sonner; et tout
aussitost apperceut //enir, à travers de ladite fo-
rest, Diane chassajiit avec ses compagnes et vierges
forestières, elle, tenant en la main un riche arc tur-
quois, avec sa trousse pendante au costé, accous-
trée en atourde nymphe, à la mode que l'antiquité
nous ley représente encor; son corps estoit vestu
avec/dn demy bas à six grands lambeaux ronds de
toiile d'or noire, semée d'estoilles d'argent, les
manches et le demeurant de satin cramoysi avec
p[r]ofilure d'or, troussée jusqu'à demy jambe, des-
couvrant sa belle jambe et grève, et ses botines à
l'antique de satin cramoisy, couvertes de perles en
broderie ; ses cheveux estoyent entrelassez de gros
cordons de riches perles, avec quantité de pierre-
ries et joyaux de grand valleur; et au dessus du
front un petit croissant d'argent, brillant de menus
petits diamants : car d'or ne fust esté si beau ne si
bien représentant le croissant naturel, qui est clair
et argentin.
Ses compagnes estoyent accoustrées de diverses
façons d'habits et de taffetas rayez d'or, tant plein
que vuide (le tout à l'antique), et de plusieurs autres
couleurs à l'antique, entremeslées tant pour la bi-
zarreté que pour la gayeté; les chausses et botines
de satin; leur teste adornée de mesmes à la nim-
phale, avec force perles et pierreries.
Aucunes conduisoyent des limiers, petits lévriers,
TROISIEME DISCOURS C) l
espaigneuls et autres chiens en laisse, avec des
cordons de soye blanche et noire, couleurs du
roy pour l'amour d'une dame du nom de Diane
qu'il aimoit; les autres accompagnoient et faisoyent
courre les chiens courans qui faisoyent grand bruit;
les autres portoyent de petits dards de Brésil ,
le fer doré avec de petites et gentilles houpes
pendantes, de soye blanche et noire, les cornets
et trompes mornées d'or et d'argent pendantes en
escharpe , à cordons de fil d'argent et soye noire.
Et, ainsi qu'elles apperceurent le roy, un lion
sortit du bois, qui estoit privé et fait de longue
main à cela, qui se vint jetter aux pieds de ladite
déesse, luy faisant feste ; laquelle, le voyant ainsi
doux et privé, le prit avec un gros cordon d'argent
et de soye noire, et sur l'heure le présenta au roy;
et, s' approchant avec le lion jusques sur le bord
du mur du preau joignant le chemin, et à un pas
prés de Sa Majesté, luy offrit ce lion par un dixain
en rime, telle qui se faisoit de ce temps, mais non
pourtant trop mal limée et sonnante; et par icelle
rime, qu'elle prononça de fort bonne grâce, sous
ce lion doux et gracieux luy offroit sa ville de Lion,
toute douce, gracieuse et humiliée à ses loix et
commandements.
Cela dit et fait de fort bonne grâce, Diane et
toutes ses compagnes luy firent une humble révé-
rence, qui les ayant toutes regardées et saluées de
bon œil, monstrant qu'il avoit tres-agreables leurs
chasses et les en remerciant de bon cœur, se partit
92 TROISIEME DISCOURS
d'elles et suivit son chemin de son entrée. Or notez
que cette Diane et toutes ses belles compagnes
estoyent les plus apparentes et belles femmes ma-
riées, veufves et filles de Lion, où il n'y en a point
de faute, qui jouèrent leur mystère si bien et de si
bonne sorte que la pluspart des princes, seigneurs
et gentilshommes et courtisans, en demeurèrent fort
ravis. Je vous laisse à penser s'ils en avoyent raison.
Madame de Valentinois, dite Diane de Poictiers
(que le roy servoit), au nom de laquelle cette chasse
se faisoit, n'en fut pas moins contente, et en ayma
toute sa vie fort la ville de Lion : aussi estoit-elle
leur voisine, à cause de la duché de Valentinois
qui en est fort proche.
Or, puisque nous sommes sur le plaisir qu'il y a
de voir une belle jambe, il faut croire (comme j'ay
ouy dire) que non le roy seulement, mais tous ces
gallants de la cour, prindrent un merveilleux plaisir
à contempler et mirer celles de ces belles nimphes,
si follastrement accoustrées et retroussées qu'elles
en donnoient autant ou plus de tentation pour
monter au second étage que d'admiration et de
sujet à louer une si gentille invention.
Pour laisser donc nostre digression et retourner
où je l'avois prise, je dys que nous avons veu faire
en nos cours et représenter par nos reynes, et
principalement par la reine-mere, de fort gentils
ballets; mais d'ordinaire, entre nous autres courti-
sans, nous jettions nos yeux sur les pieds et jambes
des dames qui les representoyent , et prenions par
TROISIEME DISCOURS ^3
dessus tous très-grand plaisir leur voir porter leurs
jambes si gentiment, et démener et frétiller leurs
pieds si affettement que rien plus : car leurs cottes
et robes estoyent bien plus courtes que de l'ordi-
naire, mais non pourtant si bien à la nimphale que
de l'ordinaire, ny si hautes comme il le falloit et
qu'on eust désiré. Neantmoins nos yeux s'y bais-
soyent un peu, et mesmes quand on dansoit la
volte, qui, en faisant volleter la robbe, monstroit
tousjours quelque chose agréable à la veue, dont
j'en ay veu plusieurs s'y perdre et s'en ravir entre
eux-mesmes.
Ces belles dames de Sienne, au commencement
de la révolte de leur ville et republique, firent trois
bandes des plus belles et des plus grandes dames
qui fussent. Chacune bande montoit à mille, qui
estoit en tout trois mille : l'une vestue de taffetas
violet, l'autre de blanc, et l'autre incarnat, toutes
habillées à la nimphale d'un fort court accoustre-
ment, si bien qu'à plein elles monstroyent la belle
jambe et belle grève; et firent ainsi leurs monstres
par la ville devant tout le monde, et mesmes de-
vant M. le cardinal de Ferrare et M. de Termes,
lieutenants généraux de nostre roy Henry; toutes
résolues et" promettans de mourir pour la Repu-
blique et pour la France, et toutes prestes de met-
tre la main à l'œuvre pour la fortification de la
ville, comme desja elles avoyent la fascine sur l'es-
paule; ce qui rendit en admiration tout le monde.
Je mets ce conte ailleurs, où je parle des femmes
94
TROISIEME DISCOURS
généreuses : car il touche l'un des plus beaux traits
qui fust jamais fait parmy galantes dames.
Pour ce coup, je me contenteray de dire que
j'ay ouy raconter à plusieurs gentilshommes et sol-
dats, tant françois qu'estrangers, mesmes à aucuns
de la ville, que jamais chose du monde plus belle
ne fut veue, à cause qu'elles estoyent toutes grandes
dames, et principales citadines de ladicte ville, les
unes plus belles que les autres, comme l'on sçait
qu'en cette ville la beauté n'y manque point parmy
les dames, car elle y est très-commune. Mais, s'il
faisoit beau voir leurs beaux visages, il faisoit bien
autant beau voir et contempler leurs belles jambes
et grèves, par leurs gentiles chaussures tant bien
tirées et accommodées, comme elles sçavent très-
bien faire, et aussi qu'elles s' estoyent fait faire
leurs robes fort courtes, à la nimphale, afin de
plus légèrement marcher; ce qui tentoit et eschauf-
foit les plus refroidis et mortifiez ; et ce qui faisoit
bien autant de plaisir aux regardans estoit que les
visages estoyent bien veus tousjours et se pou-
voyentvoir, mais non pas cesbelles jambes et grèves;
et ne fut sans raison qui inventa cette forme
d'habiller à la nimphale : car elle produit beaucoup
de bons aspects et belles œillades; car, si l'accous-
trement en est court, il est fendu par les costez ,
ainsi que nous voyons encore par ces belles anti-
quitez de Rome, qui en augmente davantage la
veue lascive.
Mais aujourd'huy les belles dames et filles de
TROISIEME DISCOURS gS
l'isle deCio,quoy et qui les rend aimables? Certes
ce sont bien leurs beautez et leurs gentillesses,
mais aussi leurs gorgiases façons de s'habiller, et
surtout leurs robes fort courtes, qui monstrent à
plein leurs belles jambes et belles grèves et leurs
pieds affettez et bien chaussez.
Sur quoy il me souvient qu'une fois à la cour,
une dame de fort belle et riche taille, contemplant
une magnifique et belle tapisserie de chasse où Diane
et toute sa bande de vierges chasseresses y estoyent
fort naïfvement représentées , et toutes vestues
monstroyent leurs beaux pieds et belles jambes,
elle avoit une de ses compagnes auprès d'elle, qui
estoit de fort basse et de petite taille, qui s'amusoit
aussi avec elle à regarder icelle tapisserie; elle luy
dit : « Ha! petite, si nous nous habillions toutes
de cette façon , vous le perdriez comptant , et
n'auriez grand advantage, car vos gros patins vous
descouvriroient; et n'auriez jamais telle grâce en
vostre marcher, ny à monstrer vostre jambe, comme
nous autres qui avons la taille grande et haute :
parquoy il vous faudroit cacher et ne paroistre
guieres. Remerciez donc la saison et les robbes
longues que nous portons, qui vous favorisent
beaucoup e't qui vous couvrent vos jambes si dex-
trement qu'elles ressemblent, avec vos grands et
hauts patins d'un pied de hauteur, plustost une
massue qu'une jambe : car, qui n'auroit de quoy à
se battre, il ne faudroit que vous couper une
jambe et la prendre par le bout et du costé de
g6 TROISIEME DISCOURS
vostre pied chaussé et hanté dans vos patins; on
feroit rage de bien battre. »
Cette dame avoit beaucoup de sujet de dire
telles paroles, car la plus belle jambe du monde,
si elle est ainsi enchâssée dans ces gros patins, elle
perd du tout sa beauté, d'autant que ce gros pied
bot luy rend une deformité par trop grande : car,
si le pied n'accompagne la jambe en belle chaus-
sure et gentille forme, tout n'en vaut rien. Par-
quoy [les dames qui prennent ces grands et gros
lourdauts de patins] pensent enrichir et embellir
leurs tailles et par elle^s] s'en faire mieux ajmer et
paroistre; mais de l'autre costé elles appauvrissent
leur belle jambe et belle grève, qui vaut bien autant
en son naturel qu'une grande taille contrefaitte.
Aussi, le temps passé, le pied beau portoit une
telle lasciveté en soy que plusieurs dames romaines
prudes et chastes, au moins qui le vouloyent con-
trefaire, et encor aujourd'huy plusieurs autres en
Italie, à l'imitation du vieux temps, font autant de
scrupule de le monstrer au monde comme leurs
visages, et le cachent sous leurs grandes robbes le
plus qu'elles peuvent afin qu'on ne les voye pas;
et conduisent en leur marcher si sagement, discrè-
tement et compassement, qu'il ne passe jamais
devant la robbe.
Cela est bon pour celles qui sont confites en
prudhomie ou semblance, et qui ne veulent point
donner de tentation ; no[us] leur devons cette obli-
gation ; mais je croy que, si elles avoyent la liberté,
TROISIEME DISCOURS 97
elles feroyent monstre et du pied et de la jambe,
et d'autres choses; et aussi qu'elles veulent mons-
trer à leurs marys, par certaine hypocrisie et ce
petit scrupule, qu'elles sont dames de bien : d'ail-
leurs je m'en rapporte à ce qui en est.
Jesçay un gentilhomme fort gallant et honneste
qui, pour avoir veu à Rheims, au sacre du roy der-
nier, la belle jambe, chaussée d'un bas de soye
blanc, d'une belle et grande dame veufve et de
haute taille, par dessous les eschaffauts que l'on
fait pour les dames à voir le sacre, en devint si es-
pris que depuis il se cuida désespérer d'amour; et
ce que n'avoit pu faire le beau visage , la belle
jambe et la belle grève le firent : aussi cette dame
meritoit bien en toutes ses belles parties de faire
mourir un honneste gentilhomme. J'en ay tant
cogneu d'autres pareils en cette humeur !
Tant y a, pour fin, ainsi que j'ay veu tenir par
maxime à plusieurs gallants courtisans mes compa-
gnons, la monstre d'une belle jambe et d'un beau
pied est fort dangereuse à ensorceler les yeux las-
cifs à l'amour ; et m'estonne que plusieurs bons
escrivains, tant de nos poètes qu'autres, n'en ont
escrit des louanges comme ilz ont fait d'autres
parties de leur corps. De moy, j'en eusse escrit da-
vantage ; mais j'aurois peur que, pour trop louer
ces parties du corps, l'on m'objiçast que je ne me
souciasse guieres des autres, et aussi qu'il me faut
escrire d'autres sujets, et ne m'est permis de m'ar-
rester tant sur un.
Brantôme. II. i 3
98 TROISIEME DISCOURS
Parquoy je fais fin en disant ce petit mot : « Pour
Dieu, Mesdames, ne soyez si curieuses à vous
faire paroistre grandes de taille et vous monstrer
autres, que vous n'advisiez à la beauté de vos
jambes, lesquelles vous avez belles, au moins au-
cunes; mais vous en gastez le lustre par ces hauts
patins et grands chevaux. Certes il vous en faut
bien ; mais si démesurément, vous en degoustez le
monde plus que ne pensez, »
Sur ce discours louera qui voudra les autres
beautez de la dame , comme ont fait plusieurs
poètes ; mais une belle jambe , une grève bien fa-
çonnée et un beau pied ont une grande faveur et
pouvoir à l'empire d'amour.
^^'^^s^
.^1^"'*-
DUaust, éd
Boilvin,
LES CAVALIERS ESPAGNOLS
(Dames Galantes, Discoiirr, W^
QUATRIEME DISCOURS
SUR l'amour des dames vieilles
ET COMME AUCUNES l'aYMENT AUTANT
QUE LES JEUNES
l^uiSQUE j'ay parlé cy-devant des
1^ vieilles dames qui ajment à roussiner,
'■^u^^^ je me suis mis à faire ce discours. Par-
^^^(^^^ cjuoy j'accommence , et dis qu'un
jour moy, estant à la cour d'Espagne, devisant
avec une fort honneste et belle dame, mais pour-
tant un peu aagée, me dit ces mots : Que ningunas
damas lindas, o alo menos pocas, se hazen viejas de
la cinta hasta abaxo, « que nulles dames belles,
ou au moins peu, se font vieilles de la ceinture
jusques en bas ». Sur quoy je luy demanday com-
ment elle l'entendoit, si c'estoit ou pour la beauté
du corps de cette ceinture en bas, qu'elle n'en di-
minuast aucunement par la vieillesse, ou pour
l'envie et l'appétit de la concupiscence qui vinssent
lOO QUATRIEME DISCOURS
à ne s'en esteindre ny s'en refroidir par le bas au-
cunement. Elle respondit qu'elle l'entendoit et
pour l'un et pour l'autre : « car, quand à la pic-
queure de la chair, disoit-elle, ne faut pas penser
que l'on s'en guérisse que par la mort, quoyqu'il
semble que l'aage y vueille répugner; d'autant que
toute femme belle s'ayme extresmement, et en
s'aymant ce n'est point pour elle, mais pour au-
truy ; et nullement ressemble à Narcisus, qui, fat
qu'il estoit, aymé de soy et de soy-mesme amou-
reux, abhoroit toutes autres amours ».
La belle femme ne tient rien de cette humeur,
ainsi que j'ay ouy raconter d'une très-belle dame,
laquelle, s'aymant et se plaisant fort, bien souvent
seule et à part soy, dans son lict se mettoit toute
nue, et en toutes postures se contemploit, s'ad-
miroit et s'arregardoit lascivement, en se mau-
dissant d'estre vouée à un seul qui n'estoit digne
d'un si beau corps, entendant son mary, nullement
égal à elle. Enfin elle s'enîlama tellement par telles
contemplations et visions qu'elle dit adieu à sa
chasteté et à son sot vœu marital, et fit amour et
serviteur nouveau.
Voilà donc comme la beauté allume le feu et la
flame d'une dame, qui la transporte à ceux qu'elle
veut puis après, soit aux maris ou aux serviteurs,
pour les mettre en usage; aussi qu'un amour en
amené un autre. De plus, estant ainsi belle et re-
cherchée de quelqu'un, et qu'elle ne dédaigne de
respondre, la voylà troussée; ainsy que Lays disoit
(QUATRIEME DISCOURS lOI
que toute femme qui ouvre la bouche pour dire
quelque response douce à son amj, le cœur s'y en
va et s'ouvre de mesme.
Davantage, toute belle et honneste femme ne
refuse jamais louange qu'on luy donne; et, si une
fois elle se plaist ou permette d'estre louée en sa
beauté, bonnes grâces et gentilles façons, ainsi que
nous autres courtisans avons accoustumé de faire
pour le premier assaut de l'amour, quoyqu'il tarde,
avec la continue nous l'emportons.
Or est-il que toute belle femme s'estant une fois
essayée au jeu d'amour ne le desapprend jamais, et
la continue luy est toujours tres-agreable et douce;
ny plus ny moins que, quand l'on a accoustumé
une bonne viande, on se fasche fort de la laisser;
et tant plus on va sur l'aage, tant est-elle meilleure
pour la personne, ce disent les médecins : aussi
tant plus la femme va sur l'aage, tant plus est
friande d'une bonne chair qu'elle a accoustumé;
et, si sa bouche d'en haut y prend de la saveur, sa
bouche d'en bas aussi en prend bien autant ; et la
friandise ne s'en oublie jamais, ny ne se lasse par la
charge des ans, ouy plustost bien par une longue
maladie, ce "disent les médecins, ou autres acci-
dents; que si l'on s'en fasche pour quelque temps,
pourtant on la reprend bien.
L'on dit aussi que tous exercices décroissent et
diminuent par l'aage, qui oste la for^ce aux per-
sonnes pour les faire valoir, fors celuy de Venus,
qui se pratique tres-doucement, sans peine et sans
I02 (QUATRIEME DISCOURS
travail, dans un mol et beau lict et très-bien à
l'aise. Je parle pour la femme, et non pour l'homme,
à qui pour cela tout le travail et corvée eschoit en
partage. Luy donc, privé de ce plaisir, s'en abs-
tient de bonne heure, encor que ce soit en dépit
de luj; mais la femme, en quelque aage qu'elle
soit, reçoit en soy, comme une fournaise, tout feu
et toute matière : j'entends si on luy en veut
donner; mais il n'y a si vieille monture, si elle a
désir d'aller et vueille estre piquée, qui ne trouve
quelque chevaucheur malautru; et quand bien une
dame aagée n'en sçauroit chevir bonnement, et
n'en trouveroit à point comme en ses jeunes ans,
elle a de l'argent et des moyens pour en avoir au
prix du marché, et de bons, comme j'ay ouy dire.
Toutes marchandises qui coustent faschent fort à
la bourse, contre l'opinion d'Heliogabale, qui tant
plus il acheptoit les viandes chères, tant meilleures
les trouvoit-il, fors la marchandise de Venus, la-
quelle tant plus couste, tant plus plaist, pour le
grand désir que l'on a de faire bien valloir la be-
soigne et denrée que l'on aura bien acheptée ; et
le tallent que l'on a en main, on le fait valloir au
triple, voire au centuple, si l'on peut.
Ce fut ce que dist une courtisanne espagnole à
deux braves cavalliers espagnols qui prindrent que-
relle pour elle, et, sortans de son logis, mirent les
espées aux mains et se commencèrent à battre. Elle
mit la teste à la fenestre, et s'escria à eux : Seîïores,
mis amores se ganan con oro y plat a , non con
Q^UATRIÉME DISCOURS lo3
hierro : « Mes amours se gaignent avec de l'or et
de l'argent, et non avec le fer. »
Voilà comme tout amour bien achepté est bon.
Force dames et cavalliers qui ont traffiqué tels mar-
chez en sçavent bien que dire. D'alléguer des
exemples de plusieurs dames qui ont bruslé en leur
vieillesse aussi bien qu'en jeunesse, ou qui ont
passé, ou, pour mieux dire, entretenu leurs feux
par seconds et nouveaux maris et serviteurs, ce
seroit à moy maintenant chose superflue, puis-
qu'ailleurs j'en ay allégué plusieurs; si en rappor-
teray-je icy aucuns, car la chose le requiert et sert
à cette cause.
J'ay ouy parler d'une grande dame, qui rencon-
troit le mot aussi bien que dame de son temps,
laquelle, voyant un jour un jeune gentilhomme qui
avoit les mains tres-blanches, elle luy demanda ce
qu'il faisoit pour les avoir telles. Il respondit, en
riant et gaussant, que le plus souvent qu'il pouvoit
il les frottoit de sperme. « Voilà, dit-elle, donc un
malheur pour moy, car il y a plus de soixante ans
que j'en lave mon cas (le nommant tout à trac), il
est aussi noir que le premier jour; et si je le lave
encore tous les jours. »
^ J'ay ouy parler d'une dame d'assez bonnes
années, laquelle, se voulant remarier, en demanda
un jour l'advis à un médecin, fondant ses raisons
sur ce qu'elle estoit tres-humide et remplie de
toutes mauvaises humeurs, qui luy estoient venues
et l'avoyent entretenue depuis qu'elle estoit veufve ;
I04 (QUATRIEME DISCOURS
ce qui ne luy estoit arrivé du temps de son mary,
d'autant que, par les assidus exercices qu'ils fai-
soyent ensemble , ces humeurs s'assechoient et
consommoyent. Le médecin, qui estoit bon com-
pagnon, et qui luy voulut en cela complaire, luy
conseilla de se remarier, et de chasser les humeurs
de son corps de cette façon, et qu'il valloit mieux
estre seiche qu'humide. La dame pratiqua ce con-
seil, et l'approuva très-bien, toute surannée qu'elle
estoit; mais je dys avec un mary et un amoureux
nouveau, qui l'aymoit bien autant pour l'amour du
bon argent que du plaisir qu'il tiroit d'elle : encor
qu'il y ait plusieurs dames aagées avec lesquelles
on prend bien autant de plaisir, et y fait aussi bon
et meilleur qu'avec les plus jeunes, pour en sçavoir
mieux l'art et la façon, et en donner le goust aux
amants.
Les courtisanes de Rome et d'Italie, quand elles
sont sur l'aage, tiennent cette maxime que una
galina vecchia fa miglior brodo ch' un altra.
Horace fait mention d'une vieille, laquelle s'agi-
toit et se mouvoit, quand elle venoit là, de telle
façon et si rudement et inquietement qu'elle faisoit
trembler non seulement le lict, mais toute la maison.
Voilà une gente vieille ! Les Latins appellent s'a-
giter ainsi et s'esmouvoir, subare a sue, qu'est à
dire une porque ou truye.
5 Nous lisons de l'empereur Caligula, de toutes
ses femmes qu'il eut il ayma Cezonnia, non tant
pour sa beauté qu'elle eut, ny d'aage florissant,
(QUATRIÈME DISCOURS Io5
car elle y estoit desja fort avancée, mais à cause de
sa grande lasciveté et paillardise qui estoit en elle,
et la grande industrie qu'elle avoit pour l'exercer,
que la vieille saison et pratique luy avoit apportée,
laissant toutes les autres femmes, encor qu'elles
fussent plus belles et jeunes que celle-là; et la
menoit ordinairement aux armées avec luy, ha-
billée et armée en garçon, et chevauchant de
mesme, coste à coste de luy, jusques à la monstrer
souventes fois à ses amis toute nue, et luy [sic)
faire vo_yr ces tours de soupplesse et de paillardise.
Il falloit bien dire que l'aagen'eust rien diminué
en cette femme de beau et de lascif, puisqu'il l'ay-
moit tant. Neantmoins, avec tout ce grand amour
qu'il luy portoit, bien souvent, quand il l'embras-
soit et touchoit h sa belle gorge, il ne se pouvoit
empescher de luy dire, tant il estoit sanglant :
« Voilà une belle gorge, mais aussi il est bien en
mon pouvoir de la faire couper. » Helas! la pauvre
femme fut de mesme avec luy occise d'un coup
d'espée à travers le corps par un centenier, et sa
fille brisée et accravantée contre une muraillée, qui
ne pouvoit mais de la meschanceté de son père.
J II se lit encor de Julia, marastre de Caracalla,
empereur, estant un jour quasi par négligence nue
de la moitié du corps, et Caracalla la voyant, il ne
dit que ces mots : « Ah! que j'en voudrois bien,
s'il m'estoit permis! » Elle soudain respondit :
« S'il vous plaist, ne sçavez-vous pas que vous estes
empereur, et que vous donnez les loix et non pas
Io6 (QUATRIEME DISCOURS
les recevez? )> Sur ce bon mot et bonne volonté, il
l'espousa et se coupla avec elle.
Pareilles quasi parolles furent données à un de
nos trois rois derniers, que je ne nommeray point.
Estant espris et devenu amoureux d'une fort belle
et honneste dame, après luj avoir jette des pre-
mières pointes et paroles d'amour, luy en fît un
jour entendre sa volonté plus au long, par un
honneste et tres-habile gentilhomme que je sçay,
qui, luy portant le petit poulet, se mit en son mieux
dire pour la persuader de venir là. Elle, qui n'estoit
point sotte, se défendit le mieux qu'elle put, par
force belles raisons qu'elle sceut bien alléguer, sans
oubUer surtout le grand, ou, pour mieux dire, le
petit point d'honneur. Somme, le gentilhomme,
après force contestations, luy demanda, pour fin,
ce qu'elle vouloit qu'il dit au roy. Elle, ayant un
peu songé, tout à coup, comme d'une desespe-
rade, profîera ces mots : « Que vous luy direz?
(dit-elle) autre chose sinon que je sçay bien qu'un
refus ne fut jamais proffitable à celuy ou à celle qui
le fait à son roy ou à son souverain, et que bien
souvant, usant de sa puissance, il sçait plustost
prendre et commander que de requérir et prier .»
Le gentilhomme, se contentant de cette response,
la porte aussitost au roy, qui prit l'occasion par le
poil et va trouver la dame en sa chambre, laquelle,
sans trop grand effort de lutte, fut abattue. Cette
response fut d'esprit, et d'envie d'avoir à faire à
son roy. Encor qu'on die qu'il ne fait pas bon se
(QUATRIEME DISCOURS IO7
jouer ny avoir à faire avec son roy, il s'en faut ce
point, dont on ne s'en trouve jamais mal, si la
femme s'y conduit sagement et constamment.
Pour reprendre cette Julia, marastre de cet
empereur, il falloit bien qu'elle fust putain, d'ay-
mer et prendre à mary celuy sur le sein de laquelle,
quelque temps avant, il luy avoit tué son propre
fils; elle estoit bien putain celle-là et de bas cœur.
Toutesfois c'estoit grande chose que d'estre impé-
ratrice, et pour tel honneur tout s'oublie. Cette
Julia fut fort aymée de son mary, encor qu'elle
fust bien fort en l'aage, n'ayant pourtant rien
abattu de sa beauté : car elle estoit très-belle et
tres-acorte, tesmoin ses parolles qui lui haussè-
rent bien le chevet de sa grandeur.
Philippes-Maria, duc troisiesme de Milan, es-
pousa en secondes nopces Beatricine, veufve de
feu Facin Cane, estant fort vieille; mais elle luy
porta pour mariage quatre cens mille escus, sans
les autres meubles, bagues et joyaux, qui mon-
toyent à un haut prix, et qui efîaçoient sa vieillesse;
nonobstant laquelle fut soubçonnée de son mary
d'aller ribauder ailleurs, et pour tel soubçon la fit
mourir. Vous voyez si la vieillesse luy fit perdre le
goust du jeu d'amour. Pensez que le grand usage
qu'elle en avoit luy en donnoit encor l'envie.
5 Constance, reine de Sicile, qui dés sa jeu-
nesse et toute sa vie n' avoit bougé vestale du cul
d'un doistre en chasteté, venant à s'émanciper au
monde en l'aage de cinquante ans, qui n' estoit pas
lOb Q^UATRIEME DISCOURS
belle pourtant et toute décrépite, voulut taster de
la douceur de la chair et se marier, et engrossa
d'un enfant en l'aage de cinquante-deux ans, du-
quel elle voulut enfanter publiquement dans les
prairies de Palerme, y ayant fait dresser une tente
et un pavillon exprés, afin que le monde n'entrast
en doute que son fruict fust apposté : qui fut un
des grands miracles que on ait veu depuis s^^ Eli-
sabeth. VHistoire de Naples pourtant dit qu'on
le reputa supposé. Si fut-il pourtant un grand per-
sonnage; mais ce sont-ils ceux-là [la] pluspart des
braves, que les bastards, ainsi que me dit un jour
un grand.
5 J'ai cogneu une abbesse de Tarrascon, sœur
de madame d'Usez^ de la maison de Tallard, qui
se defroqua et sortit de religion en l'aage de plus
de cinquante ans, et se maria avec le grand Cha-
nay qu'on a veu grand joueur à la cour.
Force autres religieuses ont fait de tels tours,
soit en mariage ou autrement, pour taster de la
chair en leur aage tres-meur. Si telles font cela, que
doivent donc faire nos dames, qui y sont accous-
tumées dez leurs tendres ans? La vieillesse les doit-
elle empescher qu'elles ne tastent ou mangent
quelquesfois de bons morceaux, dont elles en ont
pratiqué l'usance si longtemps? Et que devien-
droyent tant de bons potages restaurens, bouil-
lons composez, tant d'ambregris et autres dro-
gues escaldatives et confortatives pour eschaufîer
et conforter leur estomac vieil et froid? Dont ne faut
(QUATRIEME DISCOURS lOQ
douter que telles compositions, en remettant et en-
tretenant leur débile estomach, ne facent encor au-
tre seconde opération sous bourre, qui les eschauf-
fent dans le corps et leur causent quelque chaleur
vénérienne, qu'il faut par amprés expulser par la
cohabitation et copulation, qui est le plus souve-
rain remède qui soit, et le plus ordinaire, sans y
appeller autrement l'advis des médecins, dont je
m'en rapporte à eux. Et qui meilleur est pour
elles, est qu'estant aagées et venues sur les cin-
quante ans, n'ont plus de crainte d'engroisser, et
lors ont plainiere et toute ample liberté de se
jouer, et recueillir les arrérages des plaisirs que,
possible, aucunes n'ont osé prendre de peur de
l'enfleure de leur traistre ventre : de sorte
que plusieurs y en a-il qui se donnent plus de bon
temps en leurs amours despuis cinquante ans en
bas que de cinquante ans en avant. De plusieurs
grandes et moyennes dames en ay-je ouy parler en
telles complections, jusqu'à là que plusieurs en ay-
je cogneu et ouy parler, qui ont souhaitté plu-
sieurs fois les cinquante ans chargez sur elles,
pour les empéscher de la groisse , et pour le faire
mieux, sans aucune crainte ny escandale. Mais
pourquoy s'en engarderoyent- elles sur l'aage ?
Vous diriez qu'après la mort aucunes ont quelque
mouvement et sentiment de chair. Si faut-il que je
face un conte, que je vais faire.
f J'ai eu d'autres fois un frère puisné qu'on ap-
pelloit le capitaine Bourdeille, l'un des braves et
IlO (QUATRIEME DISCOURS
vaillants capitaines de son temps. Il faut que je die
cela de luy, encor qu'il fust mon frère, sans offen-
ser la louange que je luy donne : les combats qu'il
a faits aux guerres et aux estaquades en font foy,
car c'estoit le gentilhomme de France qui avoit les
armes mieux en la main : aussi l'appelloit-on en
Piedmont l'un des Rodomonts de là. Il fut tué à
l'assaut de Hedin, à la dernière reprise.
Il fut dédié par son père et mère aux lettres;
et pour ce il fut envoyé à l'aage de dix-huict ans en
Italie pour estudier, et s'arresta à Ferrare, pour ce
que madame Renée de France, duchesse de Fer-
rare, aymoit fort ma mère; et pour ce le retint là
pour vacquer à ses études, car il y avoit université.
Or, d'autant qu'il n'y estoit nay ny propre, il n'y
vacquoit guieres, ains plustost s'amusa à faire la
la cour et l'amour : si bien qu'il s'amouracha fort
d'une damoiselle françoise veufve, qui estoit à ma-
dame de Ferrare, qu'on appelloit madamoiselle de
La Roche, et en tira de la jouissance, s'entre-ay-
mant si fort l'un et l'autre que, mon frère ayant
esté rappelle de son père, le voyant mal propre pour
les lettres, fallut qu'il s'en retournast.
Elle, qui l'aymoit et qui craignoit qu'il ne luy
mesadvint, parce qu'elle sentoit fort de Luther, qui
voguoit pour lors, pria mon frère de l'emmener
avec luy en France et en la cour de la reine de
Navarre, Marguerite, à qui elle avoit esté et l'a-
voit donnée à madame Renée lorsqu'elle fut ma-
riée et s'en alla en Italie. Mon frère, qui estoit
(QUATRIEME DISCOURS III
jeune et sans aucune considération, estant bien aise
de cette bonne compagnie, la conduisit jusques à
Paris, où estoit pour lors la reine, qui fut fort aise
de la voir, car c'estoit la femme qui avoit le plus
d'esprit et disoit des mieux, et estoit une veufve
belle et accomplie en tout.
Mon frère, après avoir demeuré quelques jours
avec ma grand mère et ma mère, qui estoit lors en
sa cour, s'en retourna voir son père. Au bout de
quelque temps, se desgoustant fort des lettres et
ne s'y voyant propre, les quitte tout à plat, et s'en
va aux guerres de Piedmont et de Parme, où il
acquist beaucoup d'honneur. Il les pratiqua l'es-
pace de cinq à six mois sans venir en sa maison; au
bout desquels vint voir sa mère, qui estoit lors à la
cour avec la reine de Navarre, qui se tenoit lors à
Pau, à laquelle il fit la révérence ainsi qu'elle tour-
noit de vespres. Elle, qui estoit la meilleure prin-
cesse du monde, luy fît une fort bonne chère, et, le
prenant par la main, le pourmena par l'église en-
viron une heure ou deux, luy demandant force
nouvelles des guerres du Piedmont et d'Italie, et
plusieurs autres particularitez, auxquelles mon
frère respondit si bien qu'elle en fust satisiaitte
(car il disoit des mieux) tant de son esprit que de
son corps, car il estoit très-beau gentilhomme, et
de l'aage de vingt-quatre ans. Enfin, après l'avoir
entretenu assez de temps, et ainsi que la nature et
la complexion de cette honnorable princesse estoit
de ne desdaigner les belles conversations et entre-
112 (QUATRIEME DISCOURS
tien des honnestes gens, de propos en propos,
tousjours en se pourmenant, vint précisément ar-
rester coy mon frère sur la tumbe de mademoiselle
de La Roche, qui estoit morte il y avoit trois mois;
puis le prit par la main et luy dit : « Mon cousin )>
(car ainsi l'appelloit-elle, d'autant qu'une fille
d'Albret avoit esté mariée en nostre maison de
Bourdeille; mais pour cela je n'en mets pas plus
grand pot au feu, ny n'en augmente davantage
mon ambition), « ne sentez-vous point rien mou-
voir sous vous et sous vos pieds? — Non, Ma-
dame, respondit-il. — Mais songez-y bien, mon
cousin, » luy repliqua-elle. Mon frère luy respon-
dit : « Madame, j'y ay bien songé, mais je ne sens
rien mouvoir, car je marche sur une pierre bien
ferme. — Or je vous advise, dit lors la reine, sans
le tenir plus en suspens, que vous estes sur la tumbe
et le corps de la pauvre madamoiselle de La Ro-
che, qui est icy dessous vous enterrée, que vous
avez tant aymée. Puisque les âmes ont du senti-
ment après nostre mort, ne faut douter que cette
honneste créature, morte de frais, ne se soit es-
meue aussitost que vous avez esté sur elle. Et, si
vous ne l'avez senty à cause de l'espaisseur de la
tumbe, ne faut douter qu'en soy ne soit plus es-
meue et ressentie. Et d'autant que c'est un pieux
office d'avoir souvenance des trespassez, et mesme
de ceux que l'on a aymez, je vous prie luy donner un
Paier noster et un Ave Maria, et un De Profundis,
et l'arrousez d'eau beniste , et vous acquerrez le
QUATRIEME DISCOURS Il3
nom de tres-fidel amant et d'un bon chrestien. Je
vous lairraj donc pour cela », et part et s'en va.
Feu mon frère ne faillit à ce qu'elle avoit dit, et
puis l'alla trouver, qui luj en fit un peu la guerre,
car elle estoit commune en tout bon propos et y
avoit bonne grâce.
Voilà l'opinion de cette bonne princesse, laquelle
la tenoit plus par gentillesse et par forme de devis
que par créance, à mon advis.
Ces propos gentils me font souvenir d'un epi-
taphe d'une courtisanne qui est enterrée à Rome
à Nostre-Dame de Populo, où il y a ces mots :
Quxso, viator, ne me diiitius calcatam amplius cal-
ces : « Passant, m'ayant tant de fois foullée et
trepée, je te prie ne me treper ny ne me fouler
plus. » Le mot latin a plus de grâce. Je mets tout
cecy plus pour risée que pour autre chose.
Ôr, pour faire fin, ne se faut esbahir si cette
dame espagnole tenoit cette maxime des belles da-
mes qui se sont fort aymées, et ont aymé et ay-
ment, et se plaisent à estre louées, bien qu'el-
les ne tiennent guieres du passé; mais pour-
tant c'est le plus grand plaisir que vous leur pou-
vez donner, et qu'elles ayment plus, quand vous
leur dittes que ce sont tousjours elles, et qu'elles
ne sont nullement changées ny envieillies, et sur-
tout qui ne deviennent point vieilles de la ceinture
jusqu'au bas.
î J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste
dame qui disoit un jour à son serviteur : « Je ne
Brantôme. II. i5
114 (QUATRIEME DISCOURS
sçay que désormais m'apportera plus grande
incommodité la vieillesse (car elle avoit cin-
quante-cinq ans); mais, Dieu mercy! je ne le fis
jamais si bien comme je le fais, et n'y pris jamais
tant de plaisir. Que si cecy dure et continue jus-
qu'à mon extresme vieillesse, je ne m'en soucie
d'elle autrement, ny ne plains point le temps
passé. »
Or, touchant l'amour et la concupiscence, j'ay
allégué icy et ailleurs assez d'exemples, sans en ti-
rer davantage sur ce sujet. Venons maintenant à
l'autre maxime, touchant cette beauté des belles
femmes qui ne se diminue par vieillesse de la cein-
ture jusques en bas.
Certes, sur cela, cette dame espagnole allégua
plusieurs belles raisons et gentiles comparaisons,
accomparant ces belles dames à ces beaux, vieux et
superbes édifices qui ont esté, desquels la ruine en
demeure encor belle; ainsi que l'on voit à Rome,
en ces orgueilleuses antiquitez, les ruines de ces
beaux pallais, ces superbes colissées et grands
termes, qui monstrent bien encore quels ils ont
esté, donnent encore admiration et terreur à tout
le monde, et la ruine en demeure admirable et es-
pouvantable; si bien que sur ces ruines on y bastit
encor de très-beaux édifices, monstrant que les
fondements en sont meilleurs et plus beaux que
sur d'autres nouveaux; ainsi que l'on voit souvent
aux massonneries que nos bons architectes et
massons entreprennent; et, s'ilz trouvent quelques
(QUATRIÈME DISCOURS Il5
vieilles ruines et fondemens, ils bastissent aussitost
dessus, et plustost que sur de nouveaux.
J'ay bien veu aussi souvent de belles galleres et
navires se bastir et se refaire sur de vieux corps et
vieilles carennes, lesquelles avoyent demeuré long-
temps dans un port sans rien faire, qui valloient
bien autant que celles que l'on bastissoit et char-
pentoit tout à neuf, et de bois neuf venant de la
forest.
Davantage, disoit cette dame espagnole, ne void-
on pas souvent les sommets des hautes tours par les
vents, les orages et les tonnerres estre emportez,
desraudez et gastez, et le bas en demeurer sain et
entier? Car tousjours à telles hauteurs telles tem-
pestes s'addressent; mesmes les vents marins mi-
nent et mangent les pierres [d'en haut], et les con-
cavent plustost que celles du bas, pour n'y estre si
exposées que celles d'en haut.
De mesme, plusieurs belles dames perdent le
lustre et la beauté de leurs beaux visages par plu-
sieurs accidents ou de froid ou de chaud, ou de
soleil ou de lune, et autres, et, qui pis est, de
plusieurs fards -qu'elles y applicquent, pensans se
rendre plus belles, et gastent tout; au lieu qu'aux
parties d'embas n'y applicquent autre fard que le
naturel spermatic, n'y sentant ny froid, nypluye,
ny vent, ny soleil, ny lune, qui n'y touchent point.
Si la chaleur les importune, s'en sçavent bien
garentir et se raffraischir; de mesmes remédient au
froid en plusieurs façons. Tant d'incommoditez et
Ilb Q^UATRIEME DISCOURS
peines y a-il à garder la beauté d'en haut, et peu
à ga;;âer celle d'en bas; si bien qu'encore qu'on ait
v^li une belle femme se perdre par le visage, ne
'faut présumer qu'elle soit perdue par le bas, et
qu'il n'y reste encor quelque chose de beau et de
bon, et qu'il n'y fait point mauvais bastir.
5 J'ay ouy conter d'une grande dame qui avoit
esté très-belle et bien adonnée à l'amour : un de
ses serviteurs anciens l'ayant perdue de veue l'es-
pace de quatre ans, pour quelque voyage qu'il en-
treprit, duquel retournant, et la trouvant fort
changée de ce beau visage qu'il luy avait veu au-
tresfois, et par ce en devint [si] fort degousté et
reffroidy qu'il ne la voulut plus attacquer, ny re-
nouveller avec elle le plaisir passé. Elle le reco-
gneut bien, et fît tant qu'elle trouva moyen qu'il
la vint voir dans son lict; et, pour ce, un jour
elle contrefit de la malade, et, luy l'estant venue
voir sur jour, elle luy dit : « Monsieur, je sçay
bien que vous me desdaignez à cause de mon vi-
sage changé par mon aage; mais tenez, voyez (et
sur ce elle luy descouvrit toute la moitié du corps
nud en bas) s'il y a rien de changé là. Si mon
visage vous a trompé, cela ne vous trompe pas. »
Le gentilhomme, la contemplant, et la trouvant par
là aussi belle et nette que jamais, entra aussitost en
appétit, et mangea de la chair qu'il pensoit estre
pourrie et gastée. « Et voylà (dit la dame). Monsieur,
voylà comme vous autres estes trompés! Une autre
fois, n'adjoustez plus de foy aux menteries de nos
Q^U A T R I E M E DISCOURS I I 7
faux visages : car le reste de nos corps ne les res-
semble pas tousjours. Je vous apprens cela. »
Une dame comme celle-là, estant ainsi changée
de beau visage, fut en si grand collere et despit
contre luy qu'elle ne le voulut oncques plus jamais
mirer dans son miroir, disant qu'il en estoit
indigne; et se faisoit coiffer à ses femmes, et,
pour recompense , se miroit et s'arregardoit
par les parties d'en bas, y prenant autant de dé-
lectation comme elle avoit fait par le visage au-
tresfois.
J J'ay ouy parler d'une autre dame qui, tant
c|u'elle couchoit sur jour avec son amy, elle cou-
vroit son visage d'un beau mouchoir blanc d'une
fine toille de Hollande, de peur que, la voyant au
visage, le haut ne refroidist et empeschast la bat-
terie du bas, et ne s'en degoustast : car il n'y avoit
rien à dire au bas du beau passé. Sur quoy il y eut
une fort honneste dame, dont j'ay ouy parler, qui
rencontra plaisamment, à laquelle un jour son
mary luy demandant pourquoy son poil d'en bas
n'estoit devenu blanc et chenu comme celuy de la
teste : « Ah !. dit-elle, le meschant traistre qu'il
est, qui a fait la folie, ne s'en ressent point, ny ne
la boit point. Il la fait sentir et boire à autres de
mes membres et à ma teste; d'autant qu'il de-
meure tousjours sans changer, et en mesme estât
et vigueur, en mesme disposition, et surtout en
mesme chaud naturel, et à mesme appétit et santé;
et non des autres membres, qui en ont pour luy
Il8 (QUATRIEME DISCOURS
des maux et des douleurs, et mes cheveux qui en
sont devenus blancs et chenus. »
Elle avoit raison de parler ainsi : car cette partie
leur engendre bien des douleurs, des gouttes et des
maux, sans que leur gallant du mitan s'en sente;
et, par trop estre chaudes à cela, ce disent les mé-
decins, deviennent ainsi chenues. Voilà pourquoy
les belles dames ne vieillissent jamais par là en
toutes les deux façons.
5 J'ay ouy raconter à aucuns qui les ont pra-
tiquées, jusques aux courtizannes, qu'ils m'ont as-
seuré n'en avoir veu guieres de belles estre venues
vieilles par là : car tout le bas et mitan, et cuisses
et jambes, avoyent le tout beau, et la volonté et
la disposition pareille au passé. Mesmes j'en ay
ouy parler à plusieurs marys qui trouvoyent leurs
vieilles, ainsi les appelloyent-ils, aussi belles par le
bas comme jamais, en vouloir, en gaillardise, en
beauté, et aussi volontaires, et n'y trouvoyent rien
de changé que le visage, et aymoyent autant cou-
cher avec elles qu'en leurs jeunes ans.
Au reste, combien y a-il d'hommes qui ayment
des vieilles dames pour monter dessus, plustost que
sur des jeunes; tout ainsi comme plusieurs qui
ayment mieux des vieux chevaux, soit pour le jour
d'un bon affaire, soit pour le manège et pour le
plaisir, qui ont esté si bien appris en leur jeunesse
qu'en la vieillesse vous n'y trouverez rien à dire,
tant ils sont bien esté dressez, et ont continué leur
gentille addresse.
Q^U A T R I E M E DISCOURS I 1 Q
J'ay veu à l'escurie de nos rois un cheval qu'on
appelloit le Quadragant, dressé du temps du roy
Henry, Il avoit plus de vingt-deux ans; mais,
encor tout vieux qu'il estoit, il fesoit très-bien et
n'avoit rien oublié; si bien qu'il donnoit encor à
son roy, et à tous ceux qui le voyoyent manier, du
plaisir bien grand. J'en ay veu faire de mesmes à
un grand coursier qu'on appelloit le Gonzague^ du
haras de Mantoue, et estoit contemporain du
Quadragant.
J'ay veu le moreau superbe qui avoit esté mis
pour estalon. Le seigneur M. Antonio, qui avoit
la charge du haras du roy, me le monstra à Mun,
un jour que je passay par là, aller à deux pas et un
sault, et à voltes, aussi bien que lorsque M. de
Carnavallet l'eut dressé, car il estoit à luy; et feu
M. de Longueville luy en voulut donner trois
mille livres de rente; mais le roy Charles ne le
voulut pas, qui le prit pour luy, et le recompensa
d'ailleurs. Une infinité d'autres en nommerois-je;
mais je n'aurois jamais fait, m'en remettant aux
braves escuyers, qui en ont prou veu.
Le feu roy Henry, au camp d'Amiens, avoit
choisy pour son jour de bataille le Bay de la
paix, un très-beau et fort courcier et vieux; et
mourut de la fièvre, par le dire des plus experts ma-
reschaux, au camp d'Amiens, ce qu'on trouva es-
trange.
Feu M. de Guise envoya quérir en son haras
d'Esclairon le hay Sanson, qui servoit là d'estalon.
I20 (QUATRIEME DISCOURS
pour le servir en la bataille de Dreux, où il le
servit très-bien.
Aux premières guerres, feu M. le Prince prit
dans Mun vingt-deux chevaux qui servoyent là
d'estalons, pour s'en servir en ses guerres ; et les
départit aux uns et aux autres des seigneurs qui
estoyent avec luy, s'en estant réservé sa part; dont
le brave Avaret eut un courcier que M. le connes-
table avoit donné au roy Henry, et l'appelloit-on
le Compère. Tout vieux qu'il estoit, jamais n'en fut
veu un meilleur; et son maistre le fît trouver en de
bons combats, qui luy servit très-bien. Le capi-
taine Bourdet eut le Turc, sur lequel le feu roy
Henry fut blessé et tué, que feu M. de Savoye
luy avoit donné ; et l'appelloit-on le Malheureux;
et s'appelloit ainsi quand il fut donné au roy, ce
qui fut un très-mauvais présage pour le roy. Jamais
ne fut si bon en sa jeunesse comme il fut en sa
vieillesse : aussi son maistre , qui estoit un des
vaillants gentilshommes de la France , le faisoit
bien valloir. Bref, tout tant qu'il y en eut de ces
estalons, jamais l'aage n'empescha qu'ils ne ser-
vissent bien à leurs maistres, à leur prince et à leur
cause. Ainsi sont plusieurs chevaux vieux qui ne
se rendent jamais; aussi dit-on que jamais bon
cheval ne devint rosse.
De mesme sont plusieurs dames, qui en leur
vieillesse vallent bien autant que d'autres en leur
jeunesse, ■ et donnent bien autant de plaisir, pour
avoir esté en leur temps très-bien apprises et dres-
QUATRIEME DISCOURS 121
sées; et volontiers telles leçons malaisément s'ou-
blient; et ce qui est le meilleur, c'est qu'elles sont
fort libérales et larges à donner pour entretenir
leurs chevaliers et cavalcadours, qui prennent plus
d'argent et veulent plus grand entretien pour
monter sur une vieille monture que sur une jeune;
qui est au contraire des escuyers, qui n'en prennent
tant des chevaux dressez que des jeunes et à
dresser : ainsi la raison en cela le veut.
Une question sur le sujet des dames aagées ay-
je veu faire, à sçavoir : quelle gloire plus grande y
a-il à debauscher une dame aagée et en jouir, ou
une jeune? A aucuns ay-je ouy dire que c'est pour
la vieille. Et disoyent que la folie et la chaleur qui
est en la jeunesse sont de soy assez toutes des-
bauchées et aisées à perdre; mais la sagesse et la
froideur qui semble estre en la vieillesse mal aisé-
ment se peuvent-elles corrompre; et qui les cor-
rompt en est en plus belle réputation.
Aussi cette fameuse courtisanne Lays se vantoit
et se glorifioit fort de quoy les philosophes alloyent
si souvent la voir et apprendre à son eschole, plus
que de tous autres jeunes gens et fols qui allassent.
De mesme Flora se glorifioit de voir venir à sa
porte de grands sénateurs romains plustost que des
jeunes fols chevalliers. Ainsi me semble-il que c'est
grand gloire de vaincre la sagesse qui pourroit estre
aux vieilles personnes, pour le plaisir et contente-
ment.
Je m'en rapporte à ceux qui l'ont expérimenté,
i6
122 Q^UATRIEME DISCOURS
dont aucuns ont dit qu'une monture dressée est
plus plaisante qu'une farouche et qui ne sçait pas
seulement trotter. Davantage, quel plaisir et quel
plus grand aise peut-on avoir en l'ame, quand on
voit entrer dans une salle du bal, dans une des
chambres de la reine, ou dans une église, ou autre
grande assemblée, une dame aagée de grand qualité
e d*alta guisa, comme dit l'Italien, et mesmes une
dame d'honneur de la reine ou d'une princesse, ou
une gouvernante d'une fille d'un roy, reine ou
grande princesse, ou gouvernante des dam^'^s ou
filles de la cour, que l'on prend et l'on met en
cette digne charge pour la tenir sage? On la verra
qui fait la mine de la prude, de la chaste, de la
vertueuse, et que tout le monde la tient ainsi pour
telle, à cause de son aage; et, quand on songe en
soy, et qu'on le dit à quelque sien fidèle com-
pagnon et confident : « La voyez-vous là en sa
façon grave, sa mine sage et desdaigneuse et froide,
qu'on diroit qu'elle ne feroit pas mouvoir une
seule goutte d'eau ? Helas ! quand je la tiens cou-
chée en son lict, il n'y a girouette au monde qui
se remue et se revire si souvent et si agilement que
font ses reins et ses fesses. »
Quant à moy, je croy que celuy qui a passé par
là et le peut dire, qu'il est tres-content en soy.
Ha! que j'en ay cogneu plusieurs de ces dames en
ce monde, qui contrefaisoyent leurs dames sages,
prudes et censorienes, qui estoyent tres-debordées
et vénériennes quand venoyent là, et que bien
QJJATRIÉME DISCOURS 123
souvent on abattoit plustost qu'aucunes jeunes,
qui, par trop peu rusées, craignent la lutte! Aussi
dit-on qu'il n'y a chasse que de vieilles renardes
pour chasser et porter à manger à ses petits.
f Nous lisons que jadis plusieurs empereurs
romains se sont fort délectez à desbaucher et re-
passer ainsi ces grandes dames d'honneur et de ré-
putation, autant pour le plaisir et contentement,
comme certes il y en a plus qu'en des inférieures,
que pour la gloire et honneur qu'ils s'attribuoyent
de les avoir debauschées et suppeditées : ainsi que
j'en ay cogneu de mon temps plusieurs seigneurs,
princes et gentilshommes, qui s'en sont sentis tres-
glorieux et tres-contents dans leur ame, pour avoir
fait de mesme.
5 Jules Caesar et Octavie, son successeur, sont
esté fort ardents à telles conquestes, ainsi que j'ay
dit cy-devant; et après eux Calligula, lequel, con-
viant à ses festins les plus illustres dames romaines
avec leurs maris, les contemplant et considérant
fort fixement, mesmes avec la main leur levoit la
face, si aucunes de honte la baissoyent pour se
sentir dames d'honneur et de réputation, ou bien
d'autres qui voulussent les contrefaire, et des fort
prudes et chastes, comme certainement y en pou-
voit avoir peu es temps de ces empereurs dissolus,
mais il falloit faire la mine et en estre quittes pour
cela; autrement le jeu ne fust esté bon, comme
j'en ay veu faire de mesmes à plusieurs dames.
Celles après qui plaisoyent à ce monsieur Tempe-
124 (QUATRIEME DISCOURS
reur, les prenoit privement et publiquement prés
de leurs maris, et, les sortans de la salle, les menoit
en une chambre, où il en tiroit d'elles son plaisir
ainsi qu'il luy plaisoit; et puis les retournoit en
leur place se rasseoir; et devant toute l'assemblée
louoit leurs beautez et singularitez qui estoyent
en elles cachées, les spécifiant de part en part; et
celles qui avojent quelques tares, laideurs et def-
fectuositez, ne les celoit nullement, ains les des-
crioit et les declaroit, sans rien déguiser ny cacher.
Néron fut aussi curieux, qui pis est encor, de
voir sa mère morte, la contempler fixement et ma-
nier tous ses membres, louant les uns et vitupérant
les autres.
J'en ay ouy conter de mesme d'aucuns grands
seigneurs chrestiens, qui ont bien cette mesme
curiosité envers leurs mères mortes.
J Ce n'estoit pas tout de ce Calligula : car il
racontoit leurs mouvemens, leurs façons lubriques,
leurs maniemens et leurs airs qu'elles observoyent
en leur manège, et surtout de celles qui avoyent
esté sages et modestes, ou qui les contrefaisoyent
ainsi à table : car, si à la couche elles en vouloyent
faire de mesme, ne faut point douter si le cruel
ne les menassoit de mort si elles ne faisoyent tout
ce qu'il vouloit pour le contenter, et crainte de
mourir; et puis après les scandalisoit ainsi qu'il
luy plaisoit, aux despens et risée commune de ces
pauvres dames, qui, pensans estre tenues fort
chastes et sages, comme il y en pouvoit avoir, ou
(QUATRIÈME DISCOURS 125
faire des hypocrites et contrefaire les donne da
berij estoyent tout à trac divulguées et réputées
bonnes vesses et ribaudes; ce qui n'estoit pas mal
employé de les descouvrir pour telles qu'elles ne
vouloyent qu'on les cogneust. Et qui estoit le
meilleur, c'estoyent, comme j'ay dit, toutes grandes
dames, comme femmes de consuls, dictateurs, prê-
teurs, questeurs, sénateurs, censeurs, chevalliers,
et d'autres de très-grands estats et dignitez ; ainsi
que nous pouvons dire aujourd'huy en nosîre
chrestienté les reines, qui se peuvent comparer aux
femmes des consuls, puisqu'ils commandoient à
tout le monde; les princesses grandes et moyennes,
les duchesses grandes et petites, les marquises et
marquisotes, les comtesses et contines, les baron-
nesses et chevalleresses, et autres dames de grand
rang et riche estoffe : sur quoy il ne faut douter
que, si plusieurs empereurs et rois en pouvoyent
faire de mesme envers telles grandes dames, comme
cet empereur Calligula, ne le fissent; mais ils sont
chrestiens, qui ont la crainte de Dieu devant les
yeux, ses saints commandements, leur conscience,
leur honneur, le diffame des hommes, et leurs
maris, car la tyrannie seroit insupportable à des
cœurs généreux. En quoy certes les rois chrestiens
sont fort à estimer et louer, de gaigner l'amour
des belles dames plus par douceur et amitié que
par force et rigueur; et la conqueste en est beau-
coup plus belle.
5 J'ay ouy parler de deux grands princes qui se
126 (QUATRIEME DISCOURS
sont fort pleus à descouvrir ainsi les beautez, gen-
tillesses et singularitez de leurs dames, aussi leurs
defformitez, tares et deffauts, ensemble leurs ma-
nèges, mouvemens et lascivetez, non en public
pourtant, comme Calligula, mais en privé, avec
leurs grands amis particuliers. Et voilà le gentil
corps de ces pauvres dames bien employé. Pensant
bien faire et se jouer pour complaire à leurs
amants, sont descriées et brocardées.
Or, afin de reprendre encor nostre compa-
raison, tout ainsi que l'on void de beaux édifices
bastis sur meilleurs fondements et de meilleures
pierres et matière les uns plus que les autres, et,
pour ce, durer plus longuement en leur beauté et
gloire, aussi y a-il des corps de dames si bien
complexionnez et composez, et empraints en
beautez, qu'on void volontiers le temps n'y gaigner
tant comme sur d'autres, ny les miner aucunement.
5 II se lit qu'Artaxercez, entre toutes ses femmes
qu'il eut, celle qu'il ayma le plus fut Astazia, qui
estoit fort aagée, et toutesfois très-belle, qui avoit
esté putain de son feu frère Daire. Son fils en de-
vint si fort amoureux, tant elle estoit belle nonob-
stant Taage, qu'il la demanda à son père en par-
tage, aussi bien que la part du royaume. Le père,
par jalousie qu'il en eut, et qu'il participast avec
luy de ce bon boucon, la fit prestresse du Soleil,
d'autant qu'en Perse celles qui ont tel estât se
vouent du tout à la chasteté.
5 Nous lisons dans VHistoire de Naples que La-
(QUATRIEME DISCOURS 127
dislaus, Hongre et roy de Naples, assiégea dans
Tarente la duchesse Marie, femme de feu Ram-
mondelo de Balzo, et, après plusieurs assauts et
faits d'armes, la prit par composition avec ses
enfants, et l'espousa, bien qu'elle fust aagée, mais
très-belle, et l'ammena avec soy à Naples; et fut
appelée la reine Marie, fort aymée de luy et
chérie.
* J'ay veu madame la duchesse de Valentinois,
en l'aage de soixante-dix ans, aussi belle de face,
aussi fraische et aussi aymable comme en l'aage de
trente ans : aussi fut-elle fort aymée et servie d'un
des grands rois et valeureux du monde. Je le peux
dire franchement, sans faire tort à la beauté de
cette dame : car toute dame aymée d'un grand
roy, c'est signe que perfection abonde et habite
en elle qui la fait aymer; aussi la beauté donnée
des cieux ne doit estre espargnée aux demy-dieux.
Je vis cette dame, six mois avant qu'elle mourust,
si belle encor que je ne sçache cœur de rocher qui
ne s'en fust esmeu, encore qu'auparavant elle s'es-
toit rompue une jambe sur le pavé d'Orléans, allant
et se tenant à -cheval aussi dextrement et disposte-
ment comme elle avoit fait jamais; mais le cheval
tomba et glissa sous elle; et, pour telle rupture et
maux et douleurs qu'elle endura, il eust semblé
que sa belle face s'en fust changée; mais rien
moins que cela, car sa beauté, sa grâce, sa ma-
jesté, sa belle apparence, estoyent toutes pareille*
qu'elle avoit tousjours eu. Et surtout elle avoit une
128 Q^UATRIÉME DISCOURS
tres-grande blancheur, et sans se farder aucune-
ment; mais on dit bien que tous les matins elle
usoit de quelques bouillons composez d'or potable
et autres drogues, que je ne sçay pas comme les
bons médecins et subtils apoticaires. Je croy que
si cette dame eust encor vescu cent ans, qu'elle
n'eust jamais vieilly, fust du visage, tant il estoit
bien composé, fust du corps, caché et couvert,
tant il estoit de bonne trempe et belle habitude.
C'est dommage que la terre couvre ces beaux
corps!
J'ay veu madame la marquise de Rothelin, mère
à madame la douairière princesse de Condé et de
feu M. de Longueville, nullement ofîencée en sa
beauté ny du temps ny de l'aage , et s'y entre-
tenir en aussi belle fleur qu'en la première, fors
que le visage luy rougissoit un peu sur la fin; mais
pourtant ses beaux yeux qui estoyent des nom-
pareils du monde, dont madame sa fille en a
hérité, ne changèrent oncques, et aussi prests à
blesser que jamais.
J'ay veu madame de La Bourdesiere, depuis en
secondes nopces mareschale d'Aumont, aussi belle
sur ses vieux jours que l'on eust dit qu'elle estoit
en ses plus jeunes ans; si bien que ses cinq filles,
qui ont esté des belles, ne l'effaçoient en rien. Et
volontiers, si le choix fust esté à faire, eust-on
laissé les filles pour prendre la mère; et si avoit eu
plusieurs enfans. Aussi estoit-ce la dame qui se
contregardoit le mieux, car elle estoit ennemie
(QUATRIEME DISCOURS I 29
mortelle du seiain et de la lune, et les fuyoit le
plus qu'elle pouvoit; le fard commun, pratiqué de
plusieurs dames, luy estoit incogneu.
J'aj veu, qui est bien plus, madame de Mareuil,
mère de madame la marquise de Mezieres et grand-
mere de la Princesse-Dauphin, en l'aage de cent
ans, auquel elle mourut, aussi belle, aussi droite,
aussi fraische, aussi disposte, saine et belle, qu'en
l'aage de cinquante ans : ç'avoit esté une très-
belle femme en sa jeune saison.
Sa fille, madame ladite marquise, avoit esté telle,
et mourut ainsi, mais non si aagée de vingt ans, et
la taille luy appetissa un peu. Elle estoit tante de
madame de Bourdeille, femme à mon frère aisné,
qui luy portoit pareille vertu : car, encor qu'elle
eust passé cinquante-trois ans et ait eu quatorze
enfans, on diroit, comme ceux qui la voyent sont
de meilleur jugement que moy et l'asseurent, que
ces quatre filles qu'elle a auprès d'elle se mon-
strent ses sœurs : aussi void-on souvent plusieurs
fruicts d'hyver, et de la dernière saison, se paran-
gonner à ceux d'esté, et se garder, et estre aussi
beaux et savoureux, voire plus.
Madame l'admiralle de Brion, et sa fille, madame
de Barbezieux, ont esté aussi très-belles en vieillesse.
L'on me dit dernièrement que la belle Paule, de
Thoulouze, tant renommée de jadis, est aussi belle
que jamais, bien qu'elle ait quatre-vingts ans; et
n'y trouve-on rien changé, ny en sa haute taille
ny en son beau visage.
Brantôme, II. 17
l3o (QUATRIÈME DISCOURS
J'ay veu madame la présidente Conte, de Bour-
deaux, tout de mesme et en pareil aage, et tres-
aimable et désirable ; aussi avoit-elle beaucoup de
perfections. J'en nommerois tant d'autres, mais je
n'en pourrois faire la fin.
5 Un jeune cavallier espagnol parlant d'amour
à une dame aagée, mais pourtant encor belle, elle
luy respondit : A mis complétas desta manera me
habla V. M. ? « Comment à mes compiles me
parlez-vous ainsi? » Voulant signifier par les com-
piles son aage et déclin de son beau jour, et l'ap-
proche de sa nuict. Le cavallier luy respondit :
Sus complétas valen mas, y son mas graciosas que
las horas de prima de qualquier otra dama. « Vos
compiles vallent plus, et sont plus belles et gra-
cieuses que les heures de prime de quelque autre
dame qui soit. » Cette allusion est gentille.
Un autre parlant de mesme d'amour à une dame
aagée, et l'autre luy remonstrant sa beauté flestrie,
qui pourtant ne l'estoit trop, il luy respondit : A
las visperas se conoce la fîesta : «. A vespres la feste
se connoist. »
On void encore aujourd'huy madame de Ne-
mours, jadis en son avril la beauté du monde, faire
affront au temps, encor qu'il efface tout. Je la
puis dire telle, et ceux qui l'ont veue avec moy,
que c'a esté la plus belle femme, en ses jours ver-
doyans, de la chrestienté. Je la vis un jour danser,
comme j'ay dit ailleurs, avec la reine d'Escosse,
elles deux toutes seules ensemble et sans autres
(QUATRIÈME DISCOURS l3l
dames de compagnie, et ce par caprice, que tous
ceux et celles qui les advisoient danser ne sceurent
juger qui l'emportoit en beauté; et eut-on dit, ce
dit quelqu'un, que c'estoyent les deux soleils as-
semblez qu'on lit dans Pline avoir apparu autres-
fois pour faire esbahir le monde. Madame de Ne-
mours, pour lors madame de Guise, monstroit la
taille plus riche; et, s'il m'est loisible ainsi le dire
sans offenser la reine d'Escosse, elle avoit la ma-
jesté plus grave et apparente, encor qu'elle ne
fust reine comme l'autre; mais elle estoit petite-
fille de ce grand roy père du peuple, auquel elle
ressembloit en beaucoup de traits de visage, comme
je l'ay veu pourtrait dans le cabinet de la reine de
Navarre, qui monstroit bien en tout quel rcy il
estoit.
Je pense avoir esté le premier qui l'ay appellée
du nom de petite-fille du roy père du peuple ; et
ce fut à Lion quand le roy tourna de Pologne ;
et bien souvent l'y appellois-je : aussi me faisoit-
elle cet honneur de le trouver bon, et l'aymer de
moy. Elle estoit certes vraye petite-fille de ce
grand roy, et surtout en bonté et beauté : car elle
a esté très-bonne ; et peu ou nul se trouve à qui
elle ait fait mal ny desplaisir, et si en a eu de
grands moyens du temps de sa faveur, c'est-à-dire
de celle de feu M. de Guise, son mary, qui a eu
grand crédit en France. Ce sont doncq deux très-
grandes perfections qui ont esté en cette dame,
que bonté et beauté, et que toutes deux elle a
l32 (QUATRIEME DISCOURS
tres-bien entretenu jusques icy, et pour lesquelles
elle a espousé deux honnestes marys, et deux que
peu ou point en eust-on trouvé de pareils; et, s'il
s'en trouvoit encor un pareil et digne d'elle, et
qu'elle le voulust pour le tiers, elle le pourroit
encor user, tant elle est encor belle. Aussi qu'en
Italie l'on tient les dames ferraroises pour de bons
et friands morceaux, dont est venu le proverbe,
pota ferraresa, comme l'on dit cazzo mantuano.
Sur quoy, un grand seigneur de ce païs là pour-
chassant une fois une belle et grand princesse de
nostre France, ainsi qu'on le louoit à la cour de
ses belles vertus, valleurs et perfections pour la
mériter, il y eut feu M. Dau, capitaine des gardes
escossoises, qui rencontra mieux que tous en di-
sant : (( Vous oubliez le meilleur, cazzo man-
tuano. ))
J'ay ouy dire un pareil mot une fois, c'est que
le duc de Mantoue, qu'on appelloit le Gobin,
parce qu'il estoit fort bossu, jvoulant espouser la
sœur de l'empereur Maximilian, il fut dit à elle
qu'il estoit ainsi fort bossu. Elle respondit, dit-on :
Non importa purche la campana habbia qualche
diffetto, ma ch' cl sonaglio sia buono ; voulant en-
tendre le cazzo mantuan[o']. D'autres disent qu'elle
ne profera le mot, car elle estoit trop sage et bien
apprise; mais d'autres le dirent-pour elle.
Pour tourner encore à cette princesse ferraroise,
je la vis, aux nopces de feu M. de Joyeuse, parestre
vestue d'une mante à la mode d'Italie et retrous-
Q^UATRIÉME DISCOURS i33
sée à demy sur le bras à la mode sienoise; mais il
n'y eut point encor de dame qui l'effaçast, et n'y
eut aucun qui ne dist : « Cette belle princesse ne
se peut rendre encor, tant elle est belle. Et est
bien aisé à juger que ce beau visage couvre et
cache d'autres grandes beautez et parties en elle
que nous ne voyons point; tout ainsi qu'à voir le
beau et superbe front d'un beau bastiment, il est
aisé à juger qu'au dedans il y a de belles chambres,
antichambres et garderobbes, beaux recoins et
cabinets. » En tant de lieux encor a-elle fait pa-
roistre sa beauté depuis peu , et en son arrière-
saison, et mesme en Espagne aux nopces de M. et
madame de Savoye, que l'admiration d'elle et de
sa beauté, et de ses vertus, y en demeura gravée
pour tout jamais. Si les aisles de ma plume estoyent
assez fortes et amples pour la porter dedans le ciel,
je le ferois ; mais elles sont trop foibles; si en par-
leray-je encore ailleurs. Tant y a que c'a esté une
très-belle femme en son printemps, son esté et
son automne, et son hyver encore, quoyqu'elle
ait eu grande quantité d'ennuis et d'enfans.
Qui pis est, les Italiens, mesprisans une femme
qui a eu plusieurs enfans, l'appellent scrofa, qui est
à dire une truye; mais celles qui en produisent de
beaux, braves et généreux, comme cette princesse
a fait, sont à louer, et sont indignes de ce nom,
mais de celuy de benistes de Dieu.
Je puis faire cette exclamation : Quelle mon-
daine et merveilleuse inconstance, que la chose
l34 (QUATRIÈME DISCOURS
qui est la plus légère et inconstante, au temps fait
la résistance, qu'est la belle femme! Ce n'est pas
moy qui le dis; j'en serois bien marry, car j'es-
time fort la constance d'aucunes femmes, et toutes
ne sont inconstantes : c'est d'un autre de qui je
tiens cette exclamation. J'alleguerois encore vo-
lontiers des dames estrangeres, aussi bien que de
nos françoises, belles en leur automne et hyver;
mais pour ce coup je ne mettray en ce rang que
deux.
L'une, la reine Elisabeth d'Angleterre qui règne
aujourd'huy, qu'on m'a dit estre encor aussi belle
que jamais. Que si elle est telle, je la tiens pour
une très-belle princesse : car je l'ay veue en son
esté et en son automne. Quant à son hyver, elle y
approche fort, si elle n'y est : car il y a long-temps
que ne l'ay veue. La première fois que je la vis, je
sçay l'aage qu'on luy donnoit alors. Je croy que
ce qui l'a maintenue si longtemps en sa beauté,
c'est qu'elle n'a jamais esté mariée, ny a supporté
le faix de mariage qui est fort onéreux, et mesmes
quand l'on porte plusieurs enfants. Cette reine est
à louer en toutes sortes de louanges, n'estoit la
mort de cette brave, belle et rare reine d'Escosse,
qui a fort souillé ses vertus.
L'autre princesse et dame estrangere est ma-
dame la marquise de Gouast, donne Marie d'Ar-
ragon, laquelle j'ay veue une très-belle dame sur
sa dernière saison; et je vous le vois dire par un
discours que j'abbregeray le plus que je pourray.
QUATRIEME DISCOURS l35
Lorsque le roy Henry mourut, un mois après
mourut le pape Paul IV, Caraffe, et pour [l'élec-
tion d'un nouveau fallut que tous les cardinaux
s'assemblassent. Entr'autres partit de France le
cardinal de Guise; et alla à Rome par mer avec
les galères du roy, desquelles estoit gênerai M. le
grand prieur de France, frère dudit cardinal, le-
quel, comme bon frère, le conduisit avec seize
galleres. Et firent si bonne diligence et avec si bon
vent en poupe qu'ils arrivèrent en deux jours et
deux nuicts à Civita-Vecchia, et de là à Rome, où
estant, M. le grand prieur, voyant qu'on n'estoit
pas encor prest de faire nouvelle élection (comme
de vray elle demeura trois mois à faire), et par
conséquent de retourner son frère, et que ses gal-
leres ne faisoyent rien au port, il s'advisa d'aller
jusques à Naples voir la ville et y passer son temps.
A son arrivée donc, le vice-roy, qui estoit lors
le duc d'Alcala, le receut comme si ce fust esté un
roy. Mais avant que d'y arriver salua la ville d'une
fort belle salve qui dura longtemps; et la mesme
luy fut rendue de la ville et des chasteaux, qu'on
eust dit que le ciel tonnoit estrangement durant
cette salve. Et, tenant ses galleres en bataille et
en joly, et assez loin, il envoya dans un esquif
M. de l'Estrange, de Languedoc, fort habille et
honneste gentilhomme, qui parloit fort bien, vers
le vice-roy, pour ne luy donner l'allarme, et luy
demander permission, encore que nous fussions en
bonne paix, mais pourtant nous ne venions que de
l36 (QUATRIÈME DISCOURS
frais de la guerre, d'entrer dans le port, pour voir
la ville et visiter les sepulchres de ses prédécesseurs
qui estoyent là enterrez, et leur jetter de l'eau be-
niste et prier Dieu sur eux.
Le vice-roj l'accorda très-librement. M. le
grand prieur donc s'avança et recommença la salve
aussi belle et furieuse que devant, tant des canons
de courcie des seize galleres que des autres pièces
et d'arquebusades, tellement que tout estoit en
feu; et puis entra dans le môle fort superbement,
avec plus d'estendarts, de banderoUes, de flambans
de taffetas cramoisy, et la sienne de damas, et tous
les forçats vestus de velours cramoisy, et les sol-
dats de sa garde de mesme, avec mandilles cou-
vertes de passement d'argent, desquels estoit ca-
pitaine le capitaine Geoffroy, Provençal, brave et
vaillant capitaine, et bien que l'on trouvast nos gal-
leres françoises très-belles, lestes et bien espal-
verades, et surtout la Kealle, à laquelle n'y avoit
rien à redire : car ce prince estoit en tout tres-ma-
gnifîque et libéral.
Estant donc entré dans le mole en un si bel ar-
roy, il prit terre et tous nous autres avec luy, où
le vice-roy avoit commandé de tenir prests des
chevaux et des coches pour nous recueillir et con-
duire en la ville; comme de vray nous y trou-
vasmes cent chevaux, coursiers, genêts, chevaux
d'Espagne, barbes et autres, les uns plus beaux
que les autres, avec des housses de velours toutes
en broderie, les unes d'or et les autres d'argent.
Q^UATRIÉME DISCOURS iBy
Qui vouloit monter à cheval montoit, qui en coche
montoit, car il y en avoit une vingtaine des plus
belles et riches et des mieux attelées, et traisnées
par des coursiers les plus beaux qu'on eust sceu
voir. Là se trouvèrent aussi force grands princes
et seigneurs, tant du Règne qu'Espagnols, qui re-
ceurent M. le grand prieur, de la part du vice-
roy, tres-honnorablement. Il monta sur un cheval
d'Espagne, le plus beau que j'aye veu il y a long-
temps, que depuis le vice-roy luy donna; et se
manioit très-bien, et faisoit de très-belles cour-
bettes, ainsi qu'on parloit de ce temps. Luy, qui
estoit un tres-bon homme de cheval, et aussi bon
que de mer, il le fit très-beau voir là-dessus; et il
le faisoit très-bien valloir et aller, et de fort bonne
grâce, car il estoit l'un des beaux princes qui fust
de ce temps là, et des plus agréables, des plus ac-
complis, et de fort haute et belle taille et bien dé-
nouée; ce qui n'advient guieres à ces grands
hommes. Ainsi il fut conduit par tous ces seigneurs
et tant d'autres gentilshommes chez le vice-roy,
lequel l'attendoit, et luy fit tous les honneurs du
monde, et logea en son palais, et le festoya fort
sumptueusement, et luy et sa troupe : il le pou-
voit bien faire, car il luy gaigna vingt mille escus
à ce voyage. Nous pouvions bien estre avec luy
deux cens gentilshommes, que capitaines des gal-
leres et autres ; nous fusmes logez chez la pluspart
des grands seigneurs de la ville, et tres-magnifi-
quement.
i8
l38 QUATRIEME DISCOURS
Dés le matin, sortans de nos chambres, nous
rencontrions des estafïiers si bien créez qui se ve-
noyent présenter aussitost et demander ce que nous
voulions faire et où voulions aller et pourmener.
Et, si voulions chevaux ou coches, soudain, aussi-
tost notre volonté dite aussitost accomplie. Et al-
louent quérir les montures que voulions, si belles,
si riches et si superbes, qu'un roy s'en fust con-
tenté; et puis accommencions et accomplissions
nostre journée ainsi qu'il plaisoit à chacun. Enfin
nous n'estions guieres gastez d'avoir faute de plai-
sirs et délices en cette ville : ne faut dire qu'il n'y
en eust, car je n'ay jamais veu ville qui en fust
plus remplie en toute sorte; il n'y manque que la
familière, libre et franche conversation d'avec les
dames d'honneur et réputation, car d'autres il y
en a assez. A quoy pour ce coup sceut très-bien
remédier madame la marquise del Gouast, pour
l'amour de laquelle ce discours se fait : car, toute
courtoise et plene de toute honnesteté, et pour la
grandeur de sa maison, ayant ouy renommer M. le
grand prieur des perfections qui estoyent en luy,
et l'ayant veu passer par la ville à cheval et reco-
gneu, comme de grand à grand cela est deu com-
munément, elle, qui estoit toute grande en tout,
l'envoya visiter un jour par un gentilhomme fort hon-
neste et bien créé, et luy manda que, si son sexe
et la coutume du païs luy eussent permis de le vi-
siter, volontiers elle y fust venue fort librement
pour luy offrir sa puissance, comme avoyent fait
(QUATRIÈME DISCOURS 189
tous les grands seigneurs du ro_yaume; mais le pria
de prendre ses excuses en gré, en luy offrant et
ses maisons, et ses chasteaux, et sa puissance.
M. le grand prieur, qui estoit la mesme cour-
toisie, la remercia fort, comme il devoit, et luy
manda qu'il luy iroit baiser les mains incontinent
après disner; à quoy il ne faillit avec sa suitte de
tous nous autres qui estions avec luy. Nous trou-
vasmes la marquise dans sa salle avec ses deux
filles, done Antonine, et l'autre done Hieronime
ou done Joanne, je ne sçaurois bien le dire, car il
ne m'en souvient plus, avec force belles dames et
damoiselles, tant bien en point et de si belle et
bonne grâce que, horsmis nos cours de France et
d'Espagne, volontiers ailleurs n'ay-je point veu
plus belle troupe de dames.
Madame la marquise salua à la françoise et ré-
cent M. le grand prieur avec un très-grand hon-
neur; et luy en fit de mesmes, encor plus humble,
con mas gran sossiego^ comme dit l'Espagnol. Leurs
devis furent pour ce coup de propos communs.
Aucuns de nous autres, qui sçavions parler italien
et espagnol, accostâmes les autres dames, que nous
trouvasmes fort honnestes et gallantes, et de fort
bon entretien.
Au départir, madame la marquise, ayant sceu de
M. le grand prieur le séjour d'un quinze jours
qu'il vouloit faire là, luy dit : « Monsieur, quand
vous ne sçaurez que faire et qu'aurez faute de
passe-temps, lorsqu'il vous plaira venir céans vous
I/jO (QUATRIEME DISCOURS
me ferez beaucoup d'honneur, et y serez le très-
bien venu comme en la maison de madame vostre
mère; vous priant de disposer de cette-cy de
mesme et ainsi que la sienne, et y faire ny plus
ny moins. J'ay ce bonheur d'estre aymée et visitée
d'honnestes et belles dames de ce royaume et de
cette ville, autant que dame qui soit; et, d'autant
que vostre jeunesse et vertu porte que vous aymez
la conversation des honnestes dames, je les prieray
de se rendre icy plus souvent que de coustume,
pour vous tenir compagnie et à toute cette belle
noblesse qui est avec vous. Voilà mes deux filles
auxquelles je commanderay, encores qu'elles ne
soyent si accomplies qu'on diroit bien, de vous
tenir compagnie à la françoise, comme de rire,
danser, jouer, causer librement, modestement et
honnestement, comme vous faites à la cour de
France, à quoy je m'offrirois volontiers; mais il
fascheroit fort à un prince jeune, beau et honneste
comme vous estes d'entretenir une vieille suran-
née, fascheuse et peu aymable comme moy : car
volontiers jeunesse et vieillesse ne s'accordent
guieres bien ensemble. »
M. le grand prieur luy releva aussitost ces mots,
en luy faisant entendre que la vieillesse n'avoit rien
gaigné sur elle, et que malaisément il ne passeroit
pas celuy-là, et que son autonne surpassoit tous
les printemps et estez qui estoyent en cette salle;
comme, de vray, elle se monstroit encor une très-
belle dame et fort aymable, voire plus que ses
C^UATRIEME DISCOURS 141
deux filles, toutes belles et jeunes qu'elles estoyent;
si avoit-elle bien alors prés de soixante bonnes
années. Ces deux petits mots que M. le grand
prieur donna à madame la marquise luy pleurent
fort, selon que nous pusmes cognoistre à son vi-
sage riant, à sa parole et à sa façon.
Nous partismes de là extresmement bien édifiez
de cette belle dame, et surtout M. le grand prieur,
qui en fut aussitost espris, ainsi qu'il nous le dit.
Il ne faut donc douter si cette belle dame et hon-
neste, et sa belle troupe de dames convia M. le
grand prieur tous les jours d'aller à son logis : car
si on n'y alloit l'aprés-disnée on y alloit le soir.
M. le grand prieur prit pour sa maistresse sa fille
aisnée, encor qu'il aymast mieux la mère; mais ce
fut per adombrar la cosa.
Il se fit force couremens de bague, où M. le
grand prieur emporta le prix^ force ballets et
danses. Bref, cette belle compagnie fut cause que,
luy ne pensant séjourner que quinze jours, nous y
fusmes pour nos six sepmaines, sans nous y fascher
nullement, car nous y avions nous autres aussi bien
fait des maistresses comme nostre gênerai. Encore
y eussions-nous demeuré davantage, sans qu'un
courrier vint du roy son maistre, qui luy porta
nouvelles de la guerre eslevée en Escosse ; et pour
ce falloit mener et faire passer ses galleres de le-
vant en ponant, qui pourtant ne passèrent de huict
mois après.
Ce fut à se départir de ces plaisirs délicieux, et
142 Q^UATRIEME DISCOURS
de laisser la bonne et gentille ville de Naples; et
ne fut à M. nostre gênerai et à tous nous autres
sans grandes tristesses et regrets, mais nous fas-
chant fort de quitter un lieu où nous nous trou-
vions si bien.
Au bout de six ans, ou plus, nous allasmes au
secours de Malte. Moy estant à Naples, je m'en-
quis si madite dame la marquise estoit encor vi-
vante ; on me dit qu'ouy, et qu'elle estoit en la
ville. Soudain je ne faillis de l'aller voir; et fus
aussitost recogneu par un vieux maistre d'hostel de
leans, qui l'alla dire à madite dame que je luy
voulois baiser les mains. Elle, qui se ressouvint de
mon nom de Bourdeille, me fit monter en sa
chambre et la voir. Je la trouvay qui gardoit le
lict à cause d'un petit feu voilage qu'elle avoit d'un
costé de joue. Elle me fit, je vous jure, une très-
bonne chère. Je ne la trouvay que fort peu chan-
gée , et encore si belle qu'elle 'eust bien fait commet-
tre un péché mortel, fust ou de volonté ou de fait.
Elle s'enquit fort à moy des nouvelles de feu
M. le grand prieur, et d'affection, et comme il
estoit mort, et qu'on luy avoit dit qu'il avoit esté
empoisonné, maudissant cent fois le malheureux
qui avoit fait le coup. Je luy dis que non, et qu'elle
ostât cela de sa fantaisie, et qu'il estoit mort d'un
purisy faux et sourd qu'il avoit gaigné à la bataille
de Dreux, où il avoit combattu comme un César
tout le jour; et le soir, à la dernière charge, s'estant
fort eschauffé au combat, et suant, se retirant le
(QUATRIÈME DISCOURS 148
soir qu'il geloit à pierre fendre, se morfondit; et
se couva sa maladie, dont il mourut un mois ou
six sepmaines après.
Elle monstroit, par sa parole et sa façon, de le
regretter fort. Et notez que, deux ou trois ans au-
paravant, il avoit envoyé deux galleres en cours
sous la charge du capitaine Beaulieu , l'un de ses
lieutenans de galleres. Il avoit pris la bandiere de
la reine d'Escosse, qu'on n'avoit jamais veue vers
les mers de Levant, ny cogneue, dont on estoit fort
esbahy : car, de prendre celle de France, n'en
falloit point parler, pour l'alliance entre le Turc.
M. le grand prieur avoit donné charge au dict
capitaine Beaulieu de prendre terre à Naples, et
de visiter de sa part madame la marquise et ses
filles, auxquelles trois il envoyoit force presens de
toutes les petites singularitez qui estoyent lors à la
cour et au Palais, à Paris et en France : car ledit
sieur grand prieur estoit la mesme libéralité et
magnificence; à quoi ne faillit le capitaine Beau-
lieu, et de présenter le tout, qui fut très-bien receu,
et pour ce fut recompensé d'un beau présent.
Madame la marquise se ressentoit si fort obligée
de ce présent, et de la souvenance qu'il avoit en-
cor d'elle, qu'elle me le réitéra plusieurs fois, dont
elle l'en ayma encore plus. Pour l'amour de luy,
elle fit encore une courtoisie à un gentilhomme
gascon, qui estoit lors aux galleres de M. le
grand prieur, lequel, quand nous partismes, de-
meura dans la ville, malade jusqu'à la mort. La
144 Q^UATRIEME DISCOURS
fortune fut si bonne pour luy que, s'addressant à
ladite dame en son adversité, elle le fit si bien se-
courir qu'il eschappa; et le prit en sa maison, et
s'en servit, que, venant à vacquer une capitainerie
en un de ses chasteaux, elle la luy donna, et luy
fit espouser une femme riche.
Aucuns de nous autres ne sceusmes qu'estoit de-
venu le gentilhomme, et le pensions mort, sinon
lorsque nous fismes ce voyage de Malte, il se
trouva un gentilhomme qui estoit cadet de celuy
dont j'ay parlé, qui un jour, sans y penser, par-
lant à moy de la principale occasion de son voyage,
qui estoit pour chercher nouvelles d'un sien frère
qui avoit esté à M. le grand prieur, et estoit resté
malade à Naples il y avoii plus de six ans, et que
depuis il n'en avoit jamais sceu nouvelles, il m'en
alla souvenir; et depuis m'enquis de ses nouvelles
aux gens de madame la marquise, qui m'en contè-
rent, et de sa bonne fortune : soudain je le rap-
portay à son cadet, qui m'en remercia fort; et vint
avec moy chez madite dame, qui en prit encor
plus de langue, et l'alla voir oii il estoit.
Voilà une belle obligation, pour une souvenance
d'amitié qu'elle avoit encore, comme j'ay dit : car
elle m'en fit encore meilleure chère, et m'entretint
fort du bon temps passé, et de force autres choses
qui faisoyent trouver sa compagnie très-belle et
tres-aymable; car elle estoit de très-beau et bon
devis, et très-bien parlante.
Elle me pria cent fois ne prendre autre logis ny
(QUATRIEME DISCOURS 1^3
repas que le sien, mais je ne le voulus jamais,
n'ayant esté mon naturel d'estre importun ny co-
quin. Je Tallois voir tous les jours, pour sept ou
huict jours que nous y demeurasmes, et y estois
très-bien venu, et sa chambre m'estoit tousjours
ouverte sans difficulté.
Quand je luy dis à Dieu, elle me donna des
lettres de faveur à son fils M. le marquis de Pes-
cayre, gênerai pour lors en l'armée espagnole;
outre ce, elle me fit promettre qu'au retour je
passerois pour la revoir, et de ne prendre autre
logis que le sien.
Le malheur fut tant pour moy que les galleres
qui nous tournèrent ne nous mirent à terre qu'à
Terracine, d'où nous allasmes à Rome, et ne peus
tourner en arrière; et aussi que je m'en voulois
aller à la guerre de Hongrie ; mais, estans à Venise,
nous sceusmes la mort du grand sultan Soliman.
Ce fut là où je maudis cent fois mon malheur que
ne fusse retourné aussi bien à Naples, où j'eusse
bien passé mon temps. Et possible, par le moyen
de madite dame la marquise, j y eusse rencontré
une bonne fortune, fust par mariage ou autrement :
car elle me faisoit ce bien de m'aymer.
Je croy que ma malheureuse destinée ne le vou-
lut, et me voulut encore ramener en France pour
y estre à jamais malheureux, et où jamais la bonne
fortune ne m'a monstre bon visage, sinon par
apparence et beau semblant d'estre estimé gallant
homme de bien et d'honneur prou, mais de moyens
Brantôme. II. i^
\
146 Q^UATRIÉME DISCOURS
et de grades point comme aucuns de mes compa-
gnons, voire d'autres plus bas, lesquels j'ay veu
qu'ils se fussent estimez heureux que j'eusse parlé
à eux dans une cour, dans une chambre de roy ou
de reine, ou une salle, encore à costé ou sur l'es-
paule, qu'aujourd'huy je les vois advancez comme
potirons et fort aggrandis, bien [que] je n'aye
affaire d'eux et ne les tienne plus grands que moy
ny que je leur voulusse déférer en rien de la lon-
gueur d'une ongle.
Or bien, pour moy en cela je peux bien prati-
quer le proverbe que nostre rédempteur Jesus-
Christ a profîeré de sa propre bouche que : « nu
prophète en son païs. » Possible, si j'eusse servy
des princes estrangers aussi bien que les miens, et
cherché l'adventure parmy eux comme j'ay fait
parmy les nostres, je serois maintenant plus chargé
de biens et dignitez que ne suis d'années et de
douleurs. Patience! si ma Parque m'a ainsi filé, je
la maudis; s'il tient à mes princes, je les donne à
tous les diables, s'ilz n'y sont.
Voilà mon conte achevé de cette honnorable
dame; elle est morte en une très-grande réputa-
tion d'avoir esté une très-belle et honneste dame,
et d'avoir laissé après elle une belle et généreuse
lignée, comme M. le marquis son aisné, don Juan,
don Carlos, don Cesare d'Avalos, que j'ay tous
veus et desquels j'en ay parlé ailleurs; les filles de
mesme ont ensuivy les frères. Or, je fais fin à mon
principal discours.
bcaurnoiiL.pinx
wouaubv . ec
1/ AUDACIEUX ET LE TIMIDE
(Daines Galantes, Discours V).
CINQUIEME DISCOURS
SUR CE QUE
LES BELLES ET HONNESTES DAMES
AYMENT LES VAILLANS HOMMES
ET LES BRAVES HOMMES
AYMENT LES DAMES COURAGEUSES
L ne fut jamais que les belles et hon-
l^^'^nestes dames n'aymassent les gens
<=-^*. braves et vaillans, encore que de leur
nature elles soyent poltrones et timi-
des; mais la Vaillance a telle vertu à l'endroit
d'elles qu'elles l'ayment. Que c'est que de se faire
aymer de son contraire maugré son naturel! Et
qu'il ne soit vray, Venus, qui fut jadis la déesse
de beauté, de toute gentillesse ethonnesteté, estant
à mesme, dans les cieux et en la cour de Jupiter
pour choisir quelque amoureux gentil et beau et
pour faire cocu son bonhomme de mary Vulcan,
148 CINQUIEME DISCOURS
n'en alla aucun choisir des plus mignons, des plus
fringans ny des plus frizés, de tant qu'il y en avoit,
mais choisit et s'amouracha du dieu Mars, dieu
des armées et des vaillances, encor qu'il fust tout
sallaud, tout suant de la guerre d'où il venoit, et
tout noircy de poussière, et mal propre ce qu'il se
peut, sentant mieux son soldat de guerre que son
mignon de cour; et, qui pis est encor, bien sou-
vent, possible, tout sanglant revenant des batailles,
couchoit-il avec elle sans autrement se nettoyer et
parfumer.
5 La généreuse belle reine Pantasilée, la renom-
mée luy ayant fait à sçavoir les valleurs et vaillances
du preux Hector, et ses merveilleux faits d'armes
qu'il faisoit devant Troye sur les Grecqs, au seul
bruit s'amouracha de luy tant que, par un désir
d'avoir d'un si vaillant chevallier des enfans, c'est-
à-dire filles qui succédassent à son royaume, s'en
alla le trouver à Troye; et, le voyant, le contem-
plant et l'admirant, fit tout ce qu'elle peut pour
se mettre en grâce avec luy, non moins par les
armes qu'elle faisoit que par sa beauté, qui estoit
très-rare; et jamais Hector ne faisoit saillie sur ses
ennemis qu'elle ne l'y accompagnas! et ne se mes-
last aussi avant qu'Hector là où il faisoit le plus
chaud; si que l'on dit que, plusieurs fois, faisant
de si grandes prouesses, elle en faisoit esmerveil-
ler Hector, tellement qu'il s'arrestoit tout court
comme ravy souvent au milieu des combats les
plus forts, et se mettoit un peu à l'escart pour voir
CINQUIEME DISCOURS 149
et contempler mieux à son aise cette brave reine
à faire de si beaux coups.
De là en avant il est à penser au monde ce
qu'ils firent de leurs amours, et s'ils les mirent à
exécution : le jugement en peut estre bientost
donné. Mais tant y a que leur plaisir ne peut pas
durer longuement : car elle, pour mieux complaire
à son amoureux, se precipitoit si ordinairement
aux hasards qu'elle fut tuée à la fin parmy la plus
forte et plus cruelle meslée. Aucuns disent pour-
tant qu'elle ne vid pas Hector, et qu'il estoit mort
devant qu'elle arrivast, dont arrivant et sçachant
la mort, entra en un si grand dépit et tristesse,
pour avoir perdu le bien de sa veue qu'elle avoit
tant désiré et pourchassé de si loingtain païs,
qu'elle s'alla perdre volontairement dans les plus
sanglantes batailles, et mourut, ne voulant plus
vivre puisque n'avoit peu voir l'objet valleureux
qu'elle avoit le mieux choisi et plus aymé.
5 De mesmes en fit Tallestride, autre reine des
Amazones, laquelle traversa un grand païs, et fit
je ne sçay combien de lieues pour aller trouver
Alexandre le 'Grand, luy demandant par mercy,
ou à la pareille (de ce bon temps que l'on faisoit,
et le donnoit-on pour la pareille) coucha avec luy
pour avoir de la lignée d'un si grand et généreux
sang, l'ayant ouy tant estimer; ce que volontiers
Alexandre lui accorda ; mais bien gasté et degousté
s'il eust fait autrement, car ladicte reine estoit bien
aussi belle que vaillante. Quintus Curtius, Orose
l5o CINQJUIÉME DISCOURS
et Justin l'asseurent , et qu'elle vint trouver
Alexandre avec trois cens dames à sa suitte, tant
bien en point et de si bonne grâce, portans leurs
armes, que rien plus. Et fit ainsi la révérence à
Alexandre, qui la recueillit avec un très-grand
honneur; et demeura l'espace de treize jours et
de treize nuicts avec luy, s'accommoda du tout à
ses volontez et plaisirs, luy disant pourtant tous-
jours que si elle en avoit une fille, qu'elle la gar-
deroit comme un tres-precieux trésor; si elle en
avoit un fils, qu'elle luy envoyeroit, pour la haine
extresrne cju'elle portoit au sexe masculin, en ma-
tière de régner et avoir aucun commandement
parmy elles, selon les loix introduites en leurs
compagnies depuis qu'elles tuèrent leurs marys.
Ne faut douter là-dessus que les autres dames
et sous-dames n'en firent de mesme, et ne se
firent couvrir aux autres capitaines et gens d'armes
dudit Alexandre : car, en cela, il falloit faire
comme la dame.
5 La belle vierge Camille, belle et généreuse,
et qui servit si fidellement Diane, sa maistresse,
parmy les forests et les bois, en ses chasses, ayant
senty le vent de la vaillance de Turnus, et qu'il
avoit à faire avec un vaillant homme aussi, qui
estoit iEneas, et qui luy donnoit de la peine, choi-
sit son party; et le vint trouver, seulement avec
trois fort honnestes et belles dames de ses com-
pagnes, qu'elle avoit esleu pour ses grandes amies
et fidèles confidentes, et tribades pensez, et pour
C I N QV lÉME DISCOURS l5l
friquarelle ; et pour l'honneur en tous lieux s'en
servoit, comme dit Virgile en ses ^neidcs; et s'ap-
pelloyent l'une Armie la vierge et la vaillante, et
l'autre Tulle, et la troisiesme Tarpée, qui sçavoit
bien bransler la pique ou le dard, en deux façons
diverses, pensez, et toutes trois filles d'Italie,
Camille donc vint ainsi avec sa belle petite bande
(aussi dit-on : petit et beau et bon) trouver Tur-
nus, avec lequel elle fit de très-belles armes; et
s'advança si souvent et se mesla parmy les vaillants
Troyens qu'elle fut tuée, avec un très-grand regret
de Turnus, qui l'honnoroit beaucoup, tant pour
sa beauté que pour son bon secours. Ainsi ces
dames belles et courageuses alloyent rechercher
les braves et vaillants, les secourans en leurs guerres
et combats.
5 Qui mit le feu d'amour si ardent dans la poi-
trine de la pauvre Didon, sinon la vaillance qu'elle
sentit en son i£neas, si nous voulons croire Vir-
gile? Car, après qu'elle l'eut prié de luy racconter
les guerres, désolations et destruction de Troye,
et qu'il l'en eut contentée, à son grand regret
pourtant pour rénouveller telles douleurs, et qu'en
son discours il n'oublioit pas ses vaillantises; et
les ayant Didon très-bien remarquées et considé-
rées en soy, lorsqu'elle commença à déclarer à sa
sœur Anne [son amour], les principales et plus'prei-
gnantes paroles qu'elle luy dit furent : « Ah ! ma
sœur, quel hoste est cettui-cy qui est venu chez
moy ! la belle façon qu'il a, et combien se monstre-
ID2 CINQUIEME DISCOURS
il en grâce d'estre brave et vaillant, soit en armes
et en courage ! Et croy fermement qu'il est extrait
de quelque race des dieux : car les cœurs villains
sont couards de nature. » Telles furent ses pa-
roles. Et croy qu''elle se m.it à l'aymer, tant aussi
parce qu'elle estoit brave et généreuse, et que son
instinct la poussoit d'aymer son semblable, aussi
pour s'en ayder et servir en cas de nécessité. Mais
le malheureux la trompa et l'abandonna misérable-
ment; ce qu'il ne devoit. Cette honneste dame,
(qui) luy avoit donné son cœur et son amour;
à luy, dis-je, qui estoit un estranger et un for-
banny.
5 Bocace, en son livre des Illustres malheureux,
fait un conte d'une duchesse de Furly, nommée
Romilde, laquelle, ayant perdu son mary, ses
terres et son bien, que Caucan, roy des Avarois,
luy avoit tout pris, et réduite à se retirer avec ses
enfants dans son chasteau de Furly, là où il l'as-
siégea; mais, un jour cju'il s'en approchoit pour
le recognoistre, Romilde, qui estoit sur le haut
d'une tour, le vid, et se mit fort à le contempler
et longuement; et, le voyant si beau, estant en la
fleur de son aage, monté sur un beau cheval, et
armé d'un harnois tres-superbe, et qu'il faisoit tant
de beaux exploicts d'armes, et ne s'espargnoit non
plus que le moindre soldat des siens, en devint
incontinent passionnément amoureuse, et, laissant
arrière le dueil de son mary et les affaires de son
chasteau et de son siège, luy manda par un mes-
CINQ^UIÉME DISCOURS l53
sager que, s'il la vouloit prendre en mariage,
qu'elle luy rendroit la place dez le jour que les
nopces seroyent célébrées. Le roy Caucan la prit
au mot. Le jour donc compromis venu, elle s'habille
pompeusement de ses plus beaux et superbes ha-
bits de duchesse, quila rendirent d'autant plus belle,
car elle l'estoit très-fort; et, estant venue au camp
du roy consommer le mariage, [le roy], afin qu'on
ne le pust blasmer qu'il n'eust tenu sa foy,se mit
toute la nuict à contenter la duchesse eschauffée.
Puis l'endemain au matin, estant levé, fit appeller
douze soldats avarois des siens, qu'il estimoit les
plus forts et roides compaignons, et mit Romilde
entre leurs mains pour en faire leur plaisir l'un
après l'autre; laquelle repassèrent toute une nuict
tant qu'ils purent; et, le jour venu, Caucan l'ayant
fait appeller, luy ayant fait force reproches de sa
lubricité et dit force injures, la fit empaler par sa
nature, dont elle en mourut. Acte cruel et bar-
bare certes, de traitter ainsi une si belle et hon-
neste dame, au lieu de la recognoistre, la recom-
penser et traitter en toute sorte de courtoisie pour
la bonne opinion qu'elle avoit eue de sa générosité,
de sa valeur et de son noble courage, et l'avoir
pour cela aymé ! A quoy quelquesfois les dames
doivent bien regarder : car il y a de ces vaillants
qui ont tant accoustumé à tuer, à manier et à
battre le fer si rudement, que quelquesfois il leur
prend des humeurs d'en faire de mesme sur les
dames. Mais tous ne sont pas de ces complexions :
20
I 54 CINQ^UIÉME DISCOURS
car, quand quelques honnestes dames leur font cet
honneur de les aymer et avoir en bonne opinion
de leur valeur, laissent dans le camp leurs furies et
leurs rages, et dans les cours et dans les chambres
s'accommodent aux douceurs et à toutes honnes-
îetez et courtoisies.
5 Bandel, dans ses Histoires tragiques, en ra-
conte une, qui est la plus belle que j'aye jamais
leu, d'une duchesse de Savoye, laquelle un jour,
en sortant de sa ville de Thurin, et ayant ouy une
pellerine espagnole, qui alloit à Lorette pour cer-
tain vœu, s'escrier et admirer sa beauté, et dire
tout haut que, si une si belle et parfaitte dame es-
toit mariée avec son frère le seigneur de Mendozze,
qui estoit si beau, si brave^ si vaillant, qu'il se
pourroit bien dire partout que les deux plus beaux
pairs du monde estoyent couplez ensemble, la
duchesse, qui entendoit très-bien la langue espa-
gnole, ayant en soy très-bien engravez et remar-
quez ces mots dans son ame, s'y mit aussi à y en-
graver l'amour; si bien que par un tel bruit elle
devint tant passionnée du seigneur de Mendozze
qu'elle ne cessa jamais, jusques à ce qu'elle eust
projette un feint pellerinage à Sainct-Jacques pour
voir son amoureux sitost conceu. Et, s'estant
acheminée en Espagne, et pris le chemin par la
maison du seigneur de Mendozze, eut temps et
loisir de contenter et de rassasier sa veue de l'ob-
jet beau qu'elle avoit esleu : car la sœur du sei-
gneur de Mendozze, qui accompagnoit la duchesse,
CINQ^UIÉME DISCOURS l55
avoit adverty son frère d'une telle et si noble et
belle venue; à quoy il ne faillit d'aller au devant
d'elle bien en point, monté sur un beau cheval
d'Espagne, avec une si belle grâce que la duchesse
eut occasion de se contenter de la renommée qui
luy avoit esté rapportée, et l'admira fort, tant pour
sa beauté que pour sa belle façon, qui monstroit
à plain la vaillance qui estoit en luy, qu'elle esti-
moit bien autant que les autres vertus et accom-
plissemens et perfections, présageant dés lors
qu'un jour elle en auroit bien affaire, ainsi que
par après il luy servit grandement en l'accusation
fausse que le comte Pancalier fit contre sa chasteté.
Toutesfois, encor qu'elle le tint brave et coura-
geux pour les armes, si fut-il pour ce coup couard
en amours : car il se monstra si froid et respec-
tueux envers elle qu'il ne luy fît nul assaut de pa-
roles amoureuses, ce qu'elle aymoit le plus, et
pourquoy elle avoit entrepris son voyage; et, pour
ce, dépitée d'un tel froid respect, ou plustost de
telles couardises d'amours, s'en partit le lendemain
d'avec luy, non si contente qu'elle eust voulu.
Voilà comment les dames quelquesfois ayment
bien autant les hommes hardis pour l'amour comme
pour les armes, non qu'elles vueillent qu'ils soyent
effrontez 'et hardis, impudents et sots, comme
j'en ay cogneu; mais il faut qu'ils tiennent en cela
le médium.
J'ai cogneu plusieurs qui ont perdu beaucoup
de bonnes fortunes pour tels respects, dont j'en
l56 CINQ^UIÉME DISCOURS
ferois de bons contes si ne craignois m'esgarer trop
de mon discours; mais j'espère les faire à part : si
diraj-je cettui-cy.
5 J'ay ouyl conter d'autresfois d'une dame, et
des très-belles du monde, laquelle, ayant de mesme
ouy renommer un prince pour brave et vaillant, et
qu'il avoit desja en son jeune aage fait et parfait
de grands exploicts d'armes, et surtout gaigné
deux grandes et signalées batailles contre ses enne-
mis, eut grand désir de le voir; et pour ce fit un
voyage en la province où pour lors il y faisoit sé-
jour, sous quelque autre prétexte que je ne diray
point. Enfin elle s'achemina; mais, et qu'est-il
impossible à un brave cœur amoureux? Elle le void
et contemple à son aise, car il vint fort loing au
devant d'elle, et la reçoit avec tous les honneurs
et respects du monde, ainsi qu'il devoit à une si
grande, belle et magnanime princesse, et trop
(comme dit l'autre) : car il luy en arriva de mesmes
comme au seigneur de Mendozze et à la duchesse
de Savoye; et tels respects engendrèrent pareils
dépits et mescontentemens. Si bien qu'elle partit
d'avec luy non si bien satisfaitte comme elle y
estoit venue. Possible qu'il y eust perdu son temps
et qu'elle n'eust obey à ses volontez; mais pour-
tant l'essay n'en fust esté mauvais, ains fort hon-
norable, et l'en eust-on estimé davantage.
De quoy sert donc un courage hardy et géné-
reux,, s'il ne se monstre en toutes choses, et mesme
en amours comme aux armes, puisqu'armes et
CINQLMÉME DISCOURS iSy
amours sont compagnes, marchent ensemble et
ont une mesme simpathie, ainsi que dit le poëte :
«Tout amant est gendarme, et Cupidon a son
camp et ses armes aussi bien que Mars. » M. de
Ronsard en a fait un beau sonnet dans ses pre-
mières Amours.
f Or, pour tourner encore aux curiositez qu'ont
les dames de voir et aymer les gens généreux et
vaillants, j'ay ouy raconter à la reine d'Angleterre
Elisabeth, qui règne aujourd'huy, un jour, elle
estant à table, faisant souper avec elle M. le grand
prieur de France, de la maison de Lorraine, et
M. d'Amville, aujourd'huy M. de Montmorency
et connestable, parmy ce devis de table, et s'estant
mis sur les louanges du feu roy Henry deuxiesme,
le loua fort de ce qu'il estoit brave, vaillant et
généreux, et, en usant de ce mot, fort martial, et
qu'il l'avoit bien monstre en toutes ses actions; et
que pour ce, s'il ne fust mort si tost, elle avoit ré-
solu de l'aller voir en son royaume, et avoit fait
accommoder et apprester ses galleres pour passer
en France et toucher entre leurs deux mains la foy
et leur paix. « Enfin c'estoit une de mes envies de
le voir; je croy qu'il ne m'en eust refusée, car,
disoit-elle, mon humeur est d'aymer les gens vail-
lants; et veux mal à la mort d'avoir ravy un si
brave roy, au moins avant que je ne l'aye veu. »
Cette mesme reine, quelque temps après, ayant
ouy tant renommer M. de Nemours des perfec-
tions et valleurs qui estoyent en luy, fut curieuse
l58 CINQ^UIÉME DISCOURS
d'en demander des nouvelles à feu M. de Rendan,
lorsque le roy François II l'envoya en Escosse
.aire la paix devant le Petit-Lit qui estoit assiégé.
Et ainsi qu'il luy en eut conté bien au long, et
toutes les espèces de ses grandes et belles vertus
et vaillances, M. de Rendan, qui s'entendoit en
amours aussi bien qu'en armes, cogneut en elle et
son visage quelque estincelle d'amour ou d'affec-
tion, et puis en ses paroles une grande envie de le
voir. Par quoy, ne se voulant arrester en si beau
chemin, fît tant envers elle de sçavoir, s'il la venoit
voir, s'il seroit le bien venu et receu, ce qu'elle
l'en asseura, et par là présuma qu'ilz pourroyent
venir en mariage.
Estant donc de retour de son ambassade à la
cour, en fît au roy et à M. de Nemours tout le
discours; à quoy le roy commanda et persuada à
M. de Nemours d'y entendre : ce qu'il fit, avec
une très-grande joye s'il pouvoit parvenir à un si
beau royaume par le moyen d'une si belle, ver-
tueuse et honneste reine.
Pour fin, les fers se mirent au feu; par les beaux
moyens que le roy luy donna, il fit de fort grands
préparatifs et tres-superbes et beaux appareils, tant
d'habillemens, chevaux, armes, bref, de toutes
choses exquises, sans y rien obmettre, car je vis
tout cela, pour aller parestre devant cette belle
princesse, n'oubliant surtout d'y mener toute la
fleur de la jeunesse de la cour; si bien que le fol
Greffier, rencontrant là-dessus, disoit que c'estoit
CINQ^UIÉME DISCOURS l59
la fleur des fehves, par là brocardant la follastre
jeunesse de la cour.
Cependant M. de Lignerolles, tres-habile et
accort gentilhomme, et lors fort favory de M. de
Nemours, son maistre, fut depesché vers ladite
reine, qui s'en retourna avec une response belle
et tres-digne de s'en contenter et de presser et
avancer son voyage. Et me souvient que la cour
en tenoit le mariage quasi pour fait; mais nous
nous donnasmes la garde que, tout à coup, ledit
voyage se rompit et demeura court, et avec une
très-grande despense, tres-vaine et inutile pour-
tant.
Je dirois, aussi bien qu'homme de France, à
quoy il tint que cette rupture se fît, sinon qu'en
passant ce seul m.ot : que d'autres amours, possi-
ble, luy serroient plus le cœur et le tenoient plus
captif et arresté; car il estoit si accomply en toutes
choses et si adroit aux armes et autres vertus,
que les dames à l'envy volontiers l'eussent couru
à force, ainsi que j'en ay veu de plus fringantes et
plus chastes, qui rompoient bien leur jeusne de
chasteté pour luy-.
5 Nous avons, dans les Cent Nouvelles de la
reine de Navarre Marguerite, une très-belle his-
toire de cette dame de Milan, qui, ayant donné
assignation à feu M. de Bonnivet, depuis admirai
de France, une nuict attitra ses femmes de cham-
bre avec des espées nues pour faire bruit sur le
degré, ainsi qu'il seroit prest à se coucher : ce
lOO CINQUIEME DISCOURS
qu'elles firent très-bien, | suivant] en cela le comman-
dement de leur maistresse, qui, de son costé, fit
de l'efîrayée et craintive, disant que c'estoyent ses
beaux frères qui s'estoyent apperceus de quelque
chose, et qu'elle estoit perdue, et qu'il se cachast
sous le lict ou derrière la tapisserie. Mais M. de
Bonnivet, sans s'effrayer, prenant sa cape à l'en-
tour du bras et son espée en l'autre, il dit : « Et
où sont-ils ces braves frères qui me voudroyent
faire peur ou mal? Quand ils me verront, ils n'ose-
ront regarder seulement la pointe de mon espée. »
Et, ouvrant la porte et sortant, ainsi qu'il vouloit
commencer à charger sur ce degré, il trouva ces
femmes avec leur tintamarre, qui eurent peur et se
mirent à crier et confesser le tout. M. de Bonni-
vet, voyant que ce n'estoit que cela, les laissa et
recommanda au diable, et se rentre en la chambre,
et ferme la porte sur luy, et vint trouver sa dame,
qui se mit à rire et l'embrasser, et luy confesser
que c'estoit un jeu apposté par elle, et l'asseurer
que, s'il eust fait du poltron et n'eust montré en
cela sa vaillance, de laquelle il avoit le bruit, que
jamais il n'eust couché avec elle. Et, pour s'estre
monstre ainsi généreux etasseuré, elle l'embrassa
et le coucha auprès d'elle; et toute la nuict ne
faut point demander ce qu'ils firent : car c'estoit
l'une des belles femmes de Milan, et après laquelle
il avoit eu beaucoup de peine à la gaigner.
5 J'ay cogneu un brave gentilhomme, qui un
jour, estant à Rome couché avec une gentille
CINQ^UIÉME DISCOURS l6l
dame romaine, son mary absent, luy donna une
pareille allarme, et fît venir une de ses femmes en
sursaut l'advertir que le mary tournoit des champs.
La femme, faisant de l'estonnée, pria le gentil-
homme de se cacher dans un cabinet, autrement
elle estoit perdue. « Non, non, dit le gentil-
homme, pour tout le bien du monde je ne ferois
pas cela; mais s'il vient je le tueray. » Ainsi qu'il
avoit sauté à son espée, la dame se mit à rire et
confesser avoir fait cela à poste pour l'esprouver,
si son mary luy vouloit faire mal, ce qu'il feroit et
la defendroit bien.
5 J'ay cogneu une très-belle dame, qui quitta
tout à trac un serviteur qu'elle avoit, pour ne le
tenir vaillant; et le changea en un autre qui ne le
ressembloit, mais estoit craint et redouté extres-
mement de son espée, qui estoit des meilleures qui
se trouvassent pour lors.
5 J'ay ouy faire un conte à la cour aux anciens,
d'une dame qui estoit à la cour, maistresse de feu
M. de Lorge, le bon homme, en ses jeunes ans
l'un des vaillants et renommez capitaines de gens
de pied de son temps. Elle, ayant ouy dire tant
de bien de sa vaillance, un jour que le roy Fran-
çois premier faisoit combattre des lions en sa cour,
voulut faire preuve s'il estoit tel qu'on luy avoit
fait entendre; et, pour ce, laissa tumber un de ses
gans dans le parc des lions, estans en leur plus
grande furie; et là-dessus pria M. de Lorge de
l'aller quérir, s'il l'aymoit tant comme il disoit.
Brantôme. II. 21
102 CINQUIEME DISCOURS
Luy, sans s'estonner, met sa cappe au poing et
l'espée à l'autre main, et s'en va asseurement
parmy ces lions recouvrer le gand. En quoy la
fortune luy fut si favorable que, faisant tous] ours
bonne mine et monstrant d'une belle asseurance
la pointe de son espée aux lions, ilz ne l'osèrent
attacquer. Et, ayant recouru le gand, s'en re-
tourna devers sa maistresse et luy rendit; en quoy
elle et tous les assistans l'en estimèrent bien fort.
Mais on dit que, de beau dépit, M. de Lorge la
quitta pour avoir voulu tirer son passe-temps de
luy et de sa valeur de cette façon. Encore dit-on
qu'il luy jetta par beau dépit le gand au nez : car
il eust mieux voulu qu'elle luy eust commandé
cent fois d'aller enfoncer un bataillon de gens de
pied, où il s'estoit bien appris d'y aller, que non
de combattre des bestes, dont le combat n'en est
gueres glorieux. Certes tels essais ne sont ny
beaux ny honnestes, et les personnes qui s'en
aydent sont fort à reprouver.
y J'aymerois autant un tour que fît une dame à
son serviteur, lequel, ainsi qu'il luy presentoit son
service et l'asseuroit qu'il n'y auroit chose, tant
hazardeuse fust-elle, qu'il ne la fit, elle, le vou-
lant prendre au mot, luy dit : « Si vous m'aymez
tant, et que vous soyez si courageux que vous
dittes, donnez-vous de vostre dague dans le bras
pour l'amour de moy. » L'autre, qui mouroit
pour l'amour d'elle, la tira soudain, s'en voulant
donner : je luy tins le bras et luy ostay la dague.
CINQ^UIÉME DISCOURS l63
luy remonstrant que ce seroit un grand fol d'aller
faire ainsi et de telle façon preuve de son amour
et de sa valeur. Je ne nommeray point la dame,
mais le gentilhomme estoit feu M. de Clermont-
Tallard l'aisné, qui mourut à la bataille de Mont-
contour, un des braves et vaillants gentilshommes
de France, ainsi qu'il le monstra à sa mort (com-
mandant à une compagnie de gensdarmes), que
j'aymois et honnorois fort.
f J'ay ouy dire qu'il en arriva tout de mesmes
à feu M. de Genlis, qui mourut en Allemagne,
menant les troupes huguenottes aux troisiesmes
troubles : car, passant un jour la rivière devant le
Louvre avec sa maistresse, elle laissa tomber dans
l'eau son mouchoir, qui estoit beau et riche, ex-
prés, et luy dit qu'il se jettast dedans pour le luy
recourre. Luy, qui ne sçavoit nager que comme
une pierre, se voulut excuser; mais, elle, luy re-
prochant que c'estoit un couard amy et nullement
hardy, sans dire gare se jetta à corps perdu
dedans, et, pensant avoir le mouchoir, se fust
noyé s'il ne fust esté aussitost secouru d'un autre
batteau.
Je croy que telles femmes, par tels essais, se
veulent défaire ainsi gentiment de leurs serviteurs,
qui, possible, les ennuyent. Il vaudroit mieux
qu'elles leur donnassent de belles faveurs, et les
prier, pour l'amour d'elles, les porter aux lieux
honnorables de la guerre, et faire preuve de leur
valeur, ou les y pousser davantage, que non pas
164 CINQ^UIÉME DISCOURS
faire de ces sottises que je viens de dire, et que
j'en dirois une infinité.
5 II me souvient que, lorsque nous allasmes
assiéger Rouen aux premiers troubles, madamoi-
selle de Piennes, l'une des honnestes filles de la
cour, estant en doubte que feu M. de Gergeay
ne fust esté assez vaillant pour avoir tué luy seul,
et d'homme à homme, le feu baron d'Ingrande,
qui estoit un des vaillants gentilshommes de la
cour, pour esprouver sa valeur, luy donna une fa-
veur d'une escharpe qu'il mit à son habillement
de teste; et, ainsi qu'on vint pour reconnoistre le
fort de Saincte-Catherine, il donna si courageuse-
ment et vaillamment dans une trouppe de chevaux
qui estoyent sortis hors de la ville qu'en bien com-
battant il eut un coup de pistollet dans la teste,
dont il mourut roide mort sur la place : en quoy
ladite damoiselle fut satisfaitte de sa valeur, et, s'il
ne fust mort ce coup, ayant si bien fait, elle l'eust
espousé; mais, doutant un peu de son courage,
et qu'il avoit mal tué ledit baron, ce luy sembloit,
elle voulut voir cette expérience, ce disoit-elle. Et
certes, encor qu'il y ait beaucoup d'hommes vail-
lants de leur nature, les dames les y poussent en-
core davantage; et, s'ils sont lasches et froids,
elles les esmeuvent et eschauffent.
5 Nous en avons un tres-bel exemple de la
belle Agnez, laquelle, voyant le roy Charles VII^
ennamouraché d'elle et ne se soucier que de luy
faire l'amour, et, mol et lasche, ne tenir compte
CINQ^UIÉME DISCOURS l65
de son royaume, luy dit un jour que, lorsqu'elle
estoit encores jeune fille, un astrologue luy avoit
prédit qu'elle seroit aymée et servie de l'un des
plus vaillants et courageux roys de la chrestienté;
que, quand le roy luy fit cet honneur de l'aymer,
elle pensoit que ce fust ce roy valleureux qui luy
avoit esté prédit; mais, le voyant si mol, avec si
peu de soin de ses affaires, elle voyoit bien qu'elle
estoit trompée, et que ce roy si courageux n'estoit
pas luy, mais le roy d'Angleterre, qui faisoit de
si belles armes, et luy prenoit tant de belles villes
à sa barbe. « Dont, dit-elle au roy, je m'en vais
le trouver, car c'est celuy duquel entendoit l'astro-
logue. » Ces paroles picquerent si fort le cœur
du roy qu'il se mit à plorer; et de là en avant,
prenant courage et quittant sa chasse et ses jar-
dins, prit le frain aux dents; si bien que, par son
bonheur et vaillance, chassa les Anglois de son
royaume.
5 Bertrand du Guesclin, ayant espousé sa
femme, madame Tiphanie, se mit du tout à la
contenter et laisser le train de la guerre, luy qui
l'avoit tant pratiquée auparavant, et qui avoit
acquis tant de gloire et louange; mais elle luy en
fit une reprimende et remonstrance, qu'avant leur
mariage on ne parloit que de luy et de ses beaux
faits, et que désormais on luy pourroit reprochera
elle-mesme une telle discontinuation de son mary,
qui portoit un très-grand préjudice à elle et à
son mary d'estre devenu un si grand casannier;
l66 CINQ^UIÉME DISCOURS
dont elle ne cessa jamais, jusques à ce qu'elle luy
eust remis son premier courage, et renvoyé à la
guerre, où il fît encor mieux que devant.
Voilà comment cette honneste dame n'ayma
point tant son plaisir de nuict comme elle faisoit
l'honneur de son mary. Et, certes, nos femmes
mesmes, encor qu'elles nous trouvent prés de leurs
costez, si nous ne sommes braves et vaillants, ne
nous sçauroyent aimer ny nous tenir auprès d'elles
de bon cœur; mais, quand nous retournons des
armées et que nous avons fait quelque chose de
bien et de beau, c'est alors qu'elles nous ayment et
nous embrassent de bon cœur, et qu'elles le trou-
vent meilleur.
5 La quatriesme fille du comte de Provence,
beau-pere de sainct Louys, et femme à Charles,
comte d'Anjou, frère dudict roy, magnanime et
ambitieuse qu'elle estoit, se faschant de n'estre
que simple comtesse d'Anjou et de Provence, et
qu'elle seule de ses trois sœurs, dont les deux es-
toyent reines et l'autre impératrice, ne portoit
autre tiltre que de dame et comtesse, ne cessa ja-
mais, jusques à ce qu'elle eust prié, pressé et im-
portuné son mary d'avoir et de conquester quelque
royaume. Et firent si bien qu'ilz furent esleus par
le pape Urbain roy et reine des Deux-Siciles; et
allèrent tous deux à Rome avec trente galleres se
faire couronner par Sa Sainteté, en grand magni-
ficence, roy et reine de Jérusalem et de Naples,
qu'il conquesta après, tant par ses armes valeu-
CINQUIEME DISCOURS 167
reuses que par les moyens que sa femme luy donna,
vendant toutes ses bagues et joyaux pour fournir
aux frais de la guerre; et puis après régnèrent as-
sez paisiblement et longuement en leurs beaux
royaumes conquis.
J Longtemps après, une de leurs petites-fîlles,
descendue d'eux et des leurs, Ysabeau de Lorraine,
fit, sans son mary René, semblable trait : car, luy
estant prisonnier entre les mains de Charles, duc
de Bourgogne, elle, estant princesse sage et de
grand magnanimité et courage, [le royaume] de Si-
cile et de Naples leur estant escheu par succession,
assembla une armée de trente mille hommes, et
elle-mesme la mena^ et conquesta le royaume et se
saisit de Naples.
J Je nommerois une infinité de dames qui ont
servy de telles façons beaucoup à leurs maris, et
qu'elles, estant hautes de cœur et d'ambition, ont
poussé et encouragé leurs maris à se faire grands,
acquérir des biens et des grandeurs et richesses.
Aussi est-ce le plus beau et le plus honnorable que
d'en avoir par la pointe de l'espée.
J'en ay cogaeu beaucoup en nostre France et
en nos cours, qui, plus poussez de leurs femmes
quasi que de leurs volontez, ont entrepris et par-
fait de belles choses.
Force femmes ay-je cogneu aussi, qui, ne son-
geans qu'à leurs bons plaisirs, les ont empeschez
et tenus tousjours auprès d'elles, de faire de beaux
faits, ne voulans qu'ils s'y amusassent sinon à les
l68 CINQ^UIÉME DISCOURS
contenter du jeu de Vénus, tant elles y estojent
aspres. J'en ferois force comptes, mais je m'extra-
vaguerois trop de mon sujet, qui est plus beau
certes, car il touche la vertu, que l'autre qui touche
le vice; et contente plus d'ouïr parler de ces dames
qui ont poussé les hommes à de beaux actes. Je ne
parle pas seulement des femmes mariées, mais de
plusieurs autres, qui, pour une seule petite faveur,
ont fait faire à leurs serviteurs beaucoup de choses
qu'ils n'eussent fait. Car quel contentement leur
est-ce? quelle ambition et eschauffement de cœur
est-il plus grand que, quand on est en guerre, que
l'on songe que l'on est bien ajmé de sa mais-
tresse, et que si l'on fait quelque belle chose pour
l'amour d'elle, combien de bons visages, de beaux
attraits, de belles œillades, d'embrassades, de
plaisirs, de faveurs, qu'on espère après de recevoir
d'elle?
5 Scipion, entre autres reprimendes qu'il fit à
Massinissa lorsque, quasi tout sanglant, il espousa
Sophonisba,luj dit qu'il n'estoit bien séant de son-
ger aux dames et à l'amour lorsque l'on est à la
guerre. Il me pardonnera, s'il luy plaist; mais,
quant à moj, je pense qu'il n'y a point si grand
contentement, ny qui donne plus de courage ny
d'ambition pour bien faire, qu'elles. J'en ay esté
logé là d'autresfois. Quant à pour moy, je croy
que tous ceux qui se trouvent aux combats en sont
de mesme : je m'en rapporte à eux. Je croy qu'ils
sont de mon opinion, tant qu'ils sont, et que, lors-
CINQ^UIÉME DISCOURS 169
qu'ils sont en quelque beau voyage de guerre, et
qu'ils sont parmy les plus chaudes presses de l'en-
nemy, le cœur leur double et accroist quand ilz
songent à leurs dames, à leurs faveurs qu'ils por-
tent sur eux, et aux caresses et beaux recueils
qu'ils recevront d'elles au partir de là, s'ils en es-
chappent; et, s'ils viennent à mourir, quels regrets
elles feront pour l'amour de leur trespas. Enfin,
pour l'amour de leurs dames et pour songer en
elles, toutes entreprises sont faciles et aisées, tous
combats leur sont des tournois, et toute mort leur
est un triomphe.
Je me souviens qu'à la bataille de Dreux feu
M. Desbordes, brave et gentil cavallier s'il en fut
de son temps, estant lieutenant de M. de Nevers,
dit avant comte d'Eu, prince aussi tres-accomply,
ainsi qu'il fallut aller à la charge pour enfoncer un
bataillon de gens de pied qui marchoit droit à
l'avant-garde où commandoit feu M. de Guise le
Grand, et que le signal de la charge fut donné, le-
dict Desbordes, monté sur un turc gris, part tout
aussitost, enrichy et garny d'une fort belle faveur
que sa maistresse luy avoit donnée, je ne la nom-
meray point, mais c'estoit l'une des belles et hon-
nestes filles, et des grandes de la cour; et en
partant, il dit : « Ha! je m'en vois combattre vail-
lamment pour l'amour de ma maistresse, ou mourir
glorieusement. » A ce il ne faillit : car, ayant percé
les six premiers rangs, mourut au septiesme, porté
par terre. A vostre advis, si cette dame n' avoit
aa
lyo CINQ^UIEME DISCOURS
bien employé sa belle faveur, et si elle s'en devoit
desdire pour luy avoir donnée ?
M. de Bussi a esté le jeune homme qui a aussi
bien fait valoir les faveurs de ses maistresses que
jeune homme de son temps, et mesmes de quel-
ques-unes que je sçay, qui meritoyent plus de com-
bats, d'exploits de guerre, de coups d'espée, que
ne fît jamais la belle Angélique des paladins et
chevalliers de jadis, tant Chrestiens que Sarrasins;
mais je luy ay ouy dire souvent qu'en tant de com-
bats singuliers et guerres et rencontres générales,
car il en a fait prou, où il s'est jamais trouvé et
qu'il a jamais entrepris, ce n'estoit point tant pour
le service de son prince, ny pour ambition, que
pour la gloire seule de complaire à sa dame. Il
avoit certes raison, car toutes les ambitions du
monde ne vallent pas tant que l'amour et la bien-
veillance d'une belle et honneste dame et mais-
tresse.
Et pourquoy tant de braves chevalliers errants
de la Table-Ronde, et tant de valleureux paladins
de France du temps passé ont entrepris tant de
guerres, tant de voyages lointains, tant fait de
belles expéditions, sinon pour l'amour des belles
dames qu'ils servoyent ou vouloyent servir? Je
m'en rapporte à nos palladins de France, nos Rol-
lands, nos Renauds, nos Ogiers, nos Olliviers, nos
Yvons, nos Richards, et une infinité d'autres. Aussi
c'estoit un bon temps et bien fortuné : car, s'ilz
faisoyent quelque chose de beau pour l'amour de
CINQ^UIEME DISCOURS ' I71
leurs dames, leurs dames, nullement ingrates, les
en sçavoyent bien recompenser, quand ils se ve-
noyent rencontrer, ou donner le rendez-vous,
dans des forests, dans les bois, ou prés des fon-
taines ou en quelques belles prairies. Et voylà le
guerdon des vaillantises que l'on désire des dames !
Or, il y a une demande : pourquoy les femmes
ayment tant ces vaillants hommes? Et, comme j'ay
dit au commencement, la vaillance a cette vertu
et force de se faire aymer à son contraire. Davan-
tage, c'est une certaine inclination naturelle qui
pousse les dames pour aymer la générosité, qui
est certainement cent fois plus aymable que la
couardise : aussi toute vertu se fait plus aymer que
le vice.
Il y a aucunes dames qui ayment ces gens ainsi
pourveus de valeur, d'autant qu'il leur semble que,
tout ainsi qu'ils sont braves et adroits aux armes
et au mestier de Mars, qu'ils le sont de mesmes à
celuy de Venus.
Cette règle ne faut en aucuns. Et de fait ilz le
sont, comme fut jadis César, le vaillant du monde,
et force autres braves que j'ay cogneu, que je tais.
Et tels y ont bien toute autre force et grâce que
des ruraux et autres gens d'autre profession; si
bien qu'un coup de ces gens là en vaut quatre des
autres; je dis envers les dames qui sont modeste-
ment lubriques, mais non pas envers celles qui le
sont sans mesure, car le nombre leur plaist. Et si
cette règle est bonne quelquesfois en aucuns de
172 ' CINQUIEME DISCOURS
ces gens, et selon l'humeur d'aucunes femmes, elle
faut en d'autres : car il se trouve de ces vaillants
qui sont tant rompus de l'harnois et des grandes
corvées de la guerre, qu'ils n'en peuvent plus quand
il faut venir à ce doux jeu, de sorte qu'ils ne peu-
vent contenter leurs dames; dont aucunes, et plu-
sieurs y en a, qui aymeroyent mieux un bon artisan
de Venus, frais et bien émoulu, que quatre de ceux
de Mars, ainsi allebrenez.
J'en ay cogneu force de ce sexe femenin et de
cette humeur : car enfin, disent-elles, il n'y a que
de bien passer son temps et en tirer la quintes-
sence, sans avoir acception de personnes. Un bon
homme de guerre est bon, et le fait beau voir à la
guerre; mais, s'il ne sçait rien faire au lict, disent-
elles, un bon gros vallet, bien à séjour, vaut bien
autant qu'un beau et vaillant gentilhomme lassé.
Je m'en rapporte à celles qui en ont fait i'essay
et le font tous les jours : car les reins du gentil-
homme, tant gallant et brave soit-il, estans rompus
et froissez de l'harnois qu'ils ont tant porté sur
eux, ne peuvent fournir à l'appointement, comme
les autres qui n'ont jamais porté peine ny fatigue.
5 D'autres dames y a-il qui ayment les vaillants,
soyent pour maris, soyent pour serviteurs, afin qu'ils
débattent et soustiennent mieux leurs honneurs et
leurs chastetez, si aucuns medisans il y en a qui
les veullent souiller de paroles; ainsi que j'en ay
veu plusieurs à la cour, où j'y ay cogneu d'autres
fois une fort belle et grande dame, que je ne
CINQ^UIÉME DISCOURS 178
nommeray point, estant fort sujette aux médi-
sances, quitta un serviteur fort favory qu'elle avoit,
le voyant mol à départir de la main et ne braver
et ne quereller, pour en prendre un autre qui estoit
un escalabreux, brave et vaillant, qui portoit sur
la pointe de son espée l'honneur de sa dame, sans
qu'on y osât aucunement toucher.
Force dames ay-je cogneu de cette humeur, qui
ont voulu tousjours avoir un vaillant pour leur
escorte et defîense; ce qui leur est tres-bon et très-
utile bien souvent; mais il faut bien qu'elles se
donnent garde de broncher et varier devant eux,
si elles se sont une fois sousmises sous leur domi-
nation : car, s'ils s'apperçoivent le moins du monde
de leurs fredaines et mutations, ilz les meinent
beau et les gourmandent terriblement, et elles et
leurs gallants, si elles changent; ainsi que j'en ay
veu plusieurs exemples en ma vie.
Voilà donr telles femmes qui se voudront mettre
en possession de tels braves et scalabreux, faut
qu'elles soyent braves et tres-constantes envers eux,
ou bien qu'elles soyent si fort secrètes en leurs
affaires qu'elles ne se puissent evanter : si ce n'est
qu'elles voulussent faire en composant, comme les
courtisannes d'Italie et de Rome, qui veulent avoir
un brave (ainsi le nomment-elles) pour les défendre
et maintenir; mais elles mettent tousjours par le
marché qu'elles auront d'autres concurrences, et
que le brave n'en sonnera mot.
Cela est fort bon pour les courtisannes de Rome
174 CINQUIEME DISCOURS
et pour leurs braves, non pour les gallants gentils-
hommes de nostre France ou d'ailleurs. Mais, si
une honneste dame se veut maintenir en sa fermeté
et constance, il faut que son serviteur n'espargne
nullement sa vie pour la maintenir et défendre, si
elle court la moindre fortune du monde, soit, ou
de sa vie, ou de son honneur, ou de quelque mes-
chante parole; ainsi que j'en ay veu en nostre cour
plusieurs qui ont fait taire les medisans tout court,
quand ils sont venus à detracter de leurs dames et
maistresses, auxquelles, par devoir de chevallerie et
par les loix, nous sommes tenus de servir de cham-
pions en leurs afflictions; ainsi que fît ce brave
Renaud de la belle Genevre en Escosse, le seigneur
de Mendozze à cette belle duchesse que j'ay dit,
et le seigneur de Carouge à sa propre femme du
temps du roy Charles sixiesme, comme nous lisons
en nos croniques. J'en alleguerois une infinité
d'autres, et du vieux et du nouveau temps, ainsi
que j'ay veu en nostre cour; mais je n'aurois jamais
fait.
D'autres dames ay-je cogneu qui ont quitté
des hommes pusilanimes, encores qu'ils fussent
bien riches, pour aymer et espouser des gentils-
hommes qui n'avoyent que l'espée et la cappe,
pour manière de dire; mais ilz estoyent valleureux
et généreux, et avoyent espérance, par leurs va-
leurs et generositez, de parvenir aux grandeurs et
aux estats, encore certes que ce ne soyent pas les
plus vaillants qui le plus souvent y parviennent, en
CINQUIEME DISCOURS lyS
quoy on leur fait tort pourtant; et bien souvent
void-on les couards et pusilanimes y parvenir;
mais qu'il soit, telle marchandise ne paroist point
sur eux comme quand elle est sur les vaillants.
Or, je n'aurois jamais fait si je voulois raconter'
les diverses causes et raisons pourquoy les dames
ayment ainsi les hommes remplis de générosité.
Je sçay bien que, si je voulois amplifier ce discours
d'une infinité de raisons et d'exemples, j'en pour-
rois faire un livre entier; mais, ne me voulant amu-
ser sur un seul sujet, ains en varier de plusieurs et
divers, je me contenteray d'en avoir dit ce que
j'ay dit, encore que plusieurs me pourront re-
prendre, que cettui-cy estoit bien assez digne pour
estre enrichy de plusieurs exemples et prolixes rai-
sons, qu'eux-mesmes pourront bien dire : « Il a
oublié cettui-cy; il a oublié cettuy-là. » Je le sçay
bien; et en sçay, possible, plus qu'ilz ne pourront
alléguer, et des plus sublins et secrets; mais je ne
veux les tous publier et nommer.
Voilà pourquoy je me tais. Toutesfois, avant
que faire pose, je diray ce mot en passant : que,
tout ainsi que les dames ayment les hommes vail-
lants et hardis aux armes, elles ayment aussi ceux
qui le sont en amours, et jamais homme couard et
par trop respectueux en icelles n'aura bonne for-
tune ; non qu'elles les vueillent si outrecuidez,
hardis et presumptueux, que de haute lutte les
vinssent porter par terre; mais elles désirent en
eux une certaine modestie hardie, ou hardiesse
I^D CINQ^UIEME DISCOURE
modeste : car d'elles-mesmes, si ce ne sont des
louves, ne vont pas requérir ny se laisser aller,
mais elles en sçavent si bien donner les appétits,
les envies, et attirent si gentiment à l'escarmouche,
que qui ne prend le temps à point et ne vient aux
prises, sans aucun respect de majesté et de gran-
deur, ou de scrupule, ou de conscience, ou de
crainte, ou de quelque autre sujet, celuy vray-
ment est un sot et sans cœur, et qui mérite à
jamais estre abandonné de la bonne fortune.
5 Je sçay deux honnestes gentilshommes com-
pagnons, pour lesquels deux fort honnestes dames,
et non certes de petite qualité, ayant fait pour eux
une partie un jour à Paris, et s'aller pourmener
en un jardin, chacune, y estant, se sépara à l'escart
l'une de l'autre, avec un chacun son serviteur, en
chacune son allée, qui estoit si couverte de belles
treilles que le jour quasi ne s'y pouvoit voir, et la
fraischeur y estoit gracieuse. Il y eut un des deux,
hardy, qui, cognoissant cette partie n'avoir esté
faitte pour se pourmener et prendre le frais, et
selon la contenance de sa dame qu'il voyoit brusler
en feu, et d'autre envie que de manger des muscats
qui estoyent en la treille, et selon aussi les paroles
eschaufîées, affettées et follastres, ne perdit si belle
occasion; mais, la prenant sans aucun respect, la
mit sur un petit lict qui estoit fait de gazons et
m.ottes de terre; il en jouit fort doucement, sans
qu'elle dît autre chose, sinon : « Mon Dieu! que
voulez-vous faire? N'estez-vous pas le plus grand
CINQUIEME DISCOURS 177
fou et estrange du monde? Et, si quelqu'un vient,
que dira-on? Mon Dieu, ostez-vous. » Mais le
gentilhomme, sans s'estonner, continua si bien
qu'il en partit si content, et elle et tout, qu'ayant
fait encor trois ou quatre tours d'allée, ilz re-
commencèrent une seconde charge. Puis, sortans
de là en autre allée ouverte, y virent d'autre
costé l'autre gentilhomme et l'autre dame, qui se
pourmenoient ainsi qu'ils les y avoyent laissez au-
paravant. A quoy la dame contente dit au gentil-
homme content : « Je croy qu'un tel aura fait du
sot, et qu'il n'aura fait à sa dame autre entretien
que de paroles, de discours et de pourmenades. »
Donc, tous quatre s'assemblans, les deux dames se
vindrent à demander de leurs fortunes. La con-
tente respondit qu'elle se portoit fort bien, elle, et
que pour le coup elle ne se sçauroit pas mieux
porter. La mécontente, de son costé, dit qu'elle
avoit eu affaire avec le plus grand sot et le plus
couard amant qui s'estoit jamais veu; et sur tout
les deux gentilshommes les virent rire et crier
entr'elles deux en se pourmenant : « O le sot! o
le couard! o nionsieur le respectueux ! » Sur quoy,
le gentilhomme content dit à son compagnon :
a Voylà nos dames qui parlent bien à vous, elles
vous fouettent; vous trouverez que vous avez fait
trop du respectueux et du badin. » Ce qu'il ad-
voua; mais il n'estoit plus temps, car l'occasicm
n'avoit plus de poil pour la prendre. Toutesfois,
ayant cogneu sa faute, au bout de quelque temps
Brantôme. II. 28
IjS CINQ^UIÉME DISCOURS
il la repara par quelque certain autre moyen que
je dirois bien.
5 J'ay cogneu deux grands seigneurs et frères,
et tous deux bien parfaits et bien accomplis, qui,
aymans deux dames, mais il y en avoit bien une
plus grande que l'autre en tout, et estans entrez
en la chambre de cette grande qui gardoit pour
lors le lict, chacun se mit à part pour entretenir sa
dame. L'un entretint la grande avec tous les res-
pects, tous les baisemains humbles qu'il pût, et
paroles d'honneur et respectueuses, sans faire
jamais aucun semblant de s'approcher de prés ny
vouloir forcer la roque. L'autre frère, sans céré-
monie d'honneur ny de paroles, prit la dame à un
coing de fenestre, et, luy ayant tout d'un coup
escerté ses calleçons, qui estoyent bridez, car il
estoit bien fort, luy fit sentir qu'il n'aymoit point
à l'espagnole, par les yeux, ny par les gestes de
visage, ny par paroles, mais par le vray et propre
point et effet qu'un vray amant doit souhaitter;
et, ayant achevé son prix-fait, s'en part de la
chambre; et, en partant, dit à son frère, assez
haut que sa dame l'ouit : « Mon frère, si vous ne
faites comme moy vous ne faittes rien; et vous dy
que vous pouvez estre tant brave et hardy ailleurs
que vous voudrez, mais, si en ce lieu vous ne
monstrez vostre hardiesse, vous estes deshonnoré :
car vous n'estes icy en lieu de respect, mais en
lieu où vous voyez vostre dame qui vous attend. »
Et par ainsi laissa son frère, qui pourtant pour
CINQUIEME DISCOURS 179
l'heure retint son coup et le remit à une autre
fois : ce ne fut pourtant que la dame l'en estimast
davantage, ou qu'elle luy attribuast une trop
grande froideur d'amour, ou faute de courage, ou
inhabileté de ^corps; si l'avoit monstre assez ail-
leurs, soit en guerre, soit en amours.
5 La feue royne mère fit une fois jouer une fort
belle comédie en italien, pour un mardy gras, à
Paris, à l'hostel de Reins, que Cornelio Fiasco,
capitaine des galleres, avoit inventé. Toute la
cour s'y trouva, tant hommes que dames, et force
autres de la ville. Entre autres choses, il fut repré-
senté un jeune homme qui avoit demeuré caché
toute une nuict dans la chambre d'une très-belle
dame et ne l'avoit nullement touchée; et, ayant
raconté cette fortune à son compagnon, il luy de-
manda : Ch' avetc fatto? L'autre respondit : Niente.
— Ah! poltronazzo, senza cuore! luy respondit son
compagnon, non havete fatto nknte! che maldita
sia la tua poltronneria!
Après que ladite comédie fut jouée, le soir,
ainsi que nous estions en la chambre de la reine et
que nous discourions de cette comédie, je de-
manday à une fort belle et honneste dame, que je
ne nommeray point, quels plus beaux traits elle
avoit observé et remarqué en la comédie, qui luy
eussent pieu le plus. Elle me dit tout naïvement :
a Le plus beau trait que j'ay trouvé, c'est que
l'autre a respondu au jeune homme, qui s'appelloit
Lucio, qui luy avoit dit che non haveva fatto niente :
l8o CINQ^UIÉME DISCOURS
Ah poltronazzo ! non havete fatto niente ! che mal-
dita sia la tua poltronneria ! »
Voilà comme cette dame qui me parloit estoit
de consente avec l'autre qui luy reprochoit sa pol-
tronnerie, et qu'elle nel'estimoit nullement d'avoir
esté si mol et lasche; ainsi comme plus à plain elle
et moy nous en discourusmes des fautes que Ton
fait sur le sujet de ne prendre le temps et le vent
quand il vient à point, comme fait le bon mari-
nier. Si faut-il que je face encore ce conte, et le
mesle, tout plaisant et bouffon qu'il est, parmy les
autres sérieux.
5 J'ay donc ouy conter à un honneste gentil-
homme, mien amy, qu'une dame de son pays, ayant
plusieurs fois monstre de grandes familiaritez et
privautez à un sien vallet de chambre, qui ne ten-
doient toutes qu'avenir à ce point, ledit vallet,
point fat et sot, un jour d'esté trouvant sa mais-
tresse par un matin à demy endormie dans son lict
toute nue, tournée de l'autre costé de la ruelle,
tenté d'une si grande beauté, et d'une fort propre
posture et aisée pour l'investir et s'en accom-
moder, estant elle sur le bord du lit, vint douce-
ment et investit la dame, qui, se tournant, vid que
c'estoit son vallet qu'elle desiroit; et, toute inves-
tie qu'elle estoit, sans autrement se desinvestir ny
remuer, ny se défaire, ny depestrer de sa prise
tant soit peu, ne fit que luy dire, tournant la teste,
et se tenant ferme de peur de ne rien perdre :
« M"" le sot, qui est-ce qui vous a fait si hardy
CINQ^UIEME DISCOURS ibl
de le mettre là? » Le vallet luy respondit en toute
révérence : « Madame, l'osteray-je? — Ce n'est
pas ce que je vous dis, M'' le sot, luy respondit
la dame. Je vous dis : qui vous a fait si hardy
de le mettre là? » L'autre retournoit tousjours à
dire : « Madame, l'osteray-je? et, si voulez, je
Tosteray. » Et elle à redire : « Ce n'est pas ce
que je vous dis encore. M'' le sot. » Enfin, et
l'un et l'autre firent ces mesmes répliques et [du-
pliques par trois ou quatre fois, sans se debauscher
autrement de leur besogne , jusques à ce qu'elle
fut achevée, dont la dame s'en trouva mieux que
si elle eust commandé à son galland de l'oster, ainsi
qu'il luy demandoit. Et bien servit à elle de per-
sister en sa première demande sans varier, et au
gallant en sa réplique et duplique; et par ainsi
continuèrent leurs coups et cette rubrique long-
temps après ensemble : car il n'y a que la pre-
mière fournée ou la première pinte chère, ce
dit-on.
Voilà un beau vallet et hardy ! Et à tels hardis,
comme dit l'Italien, il faut dire : A bravo cazzo
mai non manca favor.
Or, par ainsi, vous voyez qu'il y en a plusieurs
qui sont braves, hardis et vaillants, aussi bien pour
les armes que pour les amours; d'autres qui le
sont en armes et non en amours; d'autres qui le
sont en amours et non aux armes, comme estoit
ce marault de Paris, qui eut bien la hardiesse et
vaillance de ravir Heleine à son pauvre mary de
182 CINQ.UIÉME DISCOURS
COCU Menelaus, et coucher avec elle, et non de se
battre avec luy devant Troye.
Voilà aussi pourquoy les dames n'ayment les
vieillards, ne ceux qui sont trop avancez sur l'aage,
d'autant qu'ils sont fort timides en amours et ver-
gogneux à demander; nonqu'ilz n'ayent des con-
cupiscences aussi grandes que les jeunes, voire
plus, mais non pas les puissances. Et c'est ce que
dit une fois une dame espagnole: que les vieillards
ressembloient beaucoup de personnes que, quand
elles voyent les rois en leurs grandeurs, domina-
tions et autoritez, ilz souhaitteroient fort d'es-
tre comme eux, non pas qu'ilz osassent attenter
rien contre eux pour les déposséder de leurs royau-
mes et prendre leurs places; et disoit-elle : Y a
pcnas es nascido el deseo, quando se muere luego;
« qu'à peine le désir est né qu'il meurt aussitost : »
Aussi les vieillards, quand ilz voyent de beaux
objets, ilz n'osent les attacquer, porque los viejos
naturalmente son temerosos ; y amor y temor no se
caben en un saco : «car les vieillards sont craintifs
fort naturellement; et l'amour et la crainte ne se
trouvent jamais bien dans un sac. » Aussi ont-ils
raison : car ils n'ont armes ny pour ofîencer ny
pour défendre, comme des jeunes gens, qui ont
la jeunesse et beauté ; et aussi, comme dit le poète :
« rien n'est mal séant à la jeunesse, quelque chose
« qu'elle face; aussi, dit un autre, il n'est point
(( beau de voir un vieil gendarme ny un vieil amou-
« reux. »
CINQJJIÉME DISCOURS l83
Or, c'est assezparlé sur ce sujet; parquoy je fais
fin et n'en dis plus, sinon que j'adjousteray un
autre nouveau sujet, faisant et approchant quasi
à ce sujet, qui est que : tout ainsi que les dames
ayment les hommes braves, vaillants et généreux,
les hommes ayment pareillement les dames braves
de cœur et généreuses. Et, comme tout homme
généreux et courageux est plus aymable et admi-
rable qu'un autre, aussi de mesme en est toute
dame illustre, généreuse et courageuse ; non que
je vueille que cette dame face les actes d'un
homme, ny qu elle s'agendarme comme un homme,
ainsi que j'en ay veu, cogneu et ouy parler d'au-
cunes qui montoient à cheval comme un homme,
portoyent leur pistollet à l'arçon de la selle, et le
tiroient, et faisoyent la guerre comme un homme.
J'en nommerois bien une qui, durant ces guer-
res de la Ligue, en a fait de mesme. Ce desguise-
ment est démentir le sexe. Outre qu'il n'est beau
et bien séant, il n'est permis, et porte plus grand
préjudice qu'on ne pense : ainsi que mal en prit
à cette gente pucelle d'Orléans, laquelle en son
procez fut fort calomniée de cela, et en partie
cause de son sort et sa mort.
Voilà pourquoy je ne veux ny estime trop tel
garçonnement. Mais je veux et ayme une dame
qui monstre son brave et valleureux courage, es-
tant en adversité et en bon besoin, par de beaux
actes féminins qui approchent fort d'un cœur
masle. Sans emprunter les exemples des généreuses
184 CINQUIEME DISCOURS
dames de Rome et de Sparte de jadis, qui ont en
cela excédé toutes autres, ilz sont assez manifestes
et apposez à nos yeux; j'en veux escrire de nou-
veaux et de nos temps.
Pour le premier, et à mon gré le plus beau que
je sçache, ce fut celuy de ces belles, honnestes et
courageuses dames de Sienne, alors de la révolte
de leur ville contre le joug insupportable des im-
périaux : car, après que l'ordre y fut estably pour
la garde, les dames, en estant mises à part pour
n'estre propres à la guerre comme les hommes,
voulurent monstrer un par-dessus, et qu'elles sça-
voyent faire autre chose que de besogner à leurs
ouvrages du jour et de la nuict; et, pour porter
leur part du travail, se départirent d'elles-mesmes
en trois bandes; et, un jour de Saint- Anthoine,
au mois de janvier, comparurent en public trois
des plus belles, grandes et principales de la ville,
en la grande place, qui est certes très-belle, avec
leurs tambours et enseignes.
La première estoit la signora Forteguerra, ves-
tue de violet, son enseigne et sa bande de mesme
parure, avec une devise de ces mots : Pur che sia
ilvero. Et estoyent toutes ces dames vestues à la
nimphale, d'un court accoustrement, qui en des-
couvroit et monstroit mieux la belle grève. La se-
conde estoit la signora Piccolomini, vestue d'in-
carnat, avec sa bande et enseigne de mesme, avec
la croix blanche, 'et la devise en ces mots : Pur
che no Vhabbia tutto. -La troisiesme estoit la si-
CINQUIEME DISCOURS l83
gnora Livia Fausta, vestue toute à blanc, avec sa
bande et enseigne blanche, en laquelle estoit une
palme, et la devise en ces mots : Pur che l'habbia.
A l'entour et à la suitte de ces trois dames, qui
sembloyent trois déesses, y avoit bien trois mille
dames, que gentilles-femmes, bourgeoises, qu'au-
tres, d'apparence toutes belles, ainsi bien parées
de leurs robes et livrées toutes, ou de satin, de
taffetas, de damas, ou autres draps de soye, et
toutes résolues de vivre ou mourir pour la liberté.
Et chacune portoit une fassine sur l'espaule à un
fort que l'on faisoit, crians : France ! France ! dont
M. le cardinal de Ferrare et M. de Termes, lieu-
tenants du roy, en furent si ravis d'une chose si
rare et belle qu'ilz ne s'amusèrent à autre chose
qu'à voir, contempler, admirer et louer ces belles
et honnestes dames : comme de vray j'ay ouy dire
à aucunes et aucuns qui y estoyent que jamais rien
ne fut si beau. Et Dieu sçait si les belles dames
manquent en cette ville, et en abondance, sans
speciauté.
Les hommes, qui, de leur bonne volonté, es-
toyent fort enclins à leur liberté, en furent davan-
tage poussez par ce beau trait, ne voulans en rien
céder à leurs dames pour cela : tellement que tous
à l'envy, gentilshommes, seigneurs, bourgeois,
marchands, artisans, riches et pauvres, tous accou-
rurent au fort à en faire de mesme que ces belles,
vertueuses et honnestes dames; et, en grande
émulation, non-seulement les séculiers, mais les
24
l86 CINQ^UIÉME DISCOURS
gens d'église, poussèrent tous à cette œuvre. Et,
au retour du fort, les hommes à part, et les dames
aussi rangées en bataille en la place auprès du pal-
lais de la Seigneurie, allèrent l'un après l'autre, de
main en main, saluer Timage de la Vierge Marie,
patronne de la ville, en chantant quelques himnes
et cantiques à son honneur, par un si doux air et
agréable armonie que, partie d'aise, partie de
pitié, les larmes tomboient des jeux à tout le
peuple ; lequel, après avoir receu la bénédiction
de M. le reverendissime cardinal de Ferrare, chacun
se retira en son logis, tous et toutes en resolution
de faire mieux à l'advenir.
Cette cérémonie sainte de dames me fait res-
souvenir (sans comparaison) d'une prophane, mais
belle pourtant, qui fut faitte à Rome du temps de
la guerre punique, qu'on trouve dans Tite-Live.
Ce fut une pompe et une prossession qui s'y fit
de trois fois neuf, qui sont vingt-sept, jeunes belles
filles romaines, et toutes pucelles, vestues de ro-
bettes assez longuettes, l'histoire n''en dit point
les couleurs, lesquelles, après leur pompe et pro-
cession achevée, s'arresterent en une place, oia
elles dansèrent devant le peuple une danse en
s'entredonnans une cordelette, rangées l'une après
l'autre, faisant un tour de danse, et accommodant
le mouvement et frétillement de leurs pieds à la
cadanse de l'air et de la chanson qu'elles disojent :
ce qui fut chose très-belle à voir, autant pour la
beauté de ces belles filles que pour leur bonne
CINQ^UIÉME DISCOURS 187
grâce, leur belle façon à la danse, et pour leur af-
fetté mouvement de pieds, qui certes l'est d'une
belle pucelle, quand elle les sçait gentiment et
mignardement conduire et mener.
Je me suis imaginé en moy cette forme de danse,
et m'a fait souvenir d'une que j''ay veu de mon
jeune temps danser les filles de mon païs, qu'on
appelloit la /arref/ere; lesquelles, prenans et s'en-
tredonnans la jarretière par la main, les passoyent
et repassoient par-dessus leur teste, puis les mes-
loyent et entrelassoyent entre leurs jambes en
sautant dispostement par-dessus, et puis s'en des-
velopoyent et desengageoyent si gentiment par
de petits sauts, tousjours s'entresuivans les uns
après les autres, sans jamais perdre la cadanse de
la chanson ou de l'instrument qui les guidoit, si
que la chose estoit tres-plaisante à voir : car les
sauts, les entrelassemens, les desgagemens, le port
de la jarretière et la grâce des filles, portoyent je
ne sçay quelle lasciveté mignarde, que je m'es-
tonne que cette danse n'a esté pratiquée en nos
cours de nostre temps, puisque les calleçons y sont
fort propres, et qu'on y peut voir aisément la
belle jambe, et qui a la chausse la mieux tirée,
et qui a la plus belle disposition. Cette danse se
peut mieux représenter par la veue que par l'escri-
ture.
Pour retourner à nos dames siennoises : ha!
belles et braves dames, vous ne deviez jamais
mourir, non plus que vostre los, qui à jamais ira
l88 CINQ.UIÉME DISCOURS
de conserve avec l'immortalité, non plus aussi que
cette belle et gentille fille de vostre ville, laquelle,
en vostre siège , voyant son frère un soir détenu
mallade en son lict et fort mal disposé pour aller
en garde, le laissant dans le lit, tout coyement se
dérobe de luy, prend ses armes et ses habillemens,
et, comme la vraye effigie de son frère, paroist
en garde; et pour son frère fut prise ainsi et in-
cogneue par la faveur de la nuict. Gentil trait,
certes ! car, bien qu'elle se fust garçonnée et gen-
darmée, ce n'estoit pourtant pour en faire une
continuelle habitude, que pour cette fois faire un
bon office à son frère. Aussi dit-on que nul amour
est égale à la fraternelle, et qu'aussi, pour un bon
besoin, il ne faut rien espargner pour monstrer une
gente générosité de cœur, en quelque endroit que
ce soit.
Je croy que le corporal qui lors commandoit à
l'esquade où estoit cette belle fille, quand il sceut
ce trait, fut bien marry qu'il ne l'eust mieux re-
cogneue, pour mieux publier sa louange sur le
coup, ou bien pour l'exempter de la sentinelle, ou
du tout pour s'amuser d'en contempler la beauté,
sa grâce et sa façon militaire : car ne faut point
douter qu'elle ne s'estudiast en tout à la contre-
faire.
Certes, on ne sçauroit trop louer ce beau trait,
et mesme sur un si juste sujet pour le frère. Tel en
fit ce gentil Richardet, mais pour divers sujet[s],
quand, après avoir ouy le soir sa sœur Bradamente
CINQ^UIEME DISCOURS 189
discourir des beautez de cette belle princesse
d'Espagne, et de ses amours et désirs vains, après
qu'elle fut couchée, il prit ses armes et sa belle
cotte, et s'en déguise pour parestre sa sœur, tant
ils estoyent de semblance de visage et beauté; et
après, sous telle forme, tira de cette belle prin-
cesse ce qu'à sa sœur son sexe luy avoit desnié;
dont mal pourtant très-grand luj en fust arrivé
sans la faveur de Roger, qui, le prenant pour sa
maistresse Bradamante, le garantit de mort.
Or j'ay ouy dire à M. de La Chapelle des Ur-
sins, qui lors estoit en Italie, et qui fît le rapport
de si beau trait de ces dames siennoises au feu
roy Henry [qu']il le trouva si beau que la larme à
l'œil il jura que, si Dieu luy donnoit un jour la
paix ou la trefve avec l'empereur, qu'il iroit par ses
galleres en la mer de Toscane, et de là à Sienne,
pour voir cette ville si affectée à soy et à son party,
et la remercier de cette brave et bonne volonté, et
surtout pour voir ces belles et honnestes dames et
leur en rendre grâces particulières.
Je croy qu'il n'y eust pas failly, car il honno-
roit fort les belles et honnestes dames; et si leur
escrivit, principalement aux trois principales, des
lettres les plus honnestes du monde de remercie-
mens et d'offres, qui les contentèrent et animèrent
davantage.
Helas! il eut bien, quelque temps après, la
trefve; mais, l'attendant à venir, la ville fut prise,
comme j'ay dit ailleurs; qui fut une perte inesti-
190 CINQUIEME DISCOURS
mable pour la' France, d'avoir perdu une si noble
et si chère alliance, laquelle, se ressouvenant et se
ressentant de son ancienne origine, se voulut re-
joindre et remettre parmy nous : car on dit que
ces braves Siennois sont venus des peuples de
France qu'en la Gaule on appelloit jadis Senonnes,
que nous tenons aujourd'huy ceux de Sens; aussi
en tiennent-ils encores de l'humeur de nous autres
François, car ils ont la teste prés du bonnet, et
sont vifs, soudains et prompts comme nous. Les
dames, pareillement aussi, se ressentent de ces
gentillesses, gracieuses façons, et familiaritez fran-
çoises.
J'ay leu dans une vieHle cronique que j'ay allé-
gué ailleurs, que le roy Charles VIII^, en son
voyage de Naples, lorsqu'il passa à Sienne, il y
fut receu par une entrée si triomphante et si su-
perbe qu'elle passa toutes les autres qu'il fît en
toute l'Italie; jusques à là que, pour plus grand
respect et signe d'humilité, toutes les portes de la
ville furent ostées de leurs gonds et portées par
terre; et tant qu'il y demeura furent ainsi ouvertes
et abandonnées à tous allants et venants, et puis
après, venant son départ, remises.
Je vous laisse à penser si le roy, toute sa cour
et son armée, n'eurent pas grand sujet d'aymer et
honnorer cette ville, comme de vray il fît tous-
jours, et en dire tous les biens du monde. Aussi
la demeure à luy et à tous en fut tres-agreable,
et sur la vie fut défendu de n'y faire aucune inso-
CINQUIEME DISCOURS 191
lence, comme certes la moindre du monde ne s'en-
suivit. Ha! braves Siennois , vivez pour jamais!
Que pleust à Dieu fussiez-vous encore nostres en
tout, comme vous l'estes, possible, en cœur et en
ame ! car la domination d'un roy de France est
bien plus douce que celle d'un duc de Florence;
et puis le sang ne peut mentir. Que si nous
estions aussi voisins comme nous sommes reculez,
possible, tous ensemble conformes de volontez,
en ferions-nous dire.
f Les principales dames de Pavie, en leur siège
du roy François, sous la conduitte et exemple de
la signora contessa Hipolita de Malespina, leur
générale, se mirent de mesmes à porter la hotte,
remuer terre et remparer leurs bresches, faisant à
Tenvy des soldats.
5 Un pareil trait que ces dames siennoises que
je viens de raconter je vis faire à aucunes dames
rochelloises, au siège de leur ville; dont il me sou-
vient que le premier dimanche de caresme que le
siège y estoit. Monsieur, nostre gênerai, manda
sommer M. de La Noue de sa parole, et venir
parler à luy et Juy rendre compte de sa négocia-
tion que luy avoit chargé pour cette ville; dont le
discours en est long et fort bizarre, que j'espère
ailleurs descrire. M. de La Noue n'y faillit pas, et
pour ce M. d'Estrozze fut donné en ostage dans
la ville, et trefves furent faites pour ce jour et pour
le lendemain.
Ces trefves ainsi faittes, parurent aussitost comme
1^2 CINQUIEME DISCOURS
nous, hors des tranchées, force gens de la ville
sur les rampars et sur les murailles; et sur tous
parurent une centaine de dames et bourgeoises des
plus grandes, plus riches et des plus belles, toutes
vestues de blanc, tant de la teste que du corps,
toutes de toille de Hollande fine, qu'il fit très-beau
voir. Et ainsi s'estoyent-elles vestues, à cause des
fortifications des rampars où elles travailloyent,
fût ou à porter la hotte ou à remuer la terre; et
d'autres habillemens se fussent ensalaudis, et ces
blancs en estoyent quittes pour les mettre à la les-
sive; et aussi qu'avec cet habit blanc se fissent
mieux remarquer parmy les autres. Nous autres
fusmes fort ravis à voir ces belles dames; et vous
asseure que plusieurs s'y amusèrent plus qu'à autre
chose : aussi voulurent-elles bien se monstrer à
nous; et ne furent à nous guieres chiches de leur
veue, car elles se plantoyent sur le bord du ram-
part d'une fort belle grâce et démarche, qu'elles
valoyent bien le regarder et désirer.
Nous fusmes curieux de demander quelles dames
c'estoyent. Hz nous respondirent que c'estoyent
une bande de dames ainsi jurée, associée et ainsi
parée pour le travail des fortifications, et pour faire
de tels services à leur ville; comme certes de vray
elles en firent de bons, jusques-là que les plus vi-
rilles et robustes menoyent les armes; si que j'ay
ouy conter d'une, pour avoir souvent repoussé ses
ennemis d'une pique, elle la garde encor si soi-
gneusement comme sacrée relique, qu'elle ne la
CINQ_UIÉME DISCOURS ig3
donneroit, ny ne voudroit pour beaucoup d'ar-
gent la bailler, tant elle la tient chère chez soj.
* J'aj ouy racconter à aucuns vieux comman-
deurs de Rhodes, et mesmes je l'ay leu en un vieux
livre, que, lorsque Rhodes fut assiégé par sultan
Soliman, les belles dames et filles de la ville ne
pardonnèrent à leurs beaux visages et tendres et
délicats corps, pour porter leur bonne part des
peines et fatigues du siège, jusqu'à là que bien
souvent se presentoyent aux plus pressez et dange-
reux assauts, et courageusement secondoyent les
chevalliers et soldats à les soustenir. Ah! belles
Rodienes , vostre nom , vostre los a valu de tout
temps, et ne mériteriez d'estre sous la domination
des barbares !
J Du temps du roy François premier, la ville de
Sainct-Riquier, en Picardie, fut entreprise et as-
saillie par un gentilhomme flamend, nommé Dom-
rin, enseigne de M. du Ru, accompagné de cent
hommes d'armes et de deux mille hommes de pied,
et quelque artillerie. Dedans il n'y avoit seulement
que cent hommes de pied, qui estoit fort peu. Et
estoit prise, ne fut que les dames de la ville se
présentèrent à la muraille avec armes, eau et huille
bouillante et pierres, et repoussèrent bravement
les ennemis, bien qu'ils fissent tous les efforts pour
entrer. Encore deux desdites dames levèrent deux
enseignes des mains des ennemis, et les tirèrent de
la muraille dans la ville; si bien que les assiegeans
furent contraints d'abandonner la bresche qu'ils
Brantôme. II. a 5
194 CINQ^UIEME DISCOURS
avojent faite et les murailles, et se retirer et s'en
aller : dont la renommée fut par toute la France,
la Flandre et la Bourgogne. Au bout de quelque
temps, le roy François, passant par là, en voulut
voir les femmes, les loua et les remercia.
5 Les dames de Peronne en firent de mesme,
quand la ville fut assiégée du comte de Nassau, et
assistèrent aux braves gens de guerre qui estojent
dedans, tout de mesme façon, qui en furent esti-
mées, louées et remerciées de leur roy.
5 Les femmes de Sancerre, en ces guerres civiles
et leur siège, furent recommandées et louées des
beaux effets qu'elles y firent en toutes sortes.
5 Durant cette guerre de la ligue, les dames de
Vitré s'acquittèrent de mesme en leur ville assié-
gée par M. de Mercueur, Elles y sont très-belles
et tousjours fort proprement habillées de tout
temps; et pour ce n'espargnoyent leurs beautez à
se monstrer viriles et courageuses; comme certes
tous actes virils et généreux, à un tel besoin, sont
autant à estimer en les femmes qu'en les hommes.
5 Ainsi que de mesme furent jadis les gentiles
femmes de Cartage, lesquelles, quand elles virent
leurs marys, leurs frères, leurs pères, leurs parens
et leurs soldats, cesser de tirer à leurs ennemis, par
faute de cordes en leurs arcs, qui estoyent toutes
usées de force de tirer par une si grande longueur
de siège, et, par ce, ne pouvans plus chevir de
chanvre, de lin, ny de soye, ny d'autres choses
pour faire cordes, s'adviserent de couper leurs
C I N Q^U lÉME DISCOURS 1^5
belles tresses et blonds cheveux, et ne pardonner
à ce bel honneur de leurs testes et parement de
leurs beautez; si bien qu'elles-mesmes, de leurs
belles, blanches et dehcates mains, en retorserent
et en firent des cordes, et en fournirent à leurs
gens de guerre; dont je vous laisse à penser de
quels courages et de quels nerfs ils pouvoient ten-
dre et bander leurs arcs, en tirer et en combattre,
portans si belles faveurs des dames.
J Nous lisons dans l'Histoire de Naples que ce
grand capitaine Sforze, sous la charge de la reine
Jeanne 11^, ayant esté pris par le mary de la reine,
Jacques, mis en estroitte prison, et eu quel-
ques traits de corde, sans doute il avoit la teste
tranchée, sans que sa sœur Marguerite se mit en
armes et aux champs, et fit si bien, elle en per-
sonne, qu'elle prit quatre gentilshommes napoli-
tains des principaux, et manda au roy que tel
traittement il feroit à son frère, tel le feroit-elle
ses gens. Si bien qu'il fut contraint de faire accord
et le lascher sain et sauf. Ah ! brave et généreuse
sœur, ne tenant guiere en cela de son sexe!
Je sçay aucunes sœurs et parentes que, si elles
eussent fait pareil trait, il y a quelque temps,
possible eussent-elles sauvé un brave frère qu'elles
avoyent, qui fut perdu pour faute de secours et
d'assistance pareille.
f Maintenant je veux laisser ces dames en gê-
nerai guerrières et généreuses : parlons d'aucunes
particulières. Et, pour la plus belle monstre de
1^6 CINQ^UIÉME DISCOURS
Tantiquité, je n'allegueray que cette seule Zenobie
pour toutes, laquelle, après la mort de son marj,
ne s'amusa, comme plusieurs, à perdre le temps à
le plorer et regretter, mais à s'emparer de l'empire
au nom de ses enfans, et faire la guerre aux Ro-
mains et à l'empereur Aurelian, qui en estoit lors
empereur, en leur donnant de la peine beaucoup,
l'espace de huict ans, jusqu'à ce qu'estant descen-
due en champ de bataille contre luy, fut vaincue
et prise prisonnière, et menée devant l'empereur;
lequel, après luy avoir demandé comment elle avoit
eu la hardiesse de faire la guerre aux empereurs,
elle luy respondit seulement : « Vrayment ! je
cognois bien que vous estes empereur, puisque
vous m'avez vaincue. » Il eut si grand aise de
l'avoir vaincue, et en tira si grande ambition, qu'il
en voulut triompher; et avec une très-grande
pompe et magnificence elle marchoit devant son
char triomphant, fort superbement habillée et ac-r
commodée d'une grande richesse de perles et
pierreries, de grands joyaux et de chaisnes d'or,
dont elle estoit enchaisnée au corps, aux pieds et
aux mains, en signe de captive et d'esclave; si que,
par la grande pesanteur de ses joyaux et chaisnes
qu'elle portoit sur elle, fut contrainte de faire plu-
sieurs pauses et se reposer souvent en ce triomphe.
Grand cas, certes, et admirable, que, toute vain-
cue et prisonnière qu'elle estoit, encore donnoit-
elle loy au vainqueur triompheur, et le faisoit
arrester et attendre jusques à ce qu'elle eust pris
CINQ^UIEME DISCOURS 197
son halleine! Grande aussi et honneste courtoisie
estoit-ce à l'empereur de luy permettre son aise et
repos et endurer sa débilité, et ne la contraindre
ny presser de se haster plus qu'elle ne pouvoit :
de sorte que l'on ne sçait que plus louer, ou l'hon-
nesteté de l'empereur, ou la façon de faire de la
reine, qui, possible, pouvoit-elle jouer ce jeu
exprés, non tant pour son imbecilité ou lassitude
que pour quelque ostentation de gloire, et mons-
trer au monde qu'elle en vouloit recueillir ce petit
brin sur le soir de sa belle fortune, comme elle
avoit fait sur le matin, et que monsieur l'empereur
luy cedoit ce coup là pour l'attendre en ses pas
lents et graves marchers. Elle se faisoit fort arre-
garder et admirer, autant des hommes que des
dames, desquelles aucunes eussent fort voulu res-
sembler cette belle image : car elle estoit des plus
belles, selon que disent ceux qui en ont escrit.
Elle estoit d'une fort belle, haute et riche taille,
son port très-beau, sa grâce et sa majesté de mes-
mes; par conséquent, son visage très-beau et fort
agréable, les yeux noirs etfortbrillans. Entre autres
beautez, ils luy donnoyent les dents très-belles et
fort blanches, l'esprit vif, fort modeste, et sincère,
et clémente au besoin; la parole fort belle et pro-
noncée d'une voix claire : aussi elle-mesme faisoit
entendre toutes ses conceptions et volontez à ses
gens de guerre, et les haranguoit souvent.
Je pense, certes, qu'il la faisoit bien aussi beau
voir, ainsi vestue si superbement et gentiment en
198 CINQ^UIÉME DISCOURS
habit de femme, que quand elle estoit armée tout
à blanc : car tousjours le sexe l'emporte; aussi
est-il à présumer que l'empereur ne la voulut exhi-
ber en son triomphe qu'en son beau sexe femenin,
qui la representeroit mieux et la rendroit au peuple
plus agréable en ses perfections de beauté. De
plus, il est à présumer aussi qu'estant si belle, l'em-
pereur en avoit tasté, jouj, et en jouissoit encor;
et que, s'il l'avoit vaincue d'une façon, il ou elle,
les deux se peuvent entendre, l'avoit vaincu aussi
de l'autre.
Je m'estonne que, puisque cette Zenobie estoit
si belle, l'empereur ne la prist et entretinst pour
l'une de ses garces, ou bien qu'elle n'ouvrist et
dressât par sa permission, ou du sénat, boutique
d'amour et de putanisme, comme fit Flora, afin de
s'enrichir et accumuler force biens et bons moyens,
au travail de son corps et branslement de son lict;
à laquelle boutique eussent pu venir les plus grands
de Rome, à l'envy tous les uns des autres : car
enfin il n'y a tel contentement et félicité au monde,
s'il semble, que se ruer sur la royauté et princi-
pauté, et de jouir d'une belle reine, d'une princesse
et grande dame. Je m'en rapporte à ceux qui ont
esté en ces voyages, ety [ont] fait si belles factions.
Et par ainsi cette reine Zenobie se fust fait tost
riche parlabourse de ces grands, ainsi que fit Flora,
qui n'en recevoit point d'autres en sa boutique.
N'eust-il pas mieux vallu pour elle de traitter cette
vie en bombances, magnificences, chevances et
CINQ^UIÉME DISCOURS 199
honneurs, que de tomber en la nécessité et extré-
mité qu'elle tomba, à gaigner sa vie à filer parmy
des femmes communes et mourir de faim, sans que
le sénat, ayant pitié d'elle, veu sa grandeur passée,
luj ordonna pour son vivre quelque pension, et
quelques petites terres et possessions, que l'on
appella longtemps les possessions zenobiennes :
car enfin c'est un grand mal que la pauvreté; et
qui la peut éviter, en quelque forme qu'on se
puisse transmuer, fait bien, ce disoit quelqu'un
que je sçay.
Voylà pourquoy Zenobie ne mena son grand
courage au bout de la carrière, comme elle devoit,
et qu'il faut qu'on la persiste tousjours en toutes
actions. On dit qu'elle avoit fait faire un charriot
triomphant, le plus superbe qui se fust jamais veu
dans Rome, et, ce disoit-elle souvent, durant ses
grandes prosperitez et vanteries, pour triumpher
dans Rome; tant elle estoit presumptueuse de
conquérir l'empire romain! Mais tout cela au re-
bours : car l'empereur, l'ayant vaincue, le prit
pour luy, et en triompha, et elle alla à pied, en
faisant d'elle plus grand triomphe et pompe que
s'il eust vaincu un puissant roy. Et dittes que la
victoire qu'on emporte sur une dame, en quelque
façon que ce soit, n'est pas grande et tres-illustre !
5 Ainsi désira Auguste de triompher de Cleo-
patra; mais il n'y procéda pas bien. Elle y pour-
veut de bonne heure, et de la façon que Paulus
.ïmilius le dit à Perseus, qui, le priant en sa
200 CINQ^UIEME DISCOURS
captivité d'avoir pitié de luy, il luy respondit que
ç'avoit esté à luy à y mettre ordre auparavant,
voulant entendre qu'il se devoit estre tué.
5 J'ay ouy dire que le feu roy Henry deuxiesme
ne desiroit rien tant que de pouvoir prendre pri-
sonnière la reine de Hongrie, non pour la traitter
mal, encore qu'elle luy eust donné plusieurs sujets
par ses bruslemens, mais pour avoir cette gloire
de tenir cette grande reine prisonnière, et voir
quelle mine et contenance elle tiendroit en sa
prison, et si elle seroit si brave et orgueilleuse
qu'en ses armées : car enfin il n'y a rien si superbe
et brave qu'une belle, brave et grande dame,
quand elle veut et qu'elle a du courage, comme
estoit celle-là, et qui se plaisoit fort au nom que
luy avoyent donné les soldats espagnols, qui,
comme ils appelloyent l'empereur son frère el
padre de los soldados, eux l'appelloyent la madré;
ainsi queVittoria ouVittorina, jadis, du temps des
Romains, fut appellée en ses armées la mère du
camp. Certes, si une dame grande et belle entre-
prend une charge de guerre, elle y sert de beau-
coup, et anime fort ses gens, comme j'ay veu la
reine mère en nos guerres civiles, qui bien souvent
venoit en nos armées, et les asseuroit tout plain et
encourageoit fort, et comme fait aujourd'huy sa
petite-fille, l'infante, en Flandres, qui préside en
son armée, et se fait paroistre à ses gens de guerre
toute valeureuse, si que, sans elle et sa belle et
agréable présence, la Flandre n'auroit moyen de
CINQ^UIEME DISCOURS 201
tenir, ce disent tous; et jamais la reine de Hon-
grie, sa grande-tante, ne parut telle en beauté,
valeur et générosité et belle grâce.
f Dans nos histoires de France, nous lisons com-
bien servit la présence de cette généreuse comtesse
de Montfort, estant assiégée dans Annebon : car,
encor que ses gens de guerre fussent braves et
vailians, et qu'ils eussent combattu et soustenu
des assauts et fait aussi bien que gens du monde,
ilz commencèrent à perdre cœur et vouloir se
rendre; mais elle les harangua si bien, et anima
de si belles et courageuses paroles, et les anima si
beau et si bien qu'ils attendirent le secours, qui
leur vint à propos, tant désiré; et le siège fut levé.
Et fit bien mieux : car, ainsi que ses ennemis
estoyent amusez à l'assaut, et que tous y estoyent,
et vid les tentes qui en estoyent toutes vuides,
elle, montée sur un bon cheval et avec cinquante
bons chevaux, fit une saillie, donna l'aliarme, mit
le feu dans le camp; si bien que Charles de Blois,
cuidant estre trahy, fit aussitost cesser l'assaut. Sur
ce sujet je feray ce petit conte :
Durant ces dernières guerres de la Ligue, feu
M. le prince de Condé, dernier mort, estant à
Sainct-Jean, envoya demander à madame de Bour-
deille, veufve de l'aage de quarante ans, et très-
belle, six ou sept des gens de sa terre des plus
riches, et qui s'estoyent retirez en son chasteau de
Malhas prés elle. Elle les luy refusa tout à trac, et
que jamais elle ne trahiroit ny ne livreroit ces pau-
26
202 CINQ^UIEME DISCOURS
vres gens, qui s'estoyent allez couvrir et sauver
sous sa foy. Il luy manda pour la dernière fois
que, si elle ne les luy envoyoit, qu'il luy appren-
droit de luy obéir. Elle luy fit response (car j'estois
avec elle pour l'assister) que, puisqu'il ne sçavoit
obéir, qu'elle trouvoit fort estrange de vouloir
faire obéir les autres, et, lorsqu'il auroit obey à
son roy, elle luy obeiroit; au reste que, pour
toutes ses menaces, elle ne craignoit ny son canon
ny son siège, et qu'elle estoit descendue de la
comtesse de Montfort, de laquelle les siens avoyent
hérité de cette place, et elle et tout, et de son cou-
rage; et qu'elle estoit résolue de la garder si bien
qu'il ne la prendroit point; et qu'elle feroit autant
parler là d'elle leans que son ayeule, ladite com-
tesse, avoit fait dans Annebon. M. le prince son-
gea longtemps sur cette response, et temporisa
quelques jours sans la plus menacer. Pourtant, s'il
ne fust mort, il l'eust assiégée; mais elle s' estoit
bien préparée de cœur, de resolution, d'hommes
et de tout, pour le bien recevoir, et croy qu'il y
eust receu de la honte.
5 Machiavel, en son livre De la guerre, raconte
que Catherine, comtesse de Furly, fut assiégée
dans sadite place par César Borgia, assisté de
l'armée de France, qui luy résista fort vallureuse-
ment, mais enfin fut prise. La cause de sa perte fut
que cette place estoit trop pleine de forteresses
et Heux forts pour se retirer d'un lieu à l'autre, si
bien que, Csesar ayant fait ses approches, le sei-
C I N Q_^U I E M E DISCOURS 20
3
gneur Jean de Casale, que ladite comtesse avoit
pris pour sa garde et assistance, abandonna la
bresche pour se retirer en ses forts, et, par cette
faute, Borgia faussa et prit la place. Si bien, dit
l'auteur, que ces fautes firent tort au courage géné-
reux et à la réputation de cette brave comtesse,
laquelle avoit attendu une armée que le roy de
Naples et le duc de Milan n'avoyent osé attendre;
et, bien que son yssue en fust malheureuse, elle
emporta l'honneur que sa vertu meritoit; et pour
ce en Italie se firent force vers et rimes en sa
louange. Ce passage est digne de lire pour ceux
qui se meslent de fortifier des places et y bastir
grande quantité de forts, chasteaux, roques et
cittadelles.
f Pour retourner à nostre propos, nous avons
eu le temps passé force princesses et grandes dames
en nostre France, qui ont fait de belles marques
de leurs prouesses : comme fit Paule, fille du comte
de Penthievre, laquelle fut assiégée dans Roye par
le comte [de] CharouUois, et s'y monstra si brave
et si généreuse que, la ville estant prise, le comte
luy fit tres-bon-ne guerre, et la fit conduire à Com-
piegne seurement, ne permettant qu'il luy fust fait
aucun tort; et l'honnora fort pour sa vertu, encor
qu'il voulust grand mal à son mary, qu'il char-
geoit de l'avoir voulu faire mourir par sortilleges
et charmes d'aucunes images et chandelles.
f Richilde, fille unique et héritière de Monts
en Hainault, femme de Baudouin sixiesme, comte
204 CINQ^UIEME DISCOL'RS
de Flandres, fît tous efforts contre Robert le
Frizon, son beau-frere, institué tuteur des enfans
de Flandres, pour luj en oster la connoissance
et administration et se l'attribuer; quoj poursui-
vant à l'ayde de Philippes, roy de France, luj
hazarda deux batailles. En la première elle fut
prise, ce que fut aussi Robert son ennemy, et
amprés furent rendus par eschange; luj en livra
la seconde, laquelle elle perdit, et y perdit son
fils Arnulphe, et [fut] chassée jusques à Monts.
J Ysabel de France, fille du roy Philippes le Bel,
et femme du roy Edouard deuxiesme, duc de
Guyenne, fut en malle grâce du roy son mary,
par de meschants rapports de Hue le Despen-
cier, dont fut contrainte se retirer en France
avec son fils Eduard; puis s'en retourna en
Angleterre avec le chevallier de Hainaut , son
parent, et une armée qu'elle y mena, au moyen
de laquelle elle prit son mary prisonnier, lequel
elle délivra entre les mains de ceux avec lesquels
il luy convint finir ses jours; ainsi qu'à elle-mesme
il luy en prit, qui, pour traitter l'amour avec un
seigneur de Mortemer, fut par son fils confinée
en un chasteau à finir ses jours. C'est elle qui a
baillé aux Anglois sujet de quereller à tort la France.
Mais voilà une mauvaise reconnoissance pourtant,
et grande ingratitude de fils, qui, oubliant un
grand bienfait, traitta ainsi sa mère pour un si pe-
tit forfait. Petit, l'appellé-je, puisqu'il est naturel,
et que malaisément, ayant pratiqué les gens de
cinqjjiéme discours 2o5
guerre, et qu'elle s'estoit tant accoustumée à gar-
çonner avec eux parmy les armées et tentes et
pavillons, falloit bien qu'elle garçonnast aussi entre
les courtines, comme cela se voit souvent.
J Je m'en rapporte à nostre reine Leonor, du-
chesse de Guyenne, qui accompagna le roy son
mary outre mer et en la guerre sainte. Pour prati-
quer si souvent la gendarmerie et soudardaille, elfe
se laissa fort aller à son honneur, jusqu'à là qu'elle
eût à faire avec les Sarrasins; dont pour ce le roy
la répudia; ce qui nous cousta bien. Pensez qu'elle
voulut esprouver si ces bons compagnons estoyent
aussi braves champions à couvert comme en pleine
campagne, et que, possible, son humeur estoit
d'aymer les gens vaillans, et qu'une vaillance at-
tire l'autre, ainsi que la vertu: car jamais celuy ne
dit mal qui dist que la vertu ressembloit le foudre
qui perce tout.
Cette royne Leonor ne fut pas la seule qui ac-
compagna en cette guerre sainte le roy son mary.
Mais avant elle, et avec elle et après, plusieurs
autres princesses et grandes dames avec leurs ma-
rys se croisèrent, mais non leurs jambes, qu'elles
ouvrirent et eslargirent à bon escient; si qu'au-
cunes y dem.eurerent, et les autres en retournèrent
de très-bonnes vesses. Et, sous la couverture de
visiter le sainct sepulchre, parmy tant d'armes, fai-
soyent à bon escient l'amour; aussi, comme j'ay
dit, les armes et l'amour convienent bien ensemble,
tant la simpathie en est bonne et bien conjointe.
2o6 CINQJJIÉ ME DISCOURS
Encores telles dames sont-elles à estimer, d'ay-
mer et traitter ainsi les hommes; non comme firent
jadis les Amazones, lesquelles, encore qu'elles se
dissent filles de Mars, se deffirent de leurs maris^,
disans que ce mariage estoit une vraye servitude ;
mais prou d'ambition avoyent-elles avec d'autres
hommes, pour en avoir des filles, et faire mourir
les enfans [masles].
5 Jo. Nauclerus, en sa Cosmographie, reche que,
l'an de Christ 1 1 2 3 , après la mort de Tibussa, reine
des Bohèmes, et qui fit renfermer la ville de Pra-
gue de murailles, et qui abhorroit fort la domina-
tion des hommes, il y eut une de ses damoiselles
de grand courage, nommée Valasca, qui gaigna
si bien et filles et dames du pays, et leur proposa
si bien et beau la liberté, et les degousta si fort de
la servitude des hommes, qu'elles tuèrent chacune
qui son mary, qui son frère, qui son parent, qui
son voisin, qu'en moins d'un rien elles furent mais-
tresses; et, ayans pris les armes de leurs hommes,
s'en ayderent si bien et se rendirent si braves et si
adextres, à mode d'Amazonnes , qu'elles eurent
plusieurs victoires. Mais après, par les menées et
finesses d'un Primislaus, mary de Libussa, homme
qu'elle avoit pris de basse et vile condition, furent
défaites et mises à mort. Ce fut par permission
divine de l'acte énorme perpétré pour faire ainsi
perdre le genre humain.
Ces dames pouvoyent bien monstrer leurs beaux
courages pour d'autres belles factions, courageuses
CINQ^UIEME DISCOURS 207
et viriles que par telles cruautez, ainsi que nous
avons veu tant d'emperieres, de reines, de prin-
cesses et grandes dames, par actes nobles , et
aux gouvernements et maniemens de leurs estats,
et autres sujets, dont les histoires en sont assez
pleines sans que je les raconte : car l'ambition de
dominer, régner et imperier, loge dans leurs âmes
aussi bien que des hommes, et en sont aussi
friandes.
5 Si en vays-je nommer une qui n'en fut tant
atteinte, qui est Victoria Colonna, femme du mar-
quis de Pescayre, de laquelle j'ay leu dans un livre
espagnol que, lorsque ledit marquis entendit aux
belles offres que luy fit Hieronimo Mouron de la
part du pape, comme j'ay dit cy-devant, du
royaume de Naples, s'il vouloit entrer en ligue
avec luy, elle, en estant advertie par son mary
mesme, qui ne luy celoit rien de ses plus privez
affaires, ny grands ny petits, luyescrivit, car elle
disoit des mieux , et luy manda qu'il se souvînt de
son ancienne valeur et vertu, qui luy avoit donné
telle louange et réputation qu'elle excedoit la
gloire et la fortune des plus grands rois de la
terre, disant que : no con grandezza de los reynos,
de estados ny de hermosos titulos , sino con fe il-
lustre y clara virtud, se alcançava la honra, la quai
con loor siempre vivo, llegava a los descendientes ; y
que no havia nigun grado tan alto que no fuesse
vencido de una trahicyon y mala fe. Que por esto,
nigun desseo ténia de ser muguer de rey, qucriendo
2 00 CINQUIEME DISCOURS
antes ser muguer de tal capitan^ que no solamente
en gaerra con valorosa mano, mas en pas con gran
honra de animo no vencido , havia sabido vencer
reyeSj y grandissimos principes, y capitanes, y dar-
los a triumphos, y imperiarlos ; disant que : « non
avec la grandeur des royaumes, des grands estats,
ny hauts et beaux tiltres, sinon avec une foy illustre
et claire vertu, l'honneur s'acqueroit, laquelle avec
une louange tousjours vive alloit à nos descendans;
et qu'il n'y avoit nul grade si haut, qui ne fust
vaincu ny gasté par une trahyson commise et foy
rompue; et que pour l'amour de cela elle n'avoit
nul désir d'estre femme de roy, mais d'un tel ca-
pitaine, lequel, non seulement en guerre avec sa
main valleureuse, mais en paix avec grand honneur
d'un esprit non vaincu, avoit sceu vaincre les rois,
les grands princes et capitaines, et les donner aux
triumphes et les imperier. » Cette femme parloit
d'un grand courage, d'une grande vertu, et de
vérité et tout : car de régner par un vice est fort
vilain, et de commander aux royaumes et aux rois
par la vertu est très-beau.
5 Fulvia, femme de P. Claudius, et en secondes
nopces de Marc Antoine, ne s'amusant guieres à
faire les affaires de sa maison, se mit aux choses
grandes, à traitter les affaires d'Estat, jusques-là
qu'on luy donna la réputation de commander aux
empereurs. Aussi Cleopatra l'en sceut très-bien
remercier, et luy avoir cette obligation que d'a-
voir si bien instruit et discipliné Marc-Antoine
CINQUIEME DISCOURS 209
à obeyr et ployer sous les loix de submission.
5 Nous lisons de ce grand prince françois
Charles Martel, qu'i[l] onc ne voulut prendre et
porter le tikre de roy, qui estoit en sa puissance,
mais aima mieux régenter les rois et leur com-
mander.
5 Parlons d'aucunes de nos dames. Nous avons
eu, en nostre guerre de la Ligue, M."^'^ de Mont-
pensier, sœur de feu M. de Guise, qui a esté une
grande femme d'Estat, et qui a porté sa bonne
part de matière, d'inventions de son gentil esprit,
et du travail de son corps, h bastir ladite ligue;
si qu'après avoir esté bien bastie, jouant aux cartes
un jour et à la prime, car elle ayme fort ce jeu,
ainsi qu'on luy disoit qu'elle meslast bien les car-
tes, elle respondit devant beaucoup de gens :
« Je les ay si bien meslées qu'elles ne se sçauroyent
mieux mesler ny demesler. » Cela fust esté bon si
les siens ne fussent esté morts; desquels, sans
perdre cœur d'une telle perte, en entreprit la ven-
geance. Et, en ayant sceu les nouvelles dans Paris,
sans se tenir recluse en sa chambre à en faire les
regrets, à la mode d'autres femmes, sort de son
hostel avec les enfans de M. son frère, les tenant
par les mains, les pourmeine par la ville, fait sa
deploration devant le peuple, l'animant de pleurs,
de cris de pitié et de paroles qu'elle fit à tous de
prendre les armes et s'eslever en furie, et faire les
insolences sur la maison et tableau du roy, comme
l'on a veu et que j'espère de dire en sa vie, et à
Brantôme. II. 27
2IO CINQ^UIEME DISCOURS
luy denier toute fidélité, ains au contraire [à luy
jurer] toute rébellion, dont puis après son meurtre
s'en ensuivit; duquel est à sçavoir qui sont ceux
et celles qui en ont donné les conseils et en sont
coulpables. Certainement, le cœur d'une sœur
perdant tels frères ne pouvoit pas digérer tel venin
sans venger ce meurtre.
J'ay ouy conter qu'après qu'elle eut ainsi bien
mis le peuple de Paris en besogne de telles ani-
mositez et insolences, elle partit vers le prince de
Parme à luy demander secours de vengeance. Et
y va à si grandes et longues traittes qu'il fallut un
jour à ses chevaux de coche demeurer si las et
recreus au beau mitan de la Picardie, dans les fan-
ges, qu'ilz ne pouvoyent aller ny en avant ny en
arrière, ny mettre un pied l'un devant l'autre.
Par cas passa un fort honneste gentilhomme de ce
païs, qui estoit de la religion, qui, encor qu'elle
fust desguisée et de nom et d'habit, il la conneut,
et, ostant de devant les yeux les menées qu'elle
avoit fait contre ceux de la religion, et l'animosité
qu'elle leur portoit, luy tout plain de courtoisie,
luy dit : « Madame, je vous connois bien ; je vous
suis serviteur : je vous voy en mauvais estât, vous
viendrez, s'il vous plaist, en ma maison que voilà
prés, pour vous seicher et vous reposer. Je vous
accommoderay de tout ce que je pourray au mieux
qu'il me sera possible. Ne craignez point : car,
encore que je sois de la religion, que vous nous
haïssez fort, je ne voudrois me départir d'avec
CINQ^UIEME DISCOURS 211
VOUS sans vous offrir une courtoisie qui vous est
tres-necessaire. » A telle offre elle se laissa aller,
et l'accepta fort librement; et, après l'avoir ac-
commodée de ce qui luy estoit nécessaire, reprend
son chemin et la conduit deux lieues, elle pour-
tant luy celant son voyage ; dont depuis de cette
courtoisie, à ce que j'ay ouy dire, en cette guerre
s'en acquitta à l'endroit dudit gentilhomme par
force autres courtoisies.
Plusieurs se sont estonnez comment elle se fia
à luy, estant huguenot. Mais quoy! la nécessité
fait faire beaucoup de choses; et aussi qu'elle le
vid si honneste, et parler si honnestement et fran-
chement, qu'elle jugea qu'il estoit enclin à faire un
trait honneste.
Madame de Nemours, sa mère, ayant esté
prisonnière après la mort de messieurs ses enfans,
ne faut point douter si elle demeura désolée
par une telle perte insupportable, jusques à là
que de son naturel elle est dame de fort douce
humeur et froide, et qui ne s'esmeut que bien à
propos, elle vint à debagouUer mille injures contre
le roy, et luy jetter autant de malédictions et
d'exécrations — car, et qui n'est la chose, la
parole qu'on ne fît et ne dît pour une telle véhé-
mence de perte et de douleur ! — jusques à ne
nommer le roy autrement et tousjours que ce tyran.
« Non! je ne le veux plus appeller tel, mais
roy tres-bon et clément, s'il me donne la mort
comme à mes enfans, pour m'oster de la misère où
212 CINQ^UIEME DISCOURS
je suis, et me colloque en la béatitude de Dieu. »
Puis après, appaisant ses paroles et cris et y faisant
quelque surceance, elle ne disoit sinon : « Ah !
mes enfans ! ha! mes enfans ! » réitérant ordi-
nairement ces paroles avec ses belles larmes, qui
eussent amoly un cœur de rocher. Helas! elle les
pouvoit ainsi plorer et regretter, estans si bons,
si généreux, si vertueux et valleureux, mais surtout
ce grand duc de Guise, vray aisné et vray pa-
rangon de toute valeur et générosité. Aussi
qu'elle aimoit si naturellement ses enfans qu'un
jour moy discourant avec une grand dame de la
cour, de madite dame de Nemours, elle me dit
que c'estoit la plus heureuse princesse du monde,
pour plusieurs raisons qu'elle m'alleguoit, fors
en une chose , qui estoit qu'elle aymoit mes-
sieurs ses enfans par trop : car elle les aymoit si
très-tant que l'appréhension ordinaire qu'elle avoit
d'eux et qu'il ne leur arrivast mal troubloit toute
sa félicité, vivant ordinairement pour eux en in-
quiétude et allarme. Je vous laisse donc à penser
combien elle sentit de maux, d'amertumes et de
picqueures, par la mort de ces deux, et par l'ap-
préhension de l'autre, qui estoit vers Lion, et de
M. de Nemours prisonnier : car de sa prison, di-
soit-elle, ne s'en soucioit point, ny de sa mort
non plus, ainsi que je viens de dire.
Lorsqu'on la sortit du chasteau de Blois pour
la mener en celuy d'Amboise en plus estroite pri-
son, ainsi qu'elle eut passé la porte, elle tourna
CINQ^UIEME DISCOURS 2ID
et haussa la teste en haut vers le pourtrait du roy
Louis douziesme songrand-pere, qui est là engravé
en pierre au-dessus sur un cheval avec une fort
belle grâce et guerrière façon. Elle, s'arrestant là
un peu et le contemplant, dit tout haut (devant
force monde là accouru, d'une belle et asseurée
contenance dont jamais n'en fut despourveue) :
« Si celuy qui est là représenté estoit en vie, il ne
permettroit pas qu'on emmenast sa petite-fille
ainsi prisonnière, et qu'on la traittast de cette
sorte. » Et puis suivit son chemin sans plus rien
dire. Pensez que dans son ame elle imploroit et
invoquoit les mânes de ce généreux ayeul, pour
estre justes vengeurs de sa prison; ny plus ny
moins que firent jadis aucuns des conjurateurs de
la mort de César, lesquels, ainsi qu'ils alloyent
faire leur coup, se tournèrent vers l'estatue de
Pompée, et sourdement invoquèrent et implorè-
rent l'ombre de sa main , jadis si valleureuse,
pour conduire leur entreprise à faire le coup qu'ils
firent. Possible que l'invocation de cette princesse
peut servir et avancer la mort du roy, qui l'avoit
ainsi outragée. Une dame de grand cœur qui
couve une vindicte est fort à craindre.
Je me souviens que, quand feu M. son mary,
M. de Guise, eut son coup dont il mourut, elle
estoit pour lors au camp, qui estoit venue là pour
le voir quelques jours avant. Ainsi qu'il entra en
son logis blessé, elle vint à l'endevant de luy
jusqu'à la porte de son logis toute esperdue et
214 CINQ^UIEME DISCOURS
esplorée, et, l'ayant salué, s'escria soudain :
« Est-il possible que le malheureux qui a fait le
coup et celuy qui l'a fait faire (se doutant de
M. l'admirai) en demeurent impunis ? Dieu ! si tu es
juste, comme tu le dois estre, vange cecy; autre-
ment...» et n'achevant le mot, M. son mary la
reprit, et luy dit : « M'amie, n'ofîençez point
Dieu en vos paroles. Si c'est luy qui m'a envoyé
cecy pour mes fautes, sa volonté soit faite, et
louange luy en soit donnée. S'il vient d'ailleurs,
puisque les vengeances luy sont réservées, il fera
bien cette-cy sans vous. » Mais, luy mort, elle la
poursuivit si bien que le meurtrier fut tiré à quatre
chevaux, et l'auteur prétendu d'elle fut massacré
au bout de quelques années, comme j'espère dire
en son lieu, par les instructions qu'elle donna à
M. son fils, comme je l'ay veu, et les conseils et
persuasions dont elle le nourrit dés sa tendre jeu-
nesse, jusques après que la vengeance en fut faite
totale.
J Les advis et exhortations des femmes et mères
généreuses peuvent beaucoup en cela ; dont je me
souviens que le roy Charles IX^, faisant le tour de
son royaume, estant à Bourdeaux, fut mis en prison
le baron de Bournazel, un fort brave et honneste
gentilhomme de Gascogne, pour avoir tué un au-
tre gentilhomme de son pais mesme qui s'appelloit
La Tour : on disoit que c'estoit par grande super-
cherie. La veufve en poursuivit si vivement la pu-
nition qu'on se donna la garde que les nouvelles
CINQ^UIÉME DISCOURS 2l5
vindrent en la chambre du roy et de la reine,
qu'on alloit trancher la teste audict baron. Les
gentilshommes et dames soudain s'esmeurent, et
travailla-on fort pour luy sauver la vie. On en pria
par deux fois le roy et la reine de luy donner
grâce. M. le chancellier s'y opposa fort, disant
qu'il falloit que justice s'en fît. Le roy le vouloit
fort, qui estoit jeune et ne demandoit pas mieux
que le sauver, car il estoit des gallants de la cour;
et M. de Cipierre l'y poussoit aussi fort. Cepen-
dant l'heure de l'exécution approchoit, ce qui es-
tonnoit tout le monde. Sur quoy M. de Nemours
survint, qui aymoit le pauvre baron, lequel l'avoit
suivy en de bons lieux aux guerres, qui s'alla
jetter de genoux aux pieds de la reine, et la supplia
de donner la vie à ce pauvre gentilhomme, et la
pria et pressa tant de paroles qu'elle luy fut oc-
troyée; dont sur-le-champ fut envoyé un capitaine
des gardes qui l'alla quérir et prendre en la prison,
ainsi qu'il sortoit pour le mener au supplice. Par
ainsi il fut sauvé, mais avec une telle peur qu'à
jamais elle demeura empreinte sur son visage; et
oncques puis ne peut recouvrer couleur, comme
j'ay veu, et comme j'ay ouy dire de M. de Sainct-
Vallier, qui l'eschappa belle à cause de M. de
Bourbon.
Cependant la veufve ne chauma pas, et l'ende-
main vint trouver le roy, ainsi qu'il alloit à la
messe, et se jetta à ses pieds. Elle luy présenta
son fils, qui pouvoit avoir trois ou quatre ans, et
2l6 CINQ^UIEME DISCOURS
luy dit : a Au moins, Sire, puisque vous avez
donné la grâce au meurtrier du père de cet en-
fant, je vous supplie la luy donner aussi dez cette
heure, pour quand il sera grand, il aura eu sa re-
vanche et tué ce malheureux. » Du depuis, à ce
que j'ay ouy dire, la mère tous les matins ve-
noit esveiller son enfant; et, en luy monstrant la
chemise sanglante qu'avoit son père lorsqu'il fut
tué, elle luy disoit par trois fois : « Advise-la bien,
et souvien-toy bien, quand tu seras grand, de
vanger cecy : autrement je te déshérite. » Quelle
animosité !
5 Moy, estant en Espagne, j'ouïs conter qu'An-
tonio Roques, l'un des plus braves, vaillans, fins,
cauts, habiles, fameux, et des plus courtois ban-
doulliers avec cela, qui fût jamais en Espagne, ce
tient-on, ayant eu envie de se faire prestre dez sa
première profession, le jour venu qu'il luy falloit
chanter sa première messe, ainsi qu'il sortoit du
revestiaire et qu'il s'en alloit avec grande cérémo-
nie au grand autel de sa paroisse, bien revestu et
accommodé à faire son office, le caHce à la main,
il ouït sa mère qui luy dit ainsi qu'il passoit: «Ah/
vellaco, vcllacOj mejor séria de vengar la muerte de
tu padre que de caniar missa : « Ah ! malheureux
et meschant que tu es ! il vaudroit mieux de vanger
la mort de ton père que de chanter messe. )■> Cette
voix luy toucha si bien au cœur qu'il retourne
froidement du my-chemin, et s'en va au revestitoire;
là se devestit, faisant à croire que le cœur luy avoit
CINQUIEME DISCOURS 2iy
fait mal et que ce seroit pour une autre fois, et
s'en va aux montagnes parmj les bandoulliers,
s'y fait si fort estimer et renommer qu'il en fut
esleu chef; fait force maux et volleries, vange la
mort de son père, qu'on disoit avoir esté tué d'un
autre; d'autres, qu'il avoit esté exécuté par jus-
tice. Ce conte me fit un bandouUier mesme, qui
avoit esté sous sa charge autresfois, et me le loua
jusques au tiers ciel, si que l'empereur Charles ne
luy put jamais faire mal.
f Pour retourner encore à madame de Nemours,
le roy ne la retint guieres en prison, et M. d'Es-
cars en fut cause en partie : car il la fit sortir pour
l'envoyer à Paris vers messieurs du Mayne et de
Nemours, et autres princes liguez, et leur porter
à tous parole de paix et oubliance de tout le passé;
et qui estoit mort estoit mort, et amis comme de-
vant. De fait, le roy tira serment d'elle qu'elle fe-
roit cette ambassade. Estant donc arrivée, au pre-
mier abord ce ne furent que pleurs, lamentations
et regrets de leur perte; et puis fit le rapport de
sa charge. M. du Mayne luy fit la response, en
luy demandant si elle luy conseilloit cela. Elle luy
respondit seulement : « Mon fils, je ne suis pas
venue icy pour vous conseiller, sinon pour vous
dire ce qu'on m'a dit et chargé. C'est à vous à
songer si- vous avez sujet et le devez faire. Ce
que je vous dis, vostre cœur et vostre conscience
vous en doivent donner bon conseil. Quant à moy,
je me descharge de ce que j'ay promis. » Mais,
2l8 CINQJJIEME DISCOURS
SOUS main, elle en sceut très-bien attiser le feu,
qui a duré long-temps.
Il y a eu plusieurs personnes qui se sont fort
estonnées comment le roy, qui estoit si sage et des
habiles de son royaume, s'aydoit de cette dame
pour un tel ministère, l'ayant ainsi offensée qu'elle
n'eust eu ny cœur ny sentiment si elle s'y fust
employée le moins du monde : aussi se mocqua-
elle bien de luy. On disoit que c'estoit le beau
conseil du mareschal de Rhets, qui en donna un
pareil au roy Charles, pour envoyer M. de
La Noue dans La Rochelle à persuader les ha-
bitans à la paix et à leur obéissance et devoir;
jusques-là que, pour entrer en créance avec eux,
il luy permit de faire de l'eschauffé et de l'animé
pour eux et pour son party, à faire la guerre à
outrance, et leur bailler advis et conseil contre le
roy; mais pourtant sous condition que, quand il
seroit commandé et sommé par le roy ou Monsieur,
son lieutenant gênerai, de sortir, qu'il le feroit.
Il fit et l'un et l'autre, et la guerre, et sortit; mais
cependant il asseurasi bien ses gens, et les aguerrit,
et leur fit de si bonnes leçons, et les anima telle-
ment, qu'ils nous firent, ce coup, la barbe. Force
gens trouvoyent qu'il n'y avoit là nulle finesse :
j'ay veu tout cela ; j'espère en faire tout le dis-
cours ailleurs. Mais ce mareschal valut cela à son
roy et à la France; lequel mareschal tenoit-on
mieux pour charlatan et cajolleurque pour un bon
conseiller et mareschal de France.
CINQ^UIEME DISCOURS 219
Je diray encor ce petit mot de ma susdite dame
de Nemours. J'ay ouy dire qu'ainsi qu'on bastis-
soit la Ligue, et qu'elle voyoit les cahiers et les
listes des villes qui adheroyent,et n'y voyant point
encore Paris, elle disoit tousjours à monsieur son
fils : « Mon fils, cela n'est rien, il faut encore Pa-
ris. Et, si vous ne l'avez, vous n'avez rien fait;
pour quoy, ayez Paris. » Et rien que Paris ne luy
sonnoit à la bouche; si bien que les barricades par
après s'en ensuivirent.
5 Voilà comme un généreux cœur tend tous-
jours au plus haut : ce qui me fait souvenir d'un
petit conte que j'ay leu dans un roman espagnol,
qui s'intitule la Conquista de Navarra. Ce royaume
ayant esté pris et usurpé sur le roy Jean par le roy
d'Aragon, le roy Louis douziesme y envoya une
armée, sous M. de La Palice,pour le reconquérir.
Le roy manda à la reine donne Catherine, de par
M. de La Palice qui luy en porta la nouvelle, qu'elle
s'en vînt à la cour de France et y demeurer avec la
reine Anne sa femme, cependant que le roy son
mary avec M. de La Palice attenteroient de recou-
vrer le royaume. La reine luy respondit généreuse-
ment : « Ef comment ! Monsieur, je pensois que le
roy vostre maistre vous eust icy envoyé pour m'am-
mener avec vous en mon royaume et me remettre
dans Pampelonne , et moy vous y accompagner,
ainsi que je m'y estois résolue et préparée; et
ast'heure vous me conviez de m'aller tenir à la
cour de France? Voilà un mauvais espoir et sinistre
220 CINQ^UIEME DISCOURS
augure pour moy ! je voy bien que je n'y entreray
jamais plus. » Et, ainsi qu'elle le présagea, ainsi
arriva.
Il fut dit et commandé à madame la duchesse
de Valentinois, sur rapprochement de la mort du
roy Henry et le peu d'espoir de sa santé, de se
retirer en son hostel de Paris et n'entrer plus en
sa chambre, autant pour ne le perturber en ses
cogitations à Dieu, que pour inimitié qu'aucuns
luy portoyent. Estant donques retirée, on luy en-
voya demander quelques bagues et joyaux qui
appartenoyent à la couronne, et les eust à rendre.
Elle demanda soudain à M. l'harangueur : « Com-
ment! le roy est-il mort? — Non, Madame, res-
pondit l'autre, mais il ne peut gueres tarder. —
Tant qu'il luy restera un doigt de vie donc, dit-
elle, je veux que mes ennemis sçachent que je ne
les crains point, et que je ne leur obeiray tant qu'il
sera vivant. Je suis encor invincible de courage.
Mais, lorsqu'il sera mort, je ne veux plus vivre
après luy; et toutes les amertumes qu'on me sçau-
roit donner ne me seront que douceurs au prix de
ma perte. Et par ainsi, mon roy vif ou mort, je
ne crains point mes ennemis. »
Cette dame monstra là une grande générosité de
cœur. Mais elle ne mourut pas, ce dira quelqu'un,
comme elle avoit dit. Elle ne laissa pourtant à sentir
plusieurs approches de la mort; et aussi que, plus-
tost que mourir, elle fît mieux de vouloir vivre,
pour monstrer à ses ennemis qu'elle ne lescraignoit
CINQ^UIEME DISCOURS 221
point, et que, les ayant veus d'autresfois bransler
et s'humilier sous elle, n'en vouloit faire de mesme
en leur endroit, et leur monstrer si bien teste et
visage qu'ils n'oser.ent jamais luy faire desplaisir.
Mais bien mieux : dans deux ans ils la recherchè-
rent plus que jamais, et rentrèrent en amitié,
comme je vis; ainsi qu'est la coustume des grands
et grandes, qui ont peu de tenue en leurs amitiez,
et s'accordent aisément en leurs différents, comme
larrons en foire , et s'ayment et se haïssent de
mesme, ce que nous autres petits ne faisons pas :
car, ou il faut battre, vanger et mourir, ou en
sortir par des accords bien pointillez, bien tamisez
et bien solennisez ; et si nous en trouvons mieux.
Il faut certes admirer cette dame de ce trait,
comme coustumierement ces grandes, qui traittent
les affaires d'Estat, font tousjours quelque chose
de plus que l'ordinaire des autres. Voilà pourquoy
le feu roy Henry troisiesme dernier, et la reine sa
mère, n'aymoient nullement les dames de leur cour
qui missent tant leur esprit et leur nez sur les
affaires d'Estat, ny s'en meslassent tant d'en parler,
ny de ce qui touchoit de prés en fait du royaume,
comme, disoyent Leurs Majestez, si ellesy avoyent
grand part et qu'elles en deussent estre héritières
ou du tout pour mieux qu'elles y rapportassent la
sueur de leur corps ou y menassent les mains,
comme les hommes, à le maintenir; mais elles, se
donnans du bon temps, causans sous la cheminée,
bien aises en leurs chaires, ou sur leurs oreillers, ou
222 CÎNQ^UIEME DISCOURS
sur leurs couchettes, devisoyent bien à leur aise du
monde et de Testât de la France, comme si elles
faisoyent tout. Sur quoy repartit une fois une dame
depar le monde, que je ne nommeray point, qui, se
meslant d'en dire sa râtelle e aux premiers Estats à
Blois, Leurs Majestez luy en firent faire la petite
reprimende, et qu'elle se meslast des affaires de sa
maison et à prier Dieu. Elle, qui estoit un peu trop
libre en paroles, respondit : « Du temps que les
princes, rois et grands seigneurs se croisoyentpour
aller outre mer et faire de si beaux exploicts en la
Terre-Sainte, certainement il n'estoit permis à nous
autres femmes que de prier, orer, faire vœux et
jusnes, afin que Dieu leur donnast bon voyage et
bon retour; mais, depuis que nous les voyons au-
jourd'huy ne faire pas plus que nous, il nous est
permis de parler de tout : car, prier Dieu pour
eux, à cause de quoy, puisqu'ils ne font pas mieux
que nous ? »
Cette parole, certes, fut par trop audacieuse : aussi
luy cuida-elle couster bon ; et eut une grande peine
d'obtenir reconciliation et pardon , qu'il fallut
qu'elle demandas! ; et, sans un sujet que je dirois
bien, elle recevoit l'affliction et punition toute en-
tière, et bien outrageuse.
Il ne fait pas bon quelquesfois dire un bon
mot comme celuy, quand il vient à la bouche;
ainsi que j'ay veu plusieurs personnes qui ne s'y
sçauroient commander : car elles sont plus débor-
dées qu'un cheval de Barbarie, et, trouvant un
CINQ^UIEME DISCOURS 223
bon brocard dans leur bouche, il faut qu'elles le
crachent, sans espargner ny parens , ny amis, ny
grands. J'en ay cogneu force à nostre cour de telle
humeur, et les appelloit-on marquis et marquises
de belh-bouche ; mais aussi bien souvent s'en trou-
voyent du guet.
J Or, comme j'ay déduit la générosité d'au-
cunes dames en aucuns beaux faits de leurs vies ,
j'en veux descrire aucunes qu'elles ont monstre en
leur mort. Et , sans emprunter aucun exemple de
l'antiquité , je ne veux alléguer que cettui-cy de
feue madame la régente, mère du grand roy Fran-
çois. Ce fut en son temps, ainsi que j'ay ouy dire
à aucuns et aucunes qui l'ont veue et cogneue ,
une très-belle dame, et fort mondaine aussi, et fut
cela, mesme en son aage décroissant. Et pour ce,
quand on luy parloit de la mort, en haïssoit fort le
discours , jusques aux prescheurs qui en parloient
en leurs sermons : « Comme (ce disoit-elle) qu'on
ne sceust pas assez qu'on devoit tous mourir un
jour; et que tels prescheurs, quand ilz ne sçavoyent
dire autre chose en leurs sermons, et qu'ils estoyent
au bout de leurs leçons, comme gens ignares, se
mesloyent sur cette mort. » La feue royne de Na-
varre , sa fille , n'aymoit non plus ces chansons et
prédications mortuaires que sa mère.
Estant donc venue la fin destinée, et gisant dans
son lict, trois jours avant que mourir, elle vid
la nuict sa chambre toute en clarté , qui estoit
transpercée par la vitre. Elle se courrouça à ses
224 CINQ^UIEME DISCOURS
femmes de chambre qui la veilloyent, pourquoy
elles faisoyent un feu si ardent et esclairant. Elles
luy respondirent qu'il n'y avoit qu'un peu de feu,
et que c'estoit la lune qui ainsi esclairoit et don-
noit telle lueur. « Comment! dit-elle, nous en
sommes au bas; elle n'a garde d'esclairer à cette
heure. » Et soudain, faisant ouvrir son rideau, elle
vid une cornette qui esclairoit ainsi droit sur son
lit. « Ha! dit-elle, voilà un signe qui ne paroist
pas pour personnes de basse qualité. Dieu le fait
paroistre pour nous autres grands et grandes.
Refermez la fenestre: c'est une cornette qui m'an-
nonce la mort; il se faut donc préparer.» Et le len-
demain au matin, ayant envoyé quérir son confesseur,
fit tout le devoir de bonne chrestienne, encore que
les médecins l'asseurassent qu'elle n'estoitpaslà. « Si
je n'avois veu (dit-elle) le signe de ma mort , je le
croirois , car je ne me sens point si bas » ; et leur
conta à tous l'apparition de sa comette. Et puis ^
au bout de trois jours^ quittant les songes du monde,
trespassa.
Je ne sçaurois croire autrement que les grandes
dames, et celles qui sont belles, jeunes et hon-
nestes, n'ayent plus de grands regrets de laisser le
monde que les autres; et toutesfois j'en voys nom-
mer aucunes qui ne s'en sont point souciées, et vo-
lontairement ont receu la mort, bien que sur le coup
i'annonciation leur soit fort amere et odieuse.
5 La feue comtesse de La Rochefoucault , de la
maison de Roye, à mon gré et à d'autres, une des
CINQUIEME DISCOURS 225
belles et agréables femmes de Fiance, ainsi que son
ministre (car elle estoit de la religion, comme cha-
cun sçait), lui annonç(e)a qu'il ne falloit plus songer
au monde, et que son heure estoit venue, et qu'il s'en
falloit aller à Dieu, qui l'appelloit , et qu'il falloit
quitter les mondanitez, qui n'estoyent rien au prix
de la béatitude du ciel, elle luy dit : « Cela est
bon, monsieur le ministre, à dire à celles qui n'ont
grand contentement et plaisir en cettui-cy, et qui
sont sur le bord de leur fosse; mais à moy, qui ne
suis que sur la verdeur de mon aage et de mon
plaisir en cettui-cy, et de ma beauté, vostre sen-
tence m'est fort amere. Et , d'autant que j'ay
plus de sujet de m'aymer en ce monde qu'en tout
autre, et regretter à mourir, je vous veux monstrer
en cela ma générosité , et vous asseurer que je
prens la mort à gré , comme la plus vile , abjette ,
basse, laide et vieille qui fust au monde. » Et puis,
s'estant mis à chanter des pseaumes, de grand dé-
votion, elle mourut.
5 Madame d'Espernon, de la maison de Can-
dale , fut assaillie d'une maladi^si soudaine qu'en
moins de six ou sept jours elle fut emportée. Avant
que mourir, elle tenta tous les moyens qu'elle put
pour se guérir, implorant le secours des hommes et
de Dieu par ses prières tres-devotes , et de tous
ses amis, serviteurs et servantes, luy faschant fort
qu'elle vînt à mourir en si jeune aage; mais, après
qu'on luy eut remonstré qu'il falloit à bon escient
s'en aller à Dieu, et qu'il n'y avoit plus aucun re-
Brantàine. II. 29
226 CINQ^UIÉME DISCOURS
mede : « Est-il vray? dit-elle; laissez-moy faire;
je vay donc bravement me résoudre. » Et usa de
ces mesmes et propres mots. Et, en haussant ses
beaux bras blancs, et en touchant les deux mains
l'une contre l'autre, et puis, d'un visage franc et
d'un cœur asseuré , se présenta à prendre la mort
en patience , et de quitter le monde, qu'elle com-
mença fort à abhorrer par des paroles tres-chres-
tiennes; et puis mourut en tres-devote et bonne
chrestienne , en l'aage de vingt-six ans, et l'une
des belles et agréables dames de son temps.
J On dit qu'il n'est pas beau de louer les siens,
mais aussi une belle vérité ne se doit pas celer; et
c'est pourquoy je veux icy louer madame d'Aube-
terre, maniepce, fille de mon frère aisné, laquelle,
ceux qui l'ont veue à la cour ou ailleurs, diront bien
avec moy avoir esté l'une des belles et accomplies
dames qu'on eust sceu voir, autant pour le corps
que pour l'ame. Le corps se monstroit fort à plain
et extérieurement ce qu'il estoit, par son beau et
agréable visage , sa taille , sa façon et sa grâce ;
pour l'esprit, il estoit fort divin, et n'ignoroit rien;
sa parole fort propre, naïve, sans fard, et qui cou-
loit de sa bouche fort agréablement, fût pour la
chose sérieuse, fût pour la rencontre joyeuse. Je
n'ay jamais veu femme, selon mon opinion, plus res-
semblante nostre reine de France Marguerite, et d'air
et de ses perfections, qu'elle : aussi l'ouis-je dire
une fois à la reine mère. C'est un mot assez suffi-
sant pour ne la louer davantage; aussi je n'en di-
CINQ^UIEME DISCOURS 227
ray pas plus : ceux qui l'ont veuc ne me donneront,
(je m'asseure) nul dementy sur cette louange. Elle
vint à estre tout à coup assaillie d'une maladie qui
ne se put point bien cognoistre des médecins, qui
y perdirent leur latin; mais pourtant elle avoit opi-
nion d'estre empoisonnée; je ne diray point de
quel endroit; mais Dieu vangera tout, et, possible,
les hommes. Elle fit tout ce qu'elle put pour se
faire secourir, non qu'elle se souciast, disoit-ellc,
de mourir : car, dez la perte de son mary, elle en
avoit perdu toute crainte, encore qu'il ne fust certes
nullement égal à elle, ny ne la mcrilast, ny les
belles larmes non plus qu'elle jettoit de ses beaux
yeux après sa mort; mais eust-elle fort désiré de
vivre encore un peu pour l'amour de sa fille, qu'elle
laissoit tendrette; tant cette occasion estoit belle
et bonne , et les regrets d'un mary, sot faschcux,
sont fort vains et légers.
Elle, voyant donc qu'il n'y avoit plus de remède,
et sentant son poulx, qu'elle-mesme tastoit et cog-
noissoit fringant (car elle s'entcndoit à tout), deux
jours avant qu'elle mourust, envoya quérir sa fille,
el lui fit une exhortation très-belle et saincte , et
telle que , possible, ne sçay-je mère qui la pust
faire plus belle ny mieux représentée, autant pour
l'instruire à bien vivre au monde, que pour acquérir
la grâce de Dieu; et puis luy donna sa bénédic-
tion , luy commandant de ne troubler plus par ses
larmes son aise et repos qu'elle alloit prendre avec
Dieu. Puis elle demanda son miroir, et, s'i arre-
220 CINQ^UIEME DISCOURS
gardant très-fixement : « Ah! dit-elle, traistre vi-
sage à ma maladie, pour laquelle tu n'as changé
(car elle le monstroit aussi beau que jamais), mais
bientost la mort qui s'approche en aura la raison,
qui te rendra pourry et mangé devers. » Elle avoit
aussi mis la pluspart de ses bagues en ses doigts;
et les regardant, et sa main et tout, qui estoit très-
belle : « Voilà, dit-elle, une mondanité que j'ay
bien ajmée d'autresfois ; mais, à cette heure, de
bon cœur je la laisse , pour me parer en l'autre
monde d'une autre plus belle parure. » Et, voyant
ses sœurs qui pleuroyent à toute outrance auprès
d'elle, elle les consola et pria de vouloir prendre
en gré avec elle ce qu'il plaisoit à Dieu luy envoj-'er ;
et que, s'estans si fort aimées tousjours, elles
n'eussent regret à ce qui luy apportoit de la joye et
contentement; et que l'amitié qu'elle leur avoit
tousjours portée dureroit éternellement avec elles,
les priant d'en faire le semblable, et mesmes à
l'endroit de sa fille; et, les voyant renforcer leurs
pleurs, elle leur dit encore : « Mes sœurs, si vous
m'aymez , pourquoy ne vous rejouissez-vous avec
moy de l'eschange que je fais d'une vie misérable
avec une tres-heureuse? Mon ame , lassée de tant
de travaux, désire en estre déliée, et estre en lieu
de repos avec Jesus-Christ mon sauveur; et vous
la souhaittez encor attachée à ce chetif corps,
qui n'est que sa prison, et non son domicilie. Je
vous supplie donc, mes sœurs, ne vous affliger da-
vantage. »
CINQ.UIEME DISCOURS 229
Tant d'autres pareils propos beaux et chrestiens
dit-elle, qu'il n'y a si grand docteur qui en eust pu
proférer de plus beaux, lesquels je coule. Surtout
elle demandoit fort à voir madame de Bourdeille, sa
mère, qu'elle avoit prié ses sœurs d'envoyer quérir,
et souvent leur disoit : « Mon Dieu ! mes sœurs,
madame de Bourdeille ne vient-elle point? Ha ! que
vos courriers sont longs! ils ne sont pas guieres
bons pour faire diligences grandes et postes. » Elle
y alla, mais ne la put voir en vie, car elle estoit
morte une heure devant.
Elle me demanda fort aussi, qu'elle appelloit
tousjours son cher oncle; et nous envoya le der-
nier adieu. Elle pria de faire ouvrir son corps après
sa mort, ce" qu'elle avoit tousjours fort détesté,
afin, dit-elle à ses sœurs, que, la cause de sa mort
estant plus à plain descouverte, cela leur fust une
occasion, et à sa fille, de conserver et prendre
garde à leurs vies : «car, dit-elle, il faut que j'ad-
voue que je soupçonne d'avoir esté empoisonnée
depuis cinq ans avec mon oncle de Branthome et
ma sœur la comtesse de Durtal; mais je pris le
plus gros morceau : non toutesfois que je vueille
charger personne, craignant que ce soit à faux et
que mon ame en demeure chargée, laquelle je
désire estre vuide de tout blasme, rancune, inimi-
tié et péché, pour voler droit à Dieu son créa-
teur. »
Je n'aurois jamais fait si je disois tout : car ses
devis furent grands et longs, et point se ressentant
23o CINQUIEME DISCOURS
d'un corps fany, esprit foible et decadant. Sur ce,
il y eut un gentilhomme son voisin, qui disoit bien
le mot, et avoit ajmé à causer et bouffonner avec
luy, qui se présenta, elle luy dit : « Ha! mon
amy ! il se faut rendre à ce coup, et langue et da-
gue, et tout. Adieu! »
Son médecin et ses sœurs luy vouloyent faire
prendre quelque remède cordial; elle les pria de
ne luy en donner point : « Car ils ne serviroyent
rien plus, dit-elle, qu'à prolonger ma peine et
retarder mon repos. » Et pria qu'on la laissât; et
souvent l'oyoit-on dire : « Mon Dieu, que la
mort est douce! et qui l'eust jamais pensé? » Et
puis, peu à peu, rendant ses esprits fort douce-
ment, ferma les yeux, sans faire aucuns signes
hydeux et affreux que la mort produit sur cepoinct
à plusieurs.
Madame de Bourdeille, sa mère, ne tarda guie-
res à la suivre : car la melancholie qu'elle conceut
de cette honneste fille l'emporta dans dix-huict
mois, ayant esté malade sept mois, ores bien en
espoir de guérir et ores en desespoir; et dez le
commencement elle dit qu'elle n'en reschapperoit
jamais, n'appréhendant nullement la mort, ne
priant jamais Dieu de luy donner vie ne santé,
mais patience en son mal, et surtout qu'il luy
envoyast une mort douce et point aspre et lan-
goureuse; ce qui fut : car, ainsi que nous ne la
pensions qu'esvanouie, elle rendit l'ame si douce-
ment qu'on ne luy vit jamais remuer ny pied, ny
CINQ^UIÉME DISCOURS 23l
bras, ny jambe, nj faire aucun regard affreux ny
hydeux; mais, contournant ses yeux aussi beaux
que jamais, trespassa, et resta morte aussi belle
qu'elle avoit esté vivante en sa perfection.
Grand dommage, certes, d'elle et de ces belles
dames qui meurent ainsi en leurs beaux ans! si ce
n'est que je croy que le ciel, ne se contentant de
ses beaux flambeaux qui dez la création du monde
ornent sa voûte, veut par elles avoir outre plus
des astres nouveaux pour nous illuminer, comme
elles ont fait estans vives, de leurs beaux yeux.
5 Cette-cy, et non plus :
Vous avez eu ces jours passez madame de Ba-
lagny, vraye sœur en tout de ce brave Bussi.
Quand Cambray fut assiégé, elle y fît tout ce
qu'elle put, d'un cœur brave et généreux, pour
en défendre la prise; mais, après s'estre en vain
esvertuée par toutes sortes de défenses qu'elle y
put apporter, voyant que c'estoit fait, et que la
ville estoit en la puissance de l'ennemy, et la citta-
delle s'en alloit de mesme, ne pouvant supporter
ce grand creve-cœur de déloger de sa princi-
pautéj car son mary et elle se faisoyent appeller
prince et princesse de Cambray et Cambresis;
tiltre qu'on trouvoit parmy plusieurs nations odieux
et trop audacieux, veu leurs qualitez de simples
gentilshommes, mourut et creva de tristesse dans
la place d'honneur. Aucuns disent qu'elle-mesme
se donna la mort, qu'on trouvoit pourtant estre
acte plustost payen que chrestien. Tant y a qu'il
232 CINQUIEME DISCOURS
la faut louer de sa grande générosité en cela et de
la remonstrance qu'elle fit à son maiy à l'heure de
sa mort, quand elle luy dit : « Que te reste-il,
Balagny, de plus vivre après ta désolée infortune,
pour servir de risée et de spectacle au monde, qui
te monstrera au doigt, sortant d'une si grande
gloire où tu t'es veu haut eslevé, en une basse
fortune que je te voy préparée si tu ne fais comme
moy? Appren donc de moy à bien mourir et ne
survivre ton malheur et ta dérision. » C'est un
grand cas quand une femme nous apprend à vivre
et mourir. A quoy il ne voulut obtempérer ny
croire- : car, au bout de sept ou huict mois, ou-
bliant la mémoire prestement de celte brave
femme, il se remaria avec la sœur de madame de
Monceaux, belle certes et honneste damoiselle;
monstrant à plusieurs qu'enfin il n'y a que vivre,
en quelque façon que ce soit.
Certes la vie est bonne et douce; mais aussi
une mort généreuse est fort à louer, comme cette-
cy de cette dame, laquelle, si elle est morte de
tristesse, est bien contre le naturel d'aucunes
dames, (ju'on dit estre contraires au naturel des
hommes : car elles meurent de joye et en joye.
5 Je n'en allegueray que ce seul conte de ma-
demoiselle de Limueil l'aisnéc, qui mourut à la
cour estant l'une des filles de la reine. Durant sa
maladie, dont elle trespassa, jamais le bec ne luy
cessa, ains causa tousjours : car elle estoit fort
grand parleuse, brocardeuse et très-bien et fort
CINQ^UIÉME DISCOURS 233
à propos, et très-belle avec cela. Quand l'heure de
sa mort fut venue, elle fît venir à soy son vallet,
ainsi que les filles de la cour en ont chacune le
leur; et s'appelloit Jullien,qui jouoit très-bien du
violon : « Julien, luj dit-elle, prenez vostre violon
et sonnez-moy tousjours jusques à ce que me
voyez morte, car je m'y en vois, la Dcfaiitc des
Suisses, et le mieux que vous pourrés; et, quand
vous serez sur le mot Tout est perdu, sonnez-le par
quatre ou cinq fois, le plus piteusement que vous
pourrez ^) ; ce que fît l'autre, et elle-mesme luy
aidoit de la voix; et, quand ce vint à Tout est
perdu, elle le recita par deux fois; et, se tournant
de l'autre costé du chevet, elle dit à ses compa-
gnes : « Tout est perdu à ce coup, et à bon es-
cient » ; et ainsi deceda. Voilà une mort joyeuse
et plaisante. Je tiens ce conte de deux de ses
compagnes dignes de foy, qui virent jouer le mys-
tère.
y S'il y a ainsi aucunes femmes qui meurent de
joye ou joyeusement, il se trouve bien des hommes
qui en ont fait de mesmes; comme nous lisons de
ce grand pape Léon, qui mourut de joye et liesse,
quand il vid'nous autres François chassez du tout
hors de Testât de Milan, tant il nous portoit de
haine !
f Feu M. le grand prieur de Lorraine prit une
fois envie d'envoyer en cours vers le Levant deux
de ses galleres sous la charge du capitaine Beau-
lieu, l'un de ses lieutenans, dont je parle ailleurs.
3o
234 CINQUIEME DISCOURS
Ce Beaulieu y alla fort bien, car il estoit brave et
vaillant. Quand il fut vers l'Archipelage, il ren-
contra une grand nau venetienne bien armée et bien
riche; iU'acommença àla'canonner, mais la nau luy
rendit bien sa salve : car de la première voilée elle
luy emporta deux de ses bancs avec leurs forçats
tout net, et son lieutenant, qui s'appelloit le capi-
taine Panier, bon compagnon, qui pourtant eut le
loisir de dire ce seul mot, et puis mourir : «Adieu,
paniers, vendanges sont faites!» Sa mort fut plai-
sante par ce bon mot. Ce fut à M. de Beaulieu
à se retirer, car cette nau estoit pour luy invin-
cible.
5 La première année que le roy Charles neu-
fiesme fut roy, lors de l'edict de juillet, qu'il se
tenoit aux faux[bourgs] de Sainct-Germain, nous
vismes pendre un enfant de la matte là mesme, qui
avoit dérobé six vaisselles d'argent de la cuisine de
M. le prince de La Roche-sur-Ion. Quand il fut
sur l'eschelle, il pria le bourreau de luy donner un
peu de temps de parler, et se mit sur le devis, en
remonstrant au peuple qu'on le faisoit mourir à
tort : « car, disoit-il, je n'ay point jamais exercé
mes larcins sur de pauvres gens, gueux et rnallo-
trus, mais sur les princes et les grands, qui sont
plus grands larrons que nous, et qui nous pillent
tous les jours; et n'est que bien fait de repeter
d'eux ce qu'ils nous derobbent et nous prennent. »
Tant d'autres sornettes dit-il plaisantes, qui se-
royent superflues de raconter, sinon que le prestre
CINQ^UIÉME DISCOURS 235
qui estoit monté sur le haut de l'eschelle avec luy,
et s'estoit tourné vers le peuple, comme on void,
il luy escria : « Messieurs, ce pauvre patient se re-
commande à vos bonnes prières; nous dirons tous
pour luy et son ame un Pater nostcr et un Ave
Maria, et chanterons Salve » , et que le peuple luy
respondoit, ledict patient baissa la teste, et, re-
gardant ledict preslre, commença à brailler comme
un veau, et se mocqua du prestre fort plaisamment,
puis luy donna du pied et l'envoya du haut de
l'eschelle en bas, si grand saut qu'il s'en rompit
une jambe. « Ha! monsieur le prestre, pardieu,
dit-il, je sçavois bien que jevous deslogerois delà.
Il en a, le gallant ! » L'oyant plaindre, et se mit à
rire à belle gorge déployée, et puis luy-mesme se
jetta au vent. Jevous jure qu'à la cour on rit bien
de ce trait, bien que le pauvre prestre se fust fait
grand mal. Voilà une mort, certes, non guieres
triste.
5 Feu M. d'Estampes avoit un fou qui s'ap-
pelloit Colin, fort plaisant. Quand sa mort s'ap-
procha, M. d'Estampes demanda comment se por-
toit Colin. On luy dit : « Pauvrement, Monsieur;
il s'en va mourir, car il ne veut rien prendre. —
Tenez, dit M. d'Estampes, qui lors estoit à table,
portez-luy ce potage, et luy dites que, s'il ne prend
quelque chose pour l'amour de moy, que je ne
l'aymeray jamais, car on m'a dit qu'il ne veut rien
prendre. » L'on fît l'ambassade à Colin, qui, ayant
la mort entre les dents, fît response : « Et qui
236 CINQ^UIÉME DISCOURS
sont-ils ceux-là qui ont dit à monsieur que je ne
voulois rien prendre? » Et, estant entourné d'un
million de mouches, car c'estoit en esté, il se mit
à jouer de la main à l'entour d'elles, comme l'on
voit les pages et laquais et autres jeunes enfans
après elles; et, en ayant pris deux au coup, en fai-
sant le petit tour de la main qu'on se peut mieux
représenter que de l'escrire : « Dittes à monsieur (dit-
il) voylà que j'ay pris pour l'amour de luj, et que
je m'en vais au royaume des mouches. » Et, se
tournant de l'autre costé, le gallant trespassa.
J Sur ce, j'ay ouy dire à aucuns philosophes que
volontiers aucunes personnes se souvienent à leur
trépas des choses qu'ils ont plus aymées, et les re-
cordent, comme les gentilshommes, les gens de
guerre, les chasseurs et les artisans, bref de tous
quasi en leur profession, mourant ilz en causent
quelque mot : cela s'est veu et se voit souvent.
Les femmes de mesme en disent aussi quelque
ratellée, jusques aux putains; ainsi que j'ay ouy
parler d'une dame d'assez bonne qualité, qui à sa
mort triompha de debagouller de ses amours, pail-
lardises et gentillesses passées : si bien qu'elle en
dit plus que le monde n'en sçavoit, bien que l'on
la soupçonnast fort putain. Possible pouvoit-elle
faire cette descouverte, ou en resvant, ou que la
vérité, qui ne se peut celer, l'y contraignist, ou
qu'elle voulusten descharger sa conscience; comme
de vray, en saine conscience et repentance, elle
en confessa aucuns en demandant pardon, et les
CINQJJIEME DISCOURS 2^7
especifioit et cottoit en marge, que l'on y voyoit
tout à clair. « Vrayment, ce dit quelqu'un, elle
estoit bien à loisir d'aller sur cette heure nettoyer
sa conscience d'un tel ballay d'escandale, par si
grande speciauté ! »
f J'ay ouy parler d'une dame qui, fort sujette à
songer et resver toutes les nuits, qu'elle disoit la
nuict tout ce qu'elle faisoit le jour, si bien qu'elle-
mesme s'escandalisa à l'endroit de son mary, qui
se mit à l'ouïr parler, gazouiller et prendre pied à
ses songes et resveries, dont après mal en prit
à elle.
5 II n'y a pas longtemps qu'un gentilhomme de
par le monde, en une province que je ne nomme-
ray point, en mourant en fit de mesme, et publia
ses amours et paillardises, et spécifia les dames et
damoiselles avec lesquelles il avoit eu à faire, et en
quels lieux et rendez-vous, et de quelles façons,
dont il s'en confessoit tout haut, et en demandoit
pardon à Dieu devant tout le monde. Cettuy-là
faisoit pis que la femme, car elle ne faisoit que
s'escandaliser, et ledict gentilhomme escandalisoit
plusieurs femmes. Voilà de bons gallants et gal-
lantes!
5 On dit que les avaritieux et avaritieuses ont
aussi cette humeur de songer fort, à leur mort,
en leurs trésors d'escus, les ayant tousjours en la
bouche. Il y a environ quarante ans qu'une dame
de Mortemar, l'une des plus riches dames du
Poictou, et des plus pecunieuses, et après venant à
38
CINQ^UIEME DISCOURS
mourir, ne songeant qu'à ses escus qui estojent en
son cabinet, et tant qu''elle fut malade se levoit
vingt fois le jour à aller voir son trésor. Enfin,
s' approchant fort de la mort et que le prestre Tex-
hortoit à la vie éternelle, elle ne disoit autre chose
et ne respondoit que: « Donnez-moj ma cotte!
Donnez-moy ma cotte ! les meschans me desrob-
bent! » ne songeant qu'à se lever pour aller voir
son cabinet, comme elle faisoit les efforts, si elle
eust pu la bonne dame; et ainsi elle mourut.
Je me suis sur la fin un peu entrelassé de mon
premier discours; mais prenez le cas qu'après la
moralité et la tragédie vient la farce. Sur ce, je
fais fin.
NOTES
DEUXIEME DISCOURS
Page I, ligne 3. Le titre primitif de ce chapitre dans le
projet de Brantôme était : «. Le 2° [chapitre], sçavoir, qui
(c est la plus belle chose en amour, la plus plaisante, et
« qui contente le plus, ou la veue, ou la parole, ou l'at-
« touchement. »
2, I. E. Pasquier, Œuvres, in-fol., 1728, t. II, p. 38.
« Lequel des deux, dit Pasquier, apporte plus de conten-
te tement à un amant, sentir et toucher sa mie sans parler
« à elle, ou la voir et parler à elle sans la toucher ? »
Dans le dialogue d'entre Thibaut de Champagne et le
comte de Soissons, Thibaut était pour le parler.
— 5. Brantôme était excusable de ne point connaître
les œuvres de Thibaut, dont la première édition est de
I 742^ en 2 vol. in-8'^.
— 3 G. Isabeau de Bavière?
3, 14. Brantôme vise ici la reine Catherine de Médicis
et ses favoris.
4, 2. Voy. Plutarque, De S/o/corum repugnantiis, c. xxi.
— 9. Id., Demetrius, cap. xxvii. Seulement Brantôme
confond; la femme en cause était Thônis.
— 29. Nouvelle XLIII°.
240 NOTES
P. 5,1. 2. Le touret de nez était une espèce de barbe de
masque, que les dames mettaient par les temps froids, et
qui s'attachait au chaperon en dessous des yeux : on appe-
lait ce masque un coffln à roupies, par dérision. Après
Charles IX vint la mode du masque entier, que l'on ôtait
pour saluer, comme nous l'apprend Vecellio {Degli habiti
antichi et moderni, Yenhe^ I 5^0, in-4<*, p. 269):«Quando
n vedono qualche parente, si lasciano vedere per salutarlo,
« et poi si ricuoprono. w
7, 16. Sur La Chasteigneraie, voyez la note du vol, I,
pag. io3, lig. 12.
8, 22. C'était François de Compeys, sieur de Gruffy,
qui vendit tous ses biens en i5i8 pour s'expatrier. (Voyez
Costa de Beauregard , Familles historiques de Savoie ,
Chambéry, 1844, in-4'5.) Il était écuyer de l'écurie de
François P'". Il a son portrait à Versailles, n** 2047 du
musée.
10, 2. C'est non pas trois, mais quatre S, que doit
porter avec lui le parfait amant, selon Luis Barahona [Lagri-
mas de Angelica, canto IV), et ces quatre S signifient :
SABIO^ SOLO, SOLICITO ET SEGRETO
Cette mode de sigles était fort en usage dans l'Espagne du
XVI® siècle. Voy. Cervantes, Don Quichotte, chap. xxxiv
{le Curieux malapisé).
i3, 8. Cette histoire était populaire à Paris; elle a été
amplifiée et agrémentée dans un drame célèbre, et mise au
compte de Marguerite de Bourgogne. N'était-ce point Isa-
beau de Bavière?
t5, i5. Plutarque, Antoine, chap. xxxii,
— 21. Pline, liv. XXI, chap. m. Traduction de Du-
pinet, Lyon, i562, in-f°, t. II, p. i54 : « Cleopatra fit
« un chappeau de fleurs pour Marc-Antoine , ayant au
« préalable empoisonné tous les boutz des fleurs qui y es-
« toyent. »
16, 2 5. Les noms sont terriblement maltraités par le
scribe : Tortale, c'est Tertule ; Lerontife, c'est Terentile ; Sa-
NOTES
241
lure Litiseme c'est Salvit Titistnk; deux fois de suite le co-
piste prend le T de Brantôme pour un L. Les noms réels
de ces femmes étaient, dans le texte de Suétone (Octave-
Auguste, cap. LXix^ : Tertulla, Terentilia, Rufilla et Salvia
Titisenia.
P. 17, 1. 14. Tite-Live, lib. XXX, cap. xv. Appien, De
rebas punicis, XXVII.
— 26. Joachim du Bellay, Œuvres poétiques, 1597,
in-fol., f° 449 v°.
19, 28. Lucien, Amours, XV.
23, 18. Marguerite, femme de Henri IV, dont la vieille
reine Catherine affirmait l'élégance quand elle lui disait un
jour : (c En quelque part que vous alliez, la cour les
« (modes) prendra de vous, et non vous de la cour. »
(Brantôme, Eloge de la reine Marguerite. ) .
— 29. Brantôme veut ici parler du duc d'Anjou.
24, 9. Pline parle de cette Hélène de Zeuxis : « En-
« cores y a-il es portiques et galeries de Philippus qui
« sont à Rome, une Hélène de la facture de Zeuxis. «
(Traduction de Dupinet, t. II, p. 643.)
26, 2 5. Ronsard, Œuvres, édit. de 1584, in-fol., p. 112.
C'est une pièce adressée au fameux peintre Clouet, dit
Janet, dans laquelle le poète célébrai sa belle. Cette pièce
a d'ailleurs plus d'un point de rapport avec le présent
chapitre des Dames.
27, 17. Marot avait arrangé ce proverbe espagnol en
quatrain, et du temps de la Ligue on disait de l'infante
d'Espagne, d'après lui :
Pourtant, si je suis bruneite ,
Amy, n'en prenez esmoy.
Car autant aymer souhaitte
Qu'une plus blanche que moy.
(^Satyre Ménippée, édit. de 171 i, t. I, p. 344.
Tiré de Marot.]
•28, i3. Raymond Lulle était originaire de Majorque,
Brantôme. II, 3 i
242 NOTES
et vivait sur la fin du XIIF siècle : il passa pour magicien
chez certains auteurs. L'histoire que raconte Brantôme est
effectivement rapportée dans les Opuscula de Charles Bo-
velles, fol. XXXIV de l'édit. in-40 de i52i. Voici le pas-
sage : « Advocato ergo... in colloquium Rasmundo, eoque
n in cubiculum introducto, illi extemplo pectus (ut can-
« crino erat exesum morbo atque teterrimo odore sqiiale-
« bat) nudare haudquaquam erubuit, » etc.
P. 29, 1. II. Arnauld de Villeneuve, célèbre alchimiste
de la fin du XIIF siècle, mort dans un naufrage, en i3i3.
— 24. Oldrade, jurisconsulte, né à Lodi au XIIP siècle;
son Codex de falsa moneta n'est pas connu.
3i, i3. L'évêque de Sisteron était Aimeric de Roche-
chouart (i 545-1 582); il succédait à son oncle Albin de
Rochechouart.^Quant à la très-grande, il y aurait à choisir
entre une douzaine de princesses.
34, 7. Pline, XXXIII, cap. iv. Brantôme se trompe de
temple, comme le montrera le passage de la traduction de
Pline par Dupinet, t. II, p. 576 : «Au temple de Minerve
(c qui est à Lyndos, ville des Rhodiens, y a une couppe
•c d'or blanc que la princesse Hélène y dédia, et y a des
<c historiens qui dient icelle avoir esté faite à la mesure du
K tetin de ladite princesse. »
3 5j 17. Brantôme veut parler ici de Françoise Babou de
La Bourdaisière, massacrée à Issoire, et sur le cadavre de
laquelle on fit de singulières découvertes, «au rapport d'un
« homme d'honneur amy très confident de la maison
« d'Estrées. » Voyez sur ce sujet délicat les Observations
sur Alcandre et sa clef, t. I du Journal de Henri III, édit.
de 1720, p. 275.
36, 2 5. Ne serait-ce point l'histoire de Henri III et de
la duchesse de Montpensier? La chronique rapporte qu'ayant
trouvé cette princesse « difforme sous le linge, il l'avoit
<c mesprisée jusques à lui cracher sur le corps. » De plus,
Henri avait divulgué partout l'aventure, ce qui fit de la
princesse sa plus mortelle ennemie. Voyez p. 209 et la note
ci-aprèâ.
NOTES 243
P. 37,1. 21. Elisabeth d'Angleterre. Il fallait que Sixte V
ne connût point ce fait pour se permettre le souhait qu'il fai-
sait au sujet de la reine. {Confession de Sancy, t. II, p. 49
de redit, de 1720.) La reine Caiherine de Médicis non plus
ne savait rien, puisque pour faire épouser d'Alençon à Eli-
sabeth, elle leur promettait d'emblée quatre ou cinq en-
fants. (Nevers, Mémoires, I, 5 3 5.)
38, 2. La mort de M. de Randan place cette anecdote
avant i562. Ces personnages étaient : Charles de La Roche-
foucault, comte de Randan, tué à Rouen, en i562 ;
Jacques de Savoie, duc de Nemours, marié à la veuve du
duc de Guise; François de Vendôme, vidame de Chartres,
mort en i563; Melchior des Prés, sieur de Montpezat?
sénéchal de Poitou ; René d'Anglure, de Givry,tué à Dreux,
en i562 ; et François de Hangest, sieur de Genlis, mort
de la rage, à Strasbourg, en 1569.
41, 3o. Claude Blosset, dame de Torcy, fîlle de Jean
Blosset et d'Anne de Cugnac. Elle épousa en i553 Louis
de Montberon, baron de Fontaines et Chalandray, gentil-
homme de la chambre. La belle Torcy, comme on l'appe-
lait, avait été donnée à la reine Eléonor par M™° de Cana-
ples, l'ennemie de M'"° d'Étampes.
42, 8. Hubert Thomas, Annales de vita Friderici H
Palatini (Francfort, 1624), ne laisse rien deviner de cette
exagération du buste chez la reine Eléonor, alors promise
au palatin Frédéric, et dont il détaille les perfections.
48, 28. Suétone, Octave-Auguste, cap. lxix : « Qui
a maires familias et adultas ztate virgines denudarent atque
« perspicerent, tanquam Thoranio mangone vendente. »
49, 27. En I 573.
5i, 5. Ce passage est obscur, sans doute par l'inadver-
tance du scribe. Je crois qu'il faut lire : « Une dame de
par le monde... estoit fort aymée... d'une très grande
princesse [laquelle] estoit dans le lict, » etc. Cependant n'y
aurait-il pas tout un membre de phrase sauté, dans lequel
Brantôme expliquerait que la princesse avait fait autrefois
le coup à la fille? La suite du récit semblerait l'indiquer,
244 NOTES
et c'est ce qui nous a empêché de corriger le texte en cet
endroit. Quant aux personnages en scène, ils sont proba-
blement Bussy d'Amboise et Marguerite de Valois.
P. 53,1.7. Ce roi était Henri II, et la grande dame veuve,
la duchesse de Valentinois. On crut à un charme, comme
le dit ici Brantôme. — « On m'a dit que le roy son père fut
« par M"""^ de Valentinois ensorcelé de mesme, » affirme
l'auteur du Divorce satyrique, en parlant de la reine de
Navarre. — La suite de l'historiette racontée par Bran-
tôme contredit singulièrement les pamphlets du temps, qui
accusaient la reine Catherine d'avoir gagné « la grande
(c seneschale, depuis duchesse de Valentinois, afin qu'icelle
« l'entretinst en grâce avec M. le dauphin (Henri II} son
" mary, et n'eut honte d'estre comme maquerelle pour
« parvenir à son intention. »
5^, 26. Il ne nous est pas prouvé que cette grandissime
fut Catheiine de Médicis, surtout par la fin de l'histoire;
cependant Brantôme, qui ne l'aimait guère, pourrait bien
jouer ici à l'ambiguïté et laisser soupçonner qu'il a voulu
parler d'elle. Notre supposition deviendra plus plausible
si l'on se rappelle que Catherine se faisait servir par ses
filles à demi nues. Voyez à ce sujet le Journal d'Henri Ul,
au i5 mai iSyy, pour le festin donné à Chenonceaux,
dans lequel M™^^ de Retz et de Sauves firent nues leur
service ordinaire.
5 5, 29. En condition qu'elle en engroissa... est corrigé
dans le ms. Dupuy par en telle façon.
56, 29. Pic de La Mirandole, Opéra omnia, t. II de
l'édition in-fol., Paris, J. Petit, i5i7, liv. III, chap. xxii,
Disputationes adversus astrologos.
5 7,, '9. Ferdinand- François d'Avalos, marquis de Pes-
caire, mort en 1571.
59, 20. Josèphe, Antiquités judaïques, liv. XV,
chap. vu.
60, II. Plutarque, Alexandre, chap. xxxix. Plutarque
emploie le mot plus énergique « tourment des veux w.
NOTES 2^5
P. 6i, 1. 5. C'est dans ses Observations de plusieurs sin-
gularités (Paris, i554, in-4®), que Belon rapporte ce fait,
à la page 179 du liv. III, chap. x.
63, 24. Nous laissons l'orthographe du ms. Ortragon :
le nom ordinaire est Ortiagon. La femme est la belle reine
Chiomara. Après sa conduite courageuse avec le guerrier
romain, son mari la reçut froidement, en lui reprochant
d'avoir violé la parole donnée à cet homme, ce qui était
bien une exagération du point d'honneur. (Voy. Tite-Live,
XXXVIII, cap. XXIV, et Boccace , De claris mulieribus,
LXXIV.)
65, 12. Suétone, César, LU. Cet auteur rapporte, d'a-
près N'ason, que César fit de grandes largesses au couple :
« Plurima et inimensa tribuit. »
66, 2. Tite-Live, XXX, cap. xv.
— 10. Piutarque, Caton V Ancien, rapporte, dit M. La-
lanne, une anecdote qu'il attribue à Caton, et qui paraît se
rapporter à ce que Brantôme dit ici de Scipion. Caton,
après la mort de sa femme, vivait maritalement avec une
jeune esclave qui venait -le trouver dans sa chambre en
narguant le fils du philosophe. Ce jeune homme en fut outré.
Caton, pour apaiser les colères, épousa la jeune fille de son
ancien greffier Saloninus, et mit son esclave à la porte de
sa chambre. Si Brantôme a trouvé l'anecdote sur Scipion
quelque part, il nous a été impossible d'en découvrir l'au-
teur.
67, 14. Charles de Lorraine, cardinal de Guise, connu
sous le nom de cardinal de Lorraine, mort en 1574. Il
joua un grand rôle au concile de Trente. Brantôme veut
parler ici de la trêve de Vaucelles, entre Henri II et l'Em-
pereur, que le cardinal Caraffa avait réussi à faire rompre
en j556. Ce passage est évidemment écrit avant i588,
date de la mort d'un autre cardinal de Guise, frère du
Balafré.
— 2 3. On comprend l'admiration du cardinal pour les
belles Vénitiennes par la description que fait Vecellio de
leurs toilettes dans les fêtes. Voy. Vecellio, Habiti anti-
24b NOTES
chi, etc. Venise^ i Sço, p. i3i, pour le passage à Venise
du roi Henri III revenant de Pologne.
P. 69, 1. 8. Ce passage n'est pas dans les Dies géniales
d'Alessandro, mais bien dans Hérodote, liv. II, chap. lx,
qui parle des fêtes d'Isis (qu'il appelle Diane), et non de
celles du bœuf Apis. Sans doute d'ailleurs qu'Hérodote lui-
même rapportait un conte apocryphe. Quoi qu'il en soit, il
est dit dans ce passage d'Hérodote, que les Egyptiennes
allaient à Bubaste, et non à Alexandrie; mais son récit n'a
point la pointe obscène de Brantôme : il y est raconté sim-
plement que les femmes mêlées aux hommes criaient et
insultaient les indigènes, et que quelques-unes « y.l
0^ a.VU7jp.0-JTXl CCVlj-7.fJ.Z-JXl ».
— 26. Ce que Brantôme dit ici de Flora est une er-
reur, que, sans aucun doute, il a puisée dans la note de
Dupinet, aux ouvrages de Pline (t. II, p. 64, à la note).
La femme en question ne s'appelait pas Flora , mais Acca
Taruntia ; les fêtes que l'on fît en son honneur se confon-
dirent avec celles de Flore (Aulu-Gelle, lib. VI, cap. vu.
Macrobe, Saturnales, lib. I, cap. x, etc.). Voici l'origine
de la fortune d'Acca Taruntia, Etant jeune courtisane,
elle avait été introduite dans le temple d'Hercule par un
gardien, pour y passer une nuit avec le dieu : le lende-
main Hercule la pria d'embrasser le premier homme qu'elle
rencontrerait en sortant du temple ; il se trouva que ce fut
le vieillard Taruntius, homme immensément riche qui l'é-
pousa, et lui laissa tous ses biens, (^'arron, De ling. lat.,
1. V, cap. m. Ovide, Fast., 1. IV, 947 et V, 3 5 i.) Plus
tard, au temps de Pompée, vivait une courtisane nommée
Flora, qui a sans doute fait confondre les deux femmes :
dans tous les cas ce que Brantôme rapporte du luxe de
Flora ne saurait s'appliquer à Taruntia, laquelle vivait aux
époques à demi sauvages du commencement de la répu-
blique romaine.
72, 20. Pausanias, Suétone et Manilius n'ont pas fait
d'ouvrages spéciaux sur les femmes. Brantôme veut parler
sans aucun doute des anecdotes dont leurs récits sont
semés. Pour Manilius, M. Lalanne propose la lecture
Martial?
NOTES 247
TROISIÈME DISCOURS
P. 77, 1. 2. L'ancien titre projeté par Brantôme pour ce
chapitre était : « Le 3*^ [chapitre] traite de la beauté d'une
« .belle jambe, et comment elle est fort propre et a grand
« vertu pour attirer à l'amour. »
— II. Cette princesse était Catherine de Médicis.
(Voy. Brantôme, édit. Lalanne, t. VII, p. 342.)
80, 8. Suétone, VitelliuSj cap. 11 : « Messalina petiit
« ut sibi pedes prseberet excalceandos. » Brantôme, on le
voit, anime un peu le récit, suivant son habitude.
— 26. Nouvelle Lvn°.
81, 5. Sans doute le grand-prieur François de Lorraine,
qui accompagna Marie Stuart en Ecosse : cependant il y
avait aussi d'Aumale et René d'Elbeuf.
— 17. Cette fois la traduction de Brantôme est fausse,
mais Dupinet n'y est pour rien. Le jumenia de Pline est
traduit par jument, ce que Dupinet n'avait pas fait. (Voy.
Dupinet, trad. de Pline, t. II, p. 587.)
84, i5. Il y a un remarquable portrait de la reine
Marguerite publié par Niel, dans lequel cette princesse est
représentée ainsi^ les cheveux frisottés et la toque un peu
en arrière; une copie de l'original est aux Estampes de la
Bibliothèque Nationale.
85, 25. Voy. Edit. Lalanne, t. III, p. 259.
87, 3. Beatrix Pacheco avait été dame d'honneur d'E-
léonor d'Autriche antérieurement à 1544 avec plusieurs
autres dames espagnoles : elle devint comtesse d'Entremont
par son mariage avec Sébastien comte d'Entremont. Sa fille,
dont il est ici question, était Jacqueline, mariée en secondes
noces avec l'amiral de Coligny, et contre laquelle se tour-
nèrent les haines des ennemis de son mari : elle ne fut
point d'ailleurs à l'abri de tout reproche. (Voy. Bordier,
la Veuve de l'amiral Coligny, 1875, in-8°, pièce.)
248 NOTES
P. 88, 1. I 9. Voyez sur cette dame la note de la page 41 .
11 n'est peut-être pas inutile de dire ici le nom des filles de
la reine de France, qui vraisemblablement concoururent à la
fête : elles étaient douze à cette époque, Claude Blosset, dite
la belle Torcy, Marguerite du Breuil, Claude de Grany, Sido-
nie de Mervillez, Cécile de Boucard, Barbe de Pons, Catherine
de Sainctan, Léonor de La Chapelle, Marie de Tombes,
Marie de Villalona, Béatrix de Savoie, Thomette d'Arpajon ;
et à leur tête Jeanne de L'Hospital, dame de Boucard.
(Archives nationales. Comptes de l'argenterie de la reine
Eléonore, KK, 10 5.)
89, 10. La description qui suit est tirée textuellement
par Brantôme d'une relation imprimée à Lyon, chez
Rouille, en 1549, sous le tiire de : «La magnificence delà
« superbe et triomphante entrée de la noble et antique
« cité de Lyon faicte au très chrestien Roy de France
« Henry deuxiesme.» Cet ouvrage, imprimé en français et
en italien, renferme des planches sur bois représentant
l'obélisque et le préau dont il est question dans Brantôme.
Celui-ci se contente d'ailleurs de retrancher les mots ou les
phrases qui lui déplaisent. Le dizain déclamé devant le
prince était le suivant :
Le grand plaisir de la chasse usitée
Auquel par montz, vallées et campaignes.
Je in'exercite avecques mes compaignes.
Jusqu'en voz boySj Sire, m'ha incitée
Où ce lion d'amour inusitée
S'est venu rendre en ceste nostre bande,
Lequel soubdain, à sa privaulté grande,
J'ay recogneu, et aux gestes humains,
Estre tout vostre. Aussi entre voz mains
Je le remetz et le vous recommande.
(Pages 32-34. j
91,6. Bois de brésil, connu bien avant la découverte de
l'Amérique. Brésil est donc ici un nom commun seulement.
Nous conservons le B majuscule que Brantôme n'eiJt pas
manqué de mettre.
NOTES 2^<)
P. 92, 1. 10, Le passage du roi à Lyon se fit le 18 sep-
tembre 1548. Brantôme avance donc un peu sur l'histoire
car Diane de Poitiers ne devint duchesse de Valentinois
que trois semaines plus tard. La particularité la plus cu-
rieuse de la donation du duché à Diane était que le roi
s'appuyait sur les prétendus services du père, M. de Saint-
Vallier, précisément condamné à mort, sous le règne précé-
dent, pour trahison, et gracié nous avons vu comment.
(T. I, p. 101.)
93, 9. La volte était une danse venue d'Italie, dans la-
quelle le cavalier, après avoir fait tourner deux ou trois
fois la danseuse, la soulevait de terre pour lui faire faire
une cabriole en l'air : c'est de cette cabriole que veut
parler Brantôme.
— i3. Pour le détail sur ces dames de Sienne, voyez
ci-après la note de la page 184.
— 2 3. Paul de Labarthe, sieur de Thermes, maréchal de
France, mort en i562. (Montluc, édit. de Ruble, t. II,
p. 55-56.)
95, I. Scio était la seule île du Levant où les femmes
missent un vêtement plus court, et cela jusqu'à ce siècle.
(Voy. Sylvain Maréchal, Costume% civils, à la fin.)
96, 3. Comme la mode des escarpins chez les gens de
qualité était de rigueur, il s'ensuivait que pour sortir
de chez soi il fallait chausser des patins qui pouvaient,
grâce à leur semelle, accroître ou diminuer la taille; et
comme la robe était longue et cachait tout, on ne s'a-
percevait de rien : cela explique la remarque de la grande
dame dont Brantôme parlait à la page précédente.
97, 6. Au sacre de Henri III, en iSyS, le dimanche
1 3 février. Les échafauds pour les dames avaient été con-
struits à droite du maitre-autel, « entre deux piliers, parés
« de broderies de fleurs de liz d'or sur satin bleu. Dessus
a etoient assises plusieurs dames et damoiselles de maison. »
Au-dessous était la reine avec des dames. (Le sacre et cou-
ronnement du très chrestien roy de France et de Pologne
Henry III, Reims, 1576, in- 12.)
32
5o NOTES
(QUATRIÈME DISCOURS
p. 99, 1. 1 . Le titre primitif était : « Le ^^ [chapitre traite]
« quel amour est plus grand, plus ardant et plus aisé, ou
« celuy de la fille, ou de la femme mariée, ou de laveufve,
« et quelle des trois se laisse plus aisément vaincre et
« abattre. »
— • II. Nous laissons à Brantôme la responsabilité de
son espagnol, et nous écrivons comme lui allomenos et abaxo
pour a lo ménos et abajo.
104, 28, Suétone, Caligula, XXV. « Cœsoniam. . .
luxuriss ac lascivix perditœ, et ardentius et constantius
amavit. »
io5, 24. Spartien, Caracalla, chap, x.
106, 3. Voyez la note de la page , 109, t. I de cette
édition. Henri III et la princesse de Condé?
107, 7. Ce fils était Géta.
— 16. Béatrix était fille du comte Guillaume de
Tenda ; elle avait épousé en secondes noces Philippe-
Marie Visconti, et lui apportait toutes les richesses de
Facino Cane, son premier mari. Malgré son âge mûr
Béatrix fut soupçonnée d'adultère avec Michel Orombelli,
et Philippe-Marie les fit mourir tous deux. En réalité ce
n'était là qu'un moyen commode de s'approprier les biens
de Facino Cane. (Litta, Visconti di Milano, t. III,
tav. VI.)
— 27. CoUenuccio, liv. IV, anno 1194, dit effecti-
vement que Constance était nonne, et que l'an 1194^
âgée de cinquante ans, elle fit construire un pavillon où
elle convoqua nombre de gens pour assister à sa délivrance,
afin qu'on ne la soupçonnât point de supposition de
part.
108, 14. Brantôme vise sans doute ici Marguerite de
Clermont, sœur de Louise, femme d'Antoine de Crussol,
NOTES 25l
duc d'Uzès, et abbesse de Tarascon et de Saint-Césaire
d'Arles.
P, 109, \. 29. Jean de Bourdeilie.
iio, 12. Renée, fille de Louis XII, mariée à Her-
cule Il d'Esté, duc de Ferrare, princesse contrefaite,
mais très savante. Elle protégeait les religionnaires, ce
qui explique pourquoi M^^° de La Roche « sentoit fort
de Luther ». Après la mort de son mari. Renée se re-
tira en France, et y mourut en iSyS, après avoir lutté
longtemps contre le duc de Guise, son gendre, qui la
voulait forcer à lui livrer les religionnaires.
— 28. Marguerite, reine de Navarre, sœur de Fran-
çois P"".
119, i3. Meung-sur-Loire, arrond, d'Orléans.
— 16. François de Carnavalet.
— 17. Léonor duc de Longueville.
— 18. Charles IX.
^- 23. Henri H.
— 29. François de Lorraine duc de Guise,
— 3o. Eclaron, arrond. de Vassy (Haute-Marne).
120, 3. Louis I, prince de Condé.
— 8. Le capitaine Avaret, mort à Orléans en i562.
— 10. Ce mot de compère était celui que le roi Henri II
donnait au connétable de Montmorency.
121, 24. Voyez la note de la page 69 ci-devant.
123, 16. Octavius e5t traduit par Brantôme Octavie. —
Pour ce que dit ici Brantôme, consulter Suétone, Caligula,
XXXVI, et Octave-Auguste, LXIX.
124, II. Suétone, Néron, XXXIV, « contractasse mem-
hra, alla vitupérasse, alla laudasse. '>
12 0, 2 3. ... le diffame des femmes? et non des hommes,
ce que semble prouver le mot maris qui suit.
252 NOTES
P. I 2 5, 1. 3o. Bien que l'on n'ait que l'embarras du choix des
princes, Brantôme veut sans aucun doute parler de Henri III
et du duc d'Alençon, son frère. Pour Henri III, voir les
Remarques sur la Satyre Ménippée, au tome II de l'édit. de
I 71 I , p. 33o-3 I .
126, 19. Plutarque, Artaxerxès-Mnémon , chap. XXVI,
nomme cette femme Aspasia, et en fait une prêtresse de
Diane.
— 3o. Collenuccio, liv. V, p. 208 de l'édit. de Venise,
de 161 3, in-4°, à l'année 140$ ne dit pas que la duchesse
fût si âgée : non estante ch' ella hai^esse trenia otto anni, nia
era bellissiina. Sa beauté rachetait suffisamment ses trente-
huit ans.
127, 10. Erreur de Brantôme ou peut-être inadvertance
du scribe qui aura écrit dix pour six. Diane mourut à 66
ans, le 22 avril i566, étant née en 1499. Dreux du Ra-
dier attribue la conservation de la duchesse à l'emploi fré-
quent d'eau de puits, ce qui est moins poétique, mais
sans doute plus vrai que l'histoire de l'or potable.
128, 12. Jacqueline de Rohan-Gié, mariée à François
d'Orléans, marquis de Rothelin. Dans sa jeunesse, on l'ap-
pelait « la fille pesnée de Gié » (la fille puînée de Gié).
— ■ 22. Françoise Robertet, veuve de Jean Babou, mariée
en secondes noces au maréchal d'Aumont.
129, 4. Catherine de Clermont, femme de Guy de Ma-
reuil, grand'mère du duc de Montpensier, François, dit le
Prince-Dauphin.
— II. Gabrielle de Mareuil, mariée à Nicolas d'Anjou,
marquis de Mézières.
— 14. Jacqueline ou Jacquette de Montberon.
— 24. Françoise de Longwi, amirale de Brion, belle-
mère de Charles de La Rochefoucault, seigneur de Barbé-
zieux.
— 26. L'éloge de cette beauté toulousaine se trouve
dans le très rare opuscule de G. Minut, De la beauté, 1 SSy,
in-8°. Cet éloge, placé à la fin de l'ouvrage, a pour titre
r^oTES 253
la Paulegraphie, et contient une analyse délicate des per-
fections idéales de Paule de la tète aux pieds,
P. i3o, 1. 23. Anne d'Esté, fille d'Hercule d'Esté et de
Renée de France, fille de Louis XII; elle fut mariée à
17 ans, avec François de Lorraine, duc de Guise, dont elle
eut sept enfants. Elle épousa^ après le meurtre de son mari,
Jacques de Savoie, duc de Nemours, et mourut le 17 mai
1607. Mais, en dépit des louanges de Brantôme et de de
Thou, qui l'appelle illustrissiina heroina, elle n'était point
exempte des fautes d'une cour corrompue.
i3i, 19. Ce fut en i 5 74 qu'eut lieu ce voyage.
i32, 19. C'est non pas François Gonzague, mais Guil-
laume Gonzague, son frère et successeur au duché de Man-
toue, né en i5 38, mort en 1587. L'erreur des éditions
précédentes vient de ce que les deux frères avaient épousé
deux princesses filles de Ferdinand P"" d'Allemagne. Guil-
laume avait eu pour sa part, Eléonore , jeune femme
d'une dévotion outrée, et qui ne dut guère tenir le propos
gaulois que lui prête si complaisamment Brantôme, bien
que son mari fût bossu et contrefait, gobbo, d'où le nom de
Gobin. ( Litta, Gonzaga di Mantova, t. I, tav. VI, et aux
planches, pour le portrait des deux époux par Rubens.]
— 28. 11 revient ici à la duchesse de Guise.
i33, i3. Aux noces du duc Charles-Emmanuel, marié
à Catherine, fille de Philippe II d'Espagne.
134, 27. Marie d'Aragon, mariée à Alphonse d'Avalos,
marquis del Guasto ou Vasto.
I 3 5, I . Henri II.
— 2. Paul IV. Voy. ci-devant, p. 67.
— 6. François de Lorraine, grand prieur.
— 12. Ce vice-roi était Don Perafan, duc d'Alcala,
qui entra à Naples le 12 de juin 1559.
— 26, Claude de Lestrange?
139, 10. Brantôme est effectivement mal servi par sa
254 NOTES
mémoire. Des deux filles de la marquise, Béatrix, la pre-
mière, épousa le comte de Potenza ; l'autre, le prince de Sul-
mone.
P. 145, 1. 8. Son fils était François-Ferdinand, vice-roi
de Sicile, mort en iSyi.
— 18. Soliman II.
CINQ^UIÉME DISCOURS
147, I. Dans le principe, ce discours était le dernier;
il est ainsi analysé dans le manuscrit 608 : « Discours sur
« ce que les belles et honnestes dames ayment les vaillants
<( hommes, et les braves hommes aiment les dames coura-
" geuses. »
148, 12. Virgile, dans son Enéide, livre F'', ne fait
paraître Penthésilée qu'à la mort d'Hector :
Ducit Amazonidum lunatis agmina peltis
Penthesilea furens.
Pour ces récits concernant les Amazones, consulter le
Traité historique sur les Amazones^ par Pierre Petit. Leyde^
I 7 I 8, in-i 2.
i5i, 19. Enéide, ÎV, io-i3.
i52, 14. Livre IX, chap. 3.
154, 7. Bandello, Histoires tragiques, t. III, p. i de
redit, in-4''' de Venise, i568.
i56, 6. Ce prince brave et vaillant n'était autre que
Henri III, vainqueur à Jarnac et à Moncontour.
157, 6. Ronsard, Œuvres, liv. I, sonnet 174°.
— 29. Jacques de Savoie, duc de Nemours, mort en
i585.
i58, I. Charles de La Rochefoucauld, comte de Ran-
dan, fut envoyé en Angleterre en i5 59, où il « moyenna
la paix avec l'Ecosse » .
NOTES
255
p. i5 8, 1.3. Le petit Leith. (Voy. Jean de Beaugué, Hisfo/re
de la guerre d'Escosse , réimprimée par Montalembert en
1862. Bordeaux, in-8'', p. 142.)
159, I, La ftiar des fèves doit s'entendre de toute cette
jeunesse qui faisait escorte à un roi de la fève , selon l'ex-
pression alors en usage, c'est-à-dire, par moquerie, un roi
de par la fève du gâteau des, Rois, roi imaginaire et sans
autorité. (Voy. Satyre Menippée, tome I, p. 28, édit. de
1711.J
— 3. Philibert Le Voyer, seigneur de Lignerolles et de
BellefiUe, fut un des agents diplomatiques les plus employés
en ce temps. Il était en Ecosse en iSôy. Il fut assassiné à
Bourgueil en iSyi, parce qu'on le croyait coupable d'avoir
trahi les révélations de Charles IX sur la Saint-Barthélémy.
— 14. Evidemment Brantôme savait très bien que l'a-
mour qui tenait au cœur le beau et séduisant duc de Ne-
mours n'était autre que celui de madame de Guise, Anne
d'Esté, qu'il épousa plus tard.
— 24. Nouvelle XVI°. Guillaume GoufGer, sieur de
Bonnivet;
161, II et 12... ce qu'il ferait et la défendrait bien;
suppléer ce qu'il ferait et [s'il] la défendrait bien.
— 1 3. C'est Marguerite de Valois qui prit Bussy d'Am-
boise un peu à cause de sa réputation de duelliste.
— 21. Jacques de Lorge, sieur de Montgommeri, capi-
taine de la garde écossaise de François P'" et père du meur-
trier involontaire d'Henri II ?
i63, 4. Claude de Clermont, vicomte de Tallard.
— II. François de Hangest, sieur de Genlis, capitaine
du Louvre, qui mourut de la rage à Strasbourg en 1569.
(Voy. p. 38.)
164, 5. C'est sans aucun doute Louise de Halwin, dite
M^'® de Piennes l'aînée, qui épousa plus tard Cipierre, de
la famille de Marcilly. Je ne crois pas que Brantôme veuille
ici parler de l'autre de Piennes, qui manqua d'épouser le
fils du connétable de Montmorency.
256 . NOTES
P. 164, 1. 26. C'est à cette excitation féminine que le roi
François P"" faisait allusion dans le célèbre quatrain de
l'album d'Aix, qu'on lui attribue à tort ou à raison.
i65, 21. Le ms. donne Tiphanie, que nous avons con-
servé. C'est Tiphaine Raguenel, comtesse de Longueville,
première femme de Bertrand.
166, i5. Béatrix, quatrième fille de Raymond-Béran-
ger IV, comte de Provence.
167, 6. Isabeau de Lorraine, fille de Charles II et ma-
riée à ReAé d'Anjou.
168, 19. Voyez ci-devant pages 62-63.
— 28-29... se trouvent aux combats en sont de mesme;
suppléer en sont [/ogez] de mesmé.
169, i3. Il s'appelait René de La Platière, sieur des
Bordes, et était guidon dans la compagnie du maréchal de
Bourdillon : il fut tué à Dreux. Il était né du mariage de
François de La Platière avec Catherine Motier de La Fayette.
— 3o. Cette phrase doit se comprendre : A vostre advis
n'a-elle pas bien employé sa belle faveur?...
170, 3. Brantôme, dans son éloge de Bussy d'Amboise,
rapporte qu'il avait fait de la morale à ce jeune homme
sur sa manie de tuer. La femme qu'il compare ici à Angé-
lique était Marguerite de Valois, et l'auteur de la Fortune de
la cour résume en quelques lignes tout ce que la passion de
Bussy pour la princesse avait de chevaleresque, et cependant
de pratique, dans une prétendue conversation qu'il aurait eue
avec ce seigneur. « Si j'en voyais quelqu'une, assurait Bussy
en parlant de ses maîtresses, dont ma fortune dépendît abso-
lument, alors de vérité je redoublerois mes debvoirs, et
outre que j'aurois pour elle un véritable amour, je l'hono-
rerois avec un respect semblable à ce que l'on fait pour les
divinitez. (Édit. de 171 3, p. 270.)
172, i3. Acception pour exception.
— 3o. Il ne faut pas douter que ce ne soit encore de
Marguerite qu'il est question dans ce paragraphe.
NOTES 25
7
P. 173, I. 27. Mais eWes mettent toujours par le marché...
le ms. porte mais ils mettent, ce qui est également compréhen-
sible; en admettant un accord entre deux, personnes de sexe
différent, le masculin prime.
174, 14. Orlando furioso, cant. V.
175, 3 . Mais qu'il soit. . . pour peu importe !
— 22. C'est la raison qui avait fait renvoyer à Mar-
guerite de Valois « ce grand degousté de vicomte de Tu-
renne ». Elle le comparait « aux nuages vuides qui n'ont
que l'apparence au dehors ». [Divorce satyrique.)
176, 1 1. D'après M. Lalanne. ce serait ici une aventure
arrivée à Brantôme et à l'un de ses amis, dans laquelle il
aurait joué le rôle du « gentilhomme content ». C'est infi-
niment probable.
178, 3, Le Balafré et Mayenne, suppose M. Lalanne.
Si la grande était Marguerite, elle ne garda point trop ran-
cune à Mayenne, « bon compagnon, gros et gras, et volup-
tueux comme elle », avec lequel elle fut plus tard dans les
meilleurs termes.
179, 9. L'hôtel des archevêques de Reims était situé im-
passe du Paon , laquelle donnait autrefois dans la rue
Hautefeuille.
— 16. ... il... pour ce dernier, le compagnon.
181, 3o. mary de cocu dans le ms.
i83, 17. C'est Madeleine de Saint-Nectaire ou Senne-
terre, mariée au sieur de Miramont, Guy de Saint-Exupéry,
et qui soutenait le parti des Huguenots. Elle battit Montai
en Auvergne, et le tua de sa propre main en 1574, d'après
ce que rapporte Mézeray. (Voy. Anselme, t. IV, p. 890.)
En 1569, M°^° de Barbançon avait combattu de même
personnellement, et aussi auparavant une Italienne, Ipolita
Fioramonti. (Voy. ci-après, p. 191.)
— 23. ... et en partie cause, suppléer: et 'cela fut] en
partie cause.
184, 20. Brantôme fait ici quelques légères erreurs dans
Brantôme. II. 3 3
258 NOTES
les devises. La compagnie de la signera Forteguerra avait pour
devise : Pur che sia vero ! La signora Piccolomini et ses dames
portaient : Pur che non la butto ! Quant à la troisième com-
pagnie, commandée par la signora Livia Fausta, elle avait
pour bannière un olivier avec ta devise : Pur che l'abbia !
Montluc, moins préoccupé de ces détails futiles que Bran-
tôme, n'en avait rien retenu, et il le déplore; il ne dit
qu'une chose, c'est que ces dames étaient court vêtues.
(Montluc, édit. de Ruble, II, p. S 5-56. j
P. I 86, 1. 3-4. Sur la grande place où est la tour, au milieu
de la ville de Sienne. C'est sur cette place que se faisaient
d'ordinaire les revues et les carrousels, dans le demi-cercle
situé devant le palais,
— 17. Tite-Live, liv. XXVII, chap. xxxvii.
189, 9. Orlando furioso, cant. xxii et xxv.
— II. Christophe Jouvenel des Ursins, seigneur de La
Chapelle, mort en i588.
— 1^. Il, Henri IL
190, 6. Moréri affirme le fait d'autorité : « Sienne fut
bâti par les Gaulois Senonois après la prise de Rome par
Brennus. »
— 14. Voy. Brantôme, édit. Lalanne, t. II, p. 298.
191, i3. Ipolita Fioramonti, r".ariée à Louis de Mala-
spina, de la branche de Pavie ; elie était générale des ar-
mées du duc de Milan. (Litta, Malaspina diPavia, t. VIII,
tav. XX.)
— 22. Ce fut le 21 février ib-jl qu'eut lieu l'entrevue
entre François de La Noue, dit Bras-de-Fer, et les députés
de Monsieur, François, duc d'Alençon. Elle se fît au moulin
d'Amboise, près de la porte de Cougne. L'abbé de Ga-
dagne était messager du duc, et de -ait tenter une soumission
de la part des assiégés. La scène que raconte Brantôme eut
lieu le dimanche 22 février. Quant aux otages, ils étaient,
d'après Cauriana, Philippe Strozzi et La Batresse. (Voy.
Eist. des deux derniers sièges de La Rochelle. Paris, i63o,
in-8.)
NOTES 2^9
P. 193, 1. 3. On trouve ce qu'avance là Brantôme dans le
livre de Jacques de Bourbon, La grande et merveilleuse op-
pugnation de la noble cité de Rhodes, 1527, in-fol.
— 16. Le siège eut lieu en i5 36.
194, 6. Le 14 août i5 36. Le comte de Nassau vint
assiéger Péronne à la tête de 60,000 hommes; les habitants
se défendirent avec la dernière énergie. Marie Fouré fut une
des principales héroïnes de ce siège célèbre, selon les uns;
selon les autres, l'honneur du fait doit être réporté tout entier
à la dame Catherine de Poix. (Cf. Pièces et documents rela-
tifs au siège de Péronne, en i536. Paris, 1864, in-S°.)
— II. Le siège de Sancerre commença le 3 janvier
iSyS; mais le rôle des femmes y fut plus pacifique qu'à
Péronne; elles soignaient les blessés et nourrissaient les
combattants. C'était l'énergique Joanneau qui gouvernait la
ville. iPoupard, Histoire de Sancerre, i^TJ, in-12.)
— 14. Vitré fut assiégé par le duc de Mercœur en
1589. Le passage de Brantôme est cité dans VHistoire de
Vitré, de M. Louis Dubois (1839, in-8°, p. 87-88J.
195, 10. Collenuccio, liv. V.
— i3. ... et en quelques traits de corde. — En quelques
traits., des éditions précédentes ne signifie rien dans le cas
présent, où il est fait allusion au supplice de l'estrapade :
d'ailleurs le ms. porte eu et non en.
196, I. Boccace a arrangé ce récit dans son De c/aris mu-
lieribus, cap. CI. Vopiscus, Aurélien, XXVl-XXX, raconte
plus froidement le fait.
200, 4. Marie d'Autriche, sœur de Charles -Quint,
veuve de Louis II de Hongrie, et depuis gouvernante des
Pays-Bas : elle mourut en i5 58. Ce fut contre elle que
lutta Jean de Leyde.
— 19. Brantôme veut parler d'Aurelia Victorina, mère
de Victorin , selon Trébellius-Pollion {les Trente Tyrans,
XXX).
— 26-27. Isabelle, fille de Philippe II et d'Elisabeth de
Valois.
260 NOTES
P. 201, 1. 4. Dans Froissart, liv. I, chap. 174. C'est la
femme de Jean de Montfort, Jeanne de Flandre, qui soutint
le siège de Hennebont, en 1342.
— 24. Henri P'", prince de Condé , mort en i 588,
le 5 janvier, empoisonné, dit le Journal de Henri ÎII,
par Catherine-Charlotte de La Trémoille, sa femme.
— 2 5. Jacquette de Montberon, belle-sœur de Bran-
tôme. Le château était celui de Matha, dans l'arrondisse-
ment de Saint-Jean-d'Angély.
202^ 2 3, Machiavel, Dell' arte délia guerra, liv, V, 11.
20 3, 19. Paule de Penthièvre, seconde femme de Jean II
de Bourgogne, comte de Nevers.
— 29. Richilde, comtesse de Hainaut, qui mourut en
1091. Elle était héritière de Mons par son mari, Bau-
douin VI, dit de Mons. Brantôme commet une erreur : ce
fut dans le combat du 22 février 1071 que furent pris Ro-
bert le Frison et Richilde, mais ce fut également dans cette
journée que périt Arnoul III, dit le Malheureux, et non
postérieurement.
204, II. Isabeau de France.
— 14. Hugues Spencer, ou le Dépensier.
— 17. Ce chevalier de Hainaut était Jean, frère du
comte de Hainaut.
20 5, 5. Éléonore d'Aquitaine.
— II. ... Ce qui nous cousta bien. Voy. t. I, p. 23, à
la note.
206, 9, C'est Thevet qui a fait la Cosmographie, et non
Nauclerus, qui a composé, lui, une Chronographie. (Pour cette
histoire, voy. Th&vei, Cosmographie, t. II, p. 912-13.)
207, 10. Vittoria Colonna, fille de Fabrizio Colonna et
d'Agnès de Montefeltro, née en 1490, et fiancée dès l'âge
de quatre ans à Ferdinand d'Avalos, qui devint son époux.
La lettre dont parle Brantôme est célèbre; il la puise dans
Vallès, au fol. 2o5. Quant à Mouron, c'est le grand chan-
celier Hieronimo Morone.
NOTES 2bl
P. 208, 1. ?. 3. Plutarque, Antoine, chap. XIV.
209, 7. Catherine-Marie de Lorraine, femme de Louis
de Bourbon, duc de Montpensier. La nouvelle de la mort de
Henri III, contre lequel elle nourrissait une haine mortelle,
lui fut si agréable, qu'elle ne quitta plus une écharpe verte
qu'elle portait ce jour-là. {Mém. de la Ligue, IV, p. 14.)
211, 16. Voyez ci-devant la note de la page i3o.
212, 2 5. L'au/re, c'était Mayenne.
2 I 3, 9. Selon d'autres, elle se serait écriée : « Ah, grant
Roy ! avez-vous fait bastir ce chasteau pour y faire mourir
les enfans de vostre petite-fille î »
214, i3. Poltrot de Méré fut tenaillé et écartelé le 18
mars i563. Quant à l'amiral, il fut massacré le 24 août
1572.
21 5, 7. ... S'y opposa fort. Le ms. porte s''y porta fort.
Nous conservons la correction de M. Lalanne.
— II. Philibert de Marcilly, sieur de Cipierre, gouver-
neur de Charles IX.
— 26. Voy, t. I, p. 1 01 .
216, 29. Revestitoire. Il faut Wre revestiaire, comme plus
haut.
218, 10. Pour cette ambassade de La Noue, voyez ci-
devant la note de la page 191, ligne 22.
— 29. Sur cet aventurier, consulter les Additions au
Journal d'Henri III, note 2^.
219, 14. Louis de Correa, Historia de la conquista del
reino de Navarra.
223, 1-2. Qu'ils les crachent, dans le ms. 608.
— 12. Louise de Savoie.
224, 6. ... Au bas pour au dernier quartier de la lune.
— 8, La mort de Louise de Savoie est marquée par
l'auteur du recueil des comètes, d'après Sleidan, liv. VIII,
262 NOTES
p. 125 de redit. in-i6 de iSSç. D'après le Cathalogus co-
metaruin de Bâle (i5 56, in-i6j, celte comète n'aurait été
visible que du 6 août i53i au 7 septembre de la même
année. Or la scène rapportée par Brantôme se passe au 26
septembre 1 53 i; il faut donc penser que la reine ne mourut
que plusieurs jours après avoir prononcé le mot, et non le
lendemain, comme l'affirme Brantôme.
P. 224, 1. 29. Charlotte de Roye, mariée à François III
de La Rochefoucauld, en iSSy, et morte en iSSç.
2 2 5, 21. Marguerite de Foix-Candale, mariée à Jean-
Louis de Nogaret, duc d'Epernon.
226, 14. Renée de Bourdeille, fille d'André et de Jac-
quette de Montberon. Elle épousa en 1579 David Bou-
chard vicomte d'Aubeterre, qui fut tué en Périgord en i 593.
Elle mourut en 1596. La fille dont Brantôme va parler
était Hippolyte Bouchard, laquelle fut mariée à François
d'Esparbez de Lussan, Quant aux trois sœurs qu'il men-
tionne ensuite, elles étaient : Jeanne, comtesse de Duretal,
Isabelle, baronne d'Ambleville, et Adrienne, dame de Saint-
Bonnet,
20 1, i3. Renée de Clermont, fille de Jacques de Cler-
mont-d'Amboise, sieur de Bussy, mariée à l'incapable Jean
de Montluc-Balagny, bâtard de l'évêque de Valence, et créé
maréchal de France en i 594. Depuis cette triste journée du
7 octobre 1595, Balagny se remaria à Diane d'Estrées, sœur
de la belle Gabrielle, qui lui fit payer cher son oubli des
convenances.
— 27. Creva n'a pas le sens défavorable que nous lui
attribuons; il est dérivé du latin crepare, éclater.
282, 2 5. Le père Anselme est muet sur cette Limeuil
l'aînée. Était-ce bien une Limeuil? Justel, Hist. de la mai-
son d'Auvergne, p. 169, fait d'Isabelle l'aînée des filles, et
elle fut mariée à Scipion Sardini, comme nous l'avons dit
ci-devant, t. I, p. 83, à la note.
2 3 3, 7. C'est la Bataille de Marignan ou la Défaite des
Suisses, que Janequin mit en musique, et qui est conservée
NOTES
263
dans le recueil de Pierre Attaignant. Voici le passage un
peu différent de la version de Brantôme :
Ils sont confuz,
Ils sont perduz !
P. 2 3 3, 1. 23. Léon XII.
— 27. Voy. ci-devant, p. i3 5.
234, 5. Elle luy emporta : il y a. il luy emporta dans le
ms., par allusion au commandant de la nef.
287, 29. Renée Taveau , mariée au baron de Morte-
mart, François de Rochechouart. Nous avons répété avec le
ms. la phrase Donnez moi ma cotte!...
HQ
461
B73
1882
t. 2
Brantôme, Pierre de Bourdeille
Les sept discours touchant
les deLmes galantes
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
•'■fc^
ifes.^%,
?K-*?
^,
'«41^
:^^'T^^